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MCCXLIV

Rémission octroyée à René Jousseaume, chevalier, coupable du meurtre de Guichart de Valée, écuyer, dans une rixe occasionnée par des discussions d’intérêts de famille.

  • B AN JJ. 182, n° 23, fol. 12 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 352-355
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de René Jousseaume1, chevalier, contenant que pieça se meurent certains [p. 353] debatz et discors entre feu Guichart de Valée2, en son vivant escuier, mary et espoux de Colette de Rouvres, paravant femme de feu Jehan Lenfant, chevalier, comme bail de Hardouyn Lenfant, filz dudit deffunct et d’elle, et ledit Regné Jousseaume, suppliant, à cause de Jehanne Lenfant, sa femme, pour raison de la succession de feu Seguin Lenfant, chevalier, père de la femme dudit suppliant et grant père dudit Hardouyn ; et durant lesdiz debatz se fist ledit Guichart [de] Valée donner asseurement en justice dudit suppliant. Certain temps après lequel asseurement ainsi donné audit Guichart, lesdiz Jousseaume et de Valée, acompaignez de plusieurs genz, se trouvèrent sur ung estang de la dicte succession, dont la pesche estoit contencieuse entre eulx, et, après plusieurs parolles rigoureuses eues entre eulx, l’un de ceulx de la compaignie dudit de Valée, frappa ung appelé Trelin, procureur dudit Josseaume, d’une javeline par le ventre, tellement que les boyaulx en saillirent, et aussi ung des autres complices dudit de Valée donna d’une autre javeline audit suppliant [p. 354] parmi le costé, tellement que la taye saillit dehors et en fut couppé aussi grant comme une plaine paulme. Et quant ledit Jousseaume se vit ainsi cruellement blecié, il tira une dague qu’il avoit et de chaude colle en frappa ledit de Valée ung coup par la teste du costé senestre, telement que depuis mort s’en est ensuye. Depuis lequel coup donné par ledit Jousseaume, lesdiz complices dudit de Valée donnèrent audit Jousseaume ung autre coup de javeline par la poictrine tellement que, se n’eust esté le bort de la fente de son pourpoint et l’os de la poitrine qu’il rencontra, il fust mort en la place. Pour occasion de laquelle mort, ledit Jousseaume, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et, durant son absence, a esté procedé contre lui, à la requeste de nostre procureur et de partie par adjournement personnel et autrement. Et pour ce qu’il n’y a osé obeir ne comparoir, il a esté condempné envers ladicte vefve par contumace en certaine somme de deniers pour une foiz paier, et en certaine rente perpetuelle envers elle et ses enfans, et à faire faire certain service pour l’ame dudit defunct ; et avec ce a esté declairé banny de nostre royaume et ses biens à nous confisquez. Au moien des quelles choses il demourroit du tout destruit, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, comme il dit, humblement requerant que, attendu que ledit cas advint comme par chaude colle, et fut ledit de Valée ou les siens aggresseurs, que ledit suppliant est noble homme et en autres cas de bonne fame, renommée et honneste conversacion, et nous ont ses predecesseurs et parens et lui mesmes servy toutes leurs vies ou fait de noz guerres, et sont disposez à encores faire, il nous plaise avoir pitié de lui et lui impartir nostre dicte grace. Pour ce est il que nous, ces choses considerées, qui nous ont bien au long esté remonstrées par aucun de nostre Conseil, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit René Jousseaume avons remis, quicté et pardonné, etc., en mettant [p. 355] au neant par ces presentes tous appeaulx, deffaulx et ledit ban, qui pour ce s’en sont ensuiz, etc. Si donnons en mandement au bailli de Touraine et à tous noz autres justiciers, etc. Donné au lieu des Vergiers près Chastelleraud, le ve jour de decembre l’an de grace mil cccc. cinquante et trois, et de nostre règne le xxxiie.

Ainsi signées : Par le roy, vous l’admiral, les sires de Torcy, de la Forest et du Monteil, et autres presens. J. de La Loère. — Visa. Contentor. P. Aude.


1 Nous avons donné dans un précédent volume une notice sur la famille Jousseaume à la fin du xive siècle et dans la première moitié du xve (t. XXVI des Archives historiques, p. 221, note). René, dont il est question ici, appartenait à une branche cadette. Le 18 décembre 1441, son cousin, Louis Jousseaume, sr de la Forêt-sur-Sèvre, alors sous la tutelle de Jean Jousseaume, chevalier, sr de la Geffardière, le poursuivait au criminel, ainsi que Jean de La Haye, seigneur de Passavant, et les fit mettre en défaut. (Arch. nat., X2a 22, à la date.) René Jousseaume avait épousé Catherine du Retail, à cause de laquelle il tenait de Jean de la Vergne, écuyer, « une borderie de terre en la paroisse de Secondigné, près de la dite ville au chief du pont assis entre la Birolère et la Bertière et environ, en laquelle sont assises plusieurs maisons et courtillages au chief de la dicte ville. » (Aveu rendu, le 1er décembre 1447, au connétable de Richemont, seigneur de Parthenay, à cause de son château de Secondigny, Arch. nat., R1* 190, fol. 78 v°.)

On trouve d’autres renseignements généalogiques sur cette famille dans un factum pour messire Hugues Catus, chevalier, et dame Jeanne Jousseaume, sa femme, contre Jean Jousseaume, Jean Payen et Marquise Jousseaume, sa femme, Jean Beau et sa femme, Pierre Barbot et Marguerite Jousseaume, sa femme, et contre René Jousseaume, fils et héritier de Denis Jousseaume. (Ms. du xve siècle, Bibl. nat., fr. 24164.)

2 La victime de René Jousseaume se nommait en réalité Guichard Le Voyer, dit Valée, écuyer, et les biens litigieux qui avaient été l’origine de leur querelle étaient situés près de la Suze dans le Maine, comme on l’apprend par d’autres lettres de rémission, plus explicites, que le premier se fit délivrer aux Montils-lez-Tours, mars 1454 n.s. (JJ. 182, n° 41, fol. 24.) Comme elles ne changent rien au fond de l’affaire, nous n’en donnerons pas le texte. Le bailli de Touraine rendit un jugement pour leur entérinement, qui ne plut pas à René Jousseaume, à cause des restrictions qui y étaient apportées à la grâce royale. Il en appela au Parlement. Les plaidoiries eurent lieu le 12 juillet 1456 (Arch. nat., X2a 28 à la date), et la cour rendit son arrêt, le 13 août suivant. Il déclarait les lettres de rémission exécutoires, mais réglait de façon sévère la réparation civile. Jousseaume était condamné à 2.000 livres tournois d’amende, à payer une rente annuelle de 100 livres, moitié à Colette de Rouvres, veuve de Guichard Le Voyer, moitié à son fils, à fonder une chapellenie de 25 livres de revenu par an, soit dans l’église du lieu où était inhumée sa victime, soit dans celle du lieu de sa naissance, au choix de Colette, et à tenir prison fermée jusqu’au complet accomplissement de ces conditions (X2a 27, fol. 230 v°). Les contestations continuèrent cependant, et on retrouve René Jousseaume en instance contre Colette de Rouvres et Robert Le Voyer, son fils mineur, aux dates du 26 novembre 1456, du 18 mars 1461 et du 18 avril 1462. (X2a 28, date du 26 nov. 1456, et X2a 30, fol. 36, 115, 116.)