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MCXLV

Rémission octroyée à Jean Texereau et Laurent Dutay, qui, à la nouvelle qu’une compagnie de gens de guerre avait pris en otage les femmes du village des Tranchées, jusqu’à ce qu’une rançon fixée leur eût été payée, sortirent de la forteresse de la Bouninière, où ils s’étaient retirés, se saisirent de trois de ces hommes, et les noyèrent dans un étang.

  • B AN JJ. 178, n° 241, fol. 137
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 30-33
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Texereau et Laurens Dutay, povres laboureurs, natifz de nostre pays de Poictou, [p. 31] contenant que, cinq ans a et demy ou environ, le second samedi de caresme, certaine grant compaignie de gens d’armes vindrent logier au long de la rivière de Brain et passerent, environ dix heures de matin, par devant la forteresse de la Bouninère, en laquelle les diz supplians s’estoient retraiz pour ce que les dictes gens d’armes prenoient prisonniers toutes manières de gens qu’ilz povoient trouver ; et une heure après ou environ, vint à la dicte forteresse la femme de Thomas Texereau, frère du dit Jehan Texereau, suppliant, demourant ou villaige de Trenchés, laquelle dist à la dame dudit lieu de la Bouninère et autres estans en la dicte place, qu’il estoit demouré oudit villaige trois desdiz gens d’armes qui avoient raençonné elle et les autres femmes du dit villaige, entre lesquelles estoit la femme du dit Jehan Texereau, suppliant, à la somme de quatre royaulx et du pain et du vin, et qu’ilz avoient prins et detenoient les autres femmes du dit villaige pour les emmener au logeis, se ilz n’avoient tantost la dicte raençon, et pour ce l’avoient envoyée à la dicte forteresse pour faire finance d’icelle raençon ; et print du pain et du vin, et atant s’en retourna. Et lors aucuns qui estoient en la dicte forteresse, quant ilz sceurent que les diz gens d’armes tenoient les dictes femmes prisonnières audit villaige, disdrent que il convenoit aler rescourre les dictes femmes ; et finablement une ou deux heures après, les diz supplians et autres, embastonnez les ungs d’arbalestes, les autres d’espielz et les autres d’espées ou autres habillemens de guerre, se transporterent oudit villaige de Trenchés, en l’ostel où estoient les diz compaignons, et à l’entrée en trouverent l’un qui cuida tirer son espée. Et lors ledit Dutay suppliant lui donna d’un espiot qu’il avoit sur la teste, en laquelle il avoit une salade, et tantost les autres de la compaignie le saisirent au corps, et aussi les autres deux qui estoient au dedans de la dicte maison, et iceulx avec leurs chevaulx et habillemens emmenerent en [p. 32] ung bois estant près du dit villaige, où ilz les detindrent jusques environ une heure après jour couchié, et les cuiderent mener à Partenay, mais ilz n’oserent, doubtans estre rencontrez des autres gens d’armes qui estoient sur le pays, et aussi ne les oserent laisser aller, doubtans qu’ilz les eussent après destruiz, bruslé leurs maisons ou fait autres maulx ; et finablement les menerent à celle heure sur ung estang estant près d’ilec, appellé l’estang de la Pleigne, et les firent despoiller en chemises, et les lierent de roortes à bastons, c’est assavoir les deux plus aagiez à ung baston et le plus jeune à ung autre baston tout seul, et les gecterent dedans le dit estang ; et tantost se noya le plus jeune, mais les autres deux ne se povoient noyer. Et lors ledit Dutay se mist en l’eaue et d’une espée leur donna du trenchant cinq ou six coups sur la teste, et à la pointe de l’espée les fist afondrer telement qu’ilz furent noyez. Et ce fait, s’en alerent et emmenerent les diz chevaulx et despoille oudit villaige de Trenchés, jusques au landemain que chascun d’eulx s’en ala en sa maison. Et huit jours après ou environ, pour ce que les diz gens d’armes faisoient escourre ledit estang, pour avoir le poisson qui estoit en icellui, les diz supplians doubtans que ilz veissent les diz compaignons de guerre noyez, alerent de nuit au dit estang et prindrent les diz compaignons et les enterrerent ; et depuis n’en a esté autre chose fait. Toutesvoyes les diz supplians, qui en tous autres cas se sont bien et doulcement gouvernez, sans avoir esté reprins, actains ne convaincuz d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, doubtent rigueur de justice et que noz officiers ou autres voulsissent ou temps avenir les faire pugnir corporelment se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, requerans humblement que, attendu que les diz gens de guerre faisoient maulx innumerables et tenoient les dictes femmes prisonnières et les vouloient emmener en leur logeis, et que ilz doubtoient, se ilz eussent emmenées [p. 33] les dictes femmes, qu’ilz les eussent violées, comme il estoit nouvelles que les diz gens de guerre avoient fait autre part, et que pour la grant doubte et crainte qu’ilz avoient qu’ilz les violassent et forçassent, ilz furent telement troublez et esmeuz que de chaude cole et de grant desplaisir ilz commirent le dit cas, il nous plaise leur impartir icelles. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, aus diz supplians et chascun d’eulx ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de septembre l’an de grace mil cccc. quarante et sept, et de nostre règne le xxve.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Rippe. — Visa. Contentor. P. Le Picart.