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MCCXLVII

Rémission accordée à Méry Georget, d’Irais, poursuivi pour le meurtre de frère Jean Parent, religieux du prieuré dudit lieu, dépendant de l’abbaye d’Airvault, qui avait débauché sa femme.

  • B AN JJ. 182, n° 43, fol. 25 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 359-364
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Mery Georget, homme de labour, aagé de vingt et six ans ou environ, demourant à Yray près Thouars, contenant que certain temps a il fut conjoinct par mariage avec Perrine Perraude ; après lequel mariage ainsi fait et consommé, ledit suppliant et sadicte femme ont tousjours tenu leur demeure audit lieu de Yray, où les religieux, abbé et convent d’Ervau ont ung prieuré1 ou chambre d’abbé deppendant de ladicte abbaye, où a continuellement deux ou trois religieux à y faire le service divin, pour ce qu’il y a cure et eglise parroichial. Et de [p. 360] present y sont frère Jehan Parent et frère Jehan Maillart, religieux de ladicte abbaye d’Ervau, qui y ont fait depuis quatre ou cinq ans ença leur continuelle residence. Pendant lequel temps, ledit suppliant est alé souventes foiz à chauffer le four dudit prieuré de Yray, qui est au dedans des clotures d’icellui prieuré, et y faire cuire du pain pour les diz religieux, et aucunes foiz que ledit suppliant estoit audit four, sadicte femme, qui est belle jeune femme, y venoit, mais quant elle y estoit, ledit frère Jehan Parent et autres religieux estans oudit prieuré ne se povoient tenir de l’amonester par parolles deceptives de obeir à leurs mauvaises volentez, et tellement la forgèrent et deceurent lesdiz Parent et autres religieux qui là estoient, que souventes foiz, en l’absence dudit suppliant et à son deceu, ladicte Perrine, sa femme, conversoit et se maintenoit avec ledit Parent et autres religieux demourans audit lieu d’Yray, et tant que ledit suppliant s’apparceut ou fut adverty de la conversacion ou communicacion que sadicte femme avoit avec lesdiz Parent et autres religieux dudit lieu. Et advint que, environ la feste de la Nostre Dame de Mars derrenierement passée a eu ung an, à certain jour dont n’est recors, que ledit suppliant ala labourer en certaines terres qu’il tenoit, et y fut depuis le matin jusques environ vespres ; et pour ce que il estoit las ou autrement, cessa de labourer et s’en retourna à sa maison. Et quant il fut à sadicte maison, pour ce qu’il ne trouva pas sadicte femme, se doubta qu’elle fust alée ausdiz Parent ou autres religieux ; et demanda à Simone, femme de Guillaume Auboyn, mère de sa dicte femme, qui demouroient ensemble, où estoit sadicte femme alée, et elle respondit qu’elle estoit alée assermenter en leur vigne, nommée Maligrate, où le dit suppliant ala ; mais il ne la y trouva point, et se doubta qu’elle fust avec les diz moines, et à ladicte cause incontinent ala ledit suppliant en la forteresse ou place forte dudit lieu d’Yray, où se tenoient lesdiz Parent et autres [p. 361] religieux dudit prieuré. Et quant il y fut sur la muraille, à l’endroit de la chambre du cappitaine dudit lieu, qui est au long et près de ladicte muraille, il oyt et entendit ledit Parent et sadicte femme qui parloient ensemble en ladicte chambre ; dont il fut fort dolant et couroucé et se descendi de dessus ladicte muraille, cuidant aler en ladicte chambre, mais en soy descendant, y trouva ledit frère Jehan Parent et ung nommé frère Jehan Maillart, religieux de ladicte abbaye d’Ervau et prieur curé dudit lieu de Yray, et sa dicte femme tous ensemble. A laquelle il dist telles parolles ou semblables en substance : « A ! je t’ay à cest cop trouvée avec les moines ! » Et lors lesdiz religieux firent fuir ladicte femme dudit suppliant en l’eglise dudit lieu de Yray, où le dit suppliant ala après elle et la cuida en amener hors de ladicte eglise ; mais ledit frère Jehan Parent, qui pareillement entra en ladicte eglise, empescha que ledit suppliant ne l’en enmenast hors de ladicte eglise, et ledit Maillart, qui tenoit l’uys de ladicte eglise entre ouvert, fist tant que ladicte femme s’en sailli de la dicte eglise, et empeschèrent les diz Parent et lui que ledit suppliant ne s’en sortist et yssist de ladicte eglise et alast après sadicte femme, et le y tindrent par aucune espace de temps enfermé. Et après l’en laissèrent yssir, et s’en ala tout dolant et courroucé en sadicte maison, où il ne trouva aucunement sadicte femme. Et lui fut dit qu’elle s’en estoit alée en l’ostel d’un nommé Babin, où elle fut par aucuns jours sans venir devers ledit suppliant. Et après, moiennant aucuns des parens dudit suppliant et de sadicte femme qui oyrent parler de ladicte matière, ledit suppliant fut d’accord de pardonner à sa dicte femme, mais que jamais elle ne conversast avec les diz moines ne autres deshonnestement. Et partant vint ladicte femme dudit suppliant par devers lui, et lui requist pardon et promist de jamais ne y retourner ne converser ; et cogneut et confessa audit suppliant, son mary, qu’elle s’estoit mal gouvernée de son [p. 362] corps, et que lesdiz Parent et Maillart l’avoient tellement deceue et forgée que ilz l’avoient cogneue charnellement, et promist de jamais ne converser ne aler. Semblablement ledit suppliant defendi ausdiz Parent et Maillart, religieux dessus diz, que jamais ne frequentassent et ne se trouvassent avec sadicte femme, et que ilz l’avoient deceue. Et atant se passa le debat d’entre eulx en l’estat, sans ce que ledit suppliant eust depuis aucune noise ou debat ausdiz religieux. Et advint, le jour de la Magdelaine derrenière passée qui fut à jour de dimenche, que ledit curé de Yray mena ses parroissiens en procession à Saint Joyn de Marne, en laquelle procession ladicte femme dudit suppliant ala, et demoura le dit suppliant à l’ostel et se mist à jouer à la paulme pour le vin avec autres compaignons, et joua et se esbatit audit jeu, et aussi ou cimetière dudit lieu, jusques environ soleil couchant ; et pour ce qu’il estoit tart, et après ce qu’il se fut ainsi esbatu oudit cymetière, non pensans aux faultes de sadicte femme ne desdiz frères Jehan Parent et Maillart, religieux dessus diz, print son chemin pour s’en aler et retourner en sadicte maison. Mais en y alant et ainsi qu’il passoit par devant la maison d’un nommé Phelipon Brachu, il apparceut sadicte femme et lesdiz frère Jehan Parent et Maillart, qui estoient ensemble en la court ou alée de l’ostel dudit Brachou, dont il fut fort mary et courroucé, et lui souvint de ce que autres foiz il les avoit trouvez ensemble, et de ce que sadicte femme lui avoit confessé. Et quant sadicte femme l’eut apparceu, elle laissa lesdiz moines et vint droit à l’uys, et une sienne petite fille entre ses braz, pour s’en yssir, mais ledit suppliant ala à l’encontre d’elle en ladicte court, et lui donna deux ou trois cops de la main sur la teste, en la presence desdiz religieux, qui n’en furent pas contens, et mesmement ledit Parent, qui tenoit ung trait d’arbalestre ferré et se mist à venir au devant dudit suppliant, tenant ledit trait en sa main ; lequel suppliant, dolent et couroucié [p. 363] de ce qu’il avoit ainsi trouvée sadicte femme avec iceulx religieux, et esmeu de courouz de ce que autresfoiz ilz l’avoient deceue, pour obvier que ledit Parent ne lui feist aucune chose, print une pierre sur ung petit mur qui estoit en l’alée ou court dudit Brachou, et la getta contre ledit Parent, et de cas d’aventure le ateigny par la teste ung pou au dessus du front, et dudit coup cheut à terre et derechief print ledit suppliant une autre pierre et la getta audit frère Jehan Maillart et l’ateigny par le bras. A l’occasion duquel coup ledit frère Jehan Parent est, comme l’en dit, ung jour ou deux après icellui avenu, par son mauvais gouvernement ou autrement, alé de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays ; et durant ce qu’il a esté ainsi absent, est venu à sa cognoissance que lesdiz abbé et convent d’Ervau2, ou leur procureur, ont fait adjorner par atache ledit suppliant à l’assise d’Yray pour iceulx religieux, et a tellement esté procedé que lesdiz abbé et convent, ou leur procureur, ont contre lui obtenu deux ou trois defaulx et n’y oseroit jamais ledit suppliant retourner, converser ne reppairer ou pays, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties. En nous humblement requerant que, attendu son jeune aage, que ledit cas est avenu de chaude cole, sans aucun propos deliberé [p. 364] ou guet appensé, qu’il a tousjours esté en autres cas de bonne vie, etc., nous lui vueillons sur ce impartir nos dictes graces et misericorde. Pour ce est il que nous, ces choses considerées, voulans en ceste partie misericorde preferer à rigueur de justiee, audit suppliant, etc., avons quicté, remis et pardonné, etc., ensemble lesdiz defaulx, ban et appeaulx qui en seroient contre lui ensuiz avons mis et mettons au neant, etc. Si donnons en mandement par ces presentes à noz bailli de Touraine et des ressors et Exempcions d’Anjou et du Maine, et seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois de mars l’an de grace mil cccc. cinquante troys, et de nostre règne le xxxiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. P. Aude. — Visa. Contentor. N. Dubruel.


1 Irais fut donné, en 971, par Hildeardis d’Aunay, vicomtesse de Thouars, à l’abbaye d’Airvault qu’elle venait de fonder. Le prieur était en même temps curé de la paroisse de Saint-Paul d’Irais et nommé par l’abbé d’Airvault, état de choses qui se perpétua jusqu’à la Révolution. (Beauchet-Filleau, Pouillé du diocèse de Poitiers, p. 284.)

2 L’abbé d’Airvault se nommait alors Pierre. Suivant la Gallia christiana, deux abbés de ce nom se succédèrent entre 1443 et 1456, Pierre II et Pierre III. Le premier est nommé dans une sentence permettant provisoirement à Maubruni de Liniers, chevalier, sr d’Airvault, aux abbé et religieux et aux habitants du lieu de se clore de murs, tours et fossez, ce à quoi la vicomtesse de Thouars était opposante, sous la condition qu’ils démoliraient ces fortifications, si l’arrêt définitif l’ordonnait ainsi. Pierre III conclut un accord avec le même Maubruni de Liniers touchant la justice d’Airvault, pour l’exercer en commun, le 3 avril 1456. On possède aussi un acte d’association ou confraternité passé entre cet abbé et ses chanoines réguliers, d’une part, et Jean, abbé, et les chanoines de Mauléon, le 22 mai 1459. Il était encore à la tête de cette abbaye l’an 1473, date d’un traité entre lui et les moines de Saint-Jouin. (Tome II, col. 1390 ; coll. dom Fonteneau, t. XVII, p. 331 ; XXVI, p. 387.)