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MCCXXXVIII

Rémission accordée à Léonard Chétif, compagnon cordonnier, fixé successivement en différentes localités de Poitou, Limousin et Saintonge, prisonnier à Aulnay pour différents vols, dont l’un commis dans l’église de cette ville.

  • B AN JJ. 185, n° 305, fol. 211 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 334-338
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Leonnard Chetif, aagé de xxv. ans, natif de la ville de Crousant en la conté de la Marche, detenu prisonnier ès prisons d’Aunay, contenant que, lui estant en l’aage [p. 335] de xvi. ans ou environ, il s’en parti dudit lieu de Crousant et s’en vint au lieu de Chauvigny en Poictou, auquel lieu il aprint le mestier de cordouennerie en l’ostel de Marsault Cachon, et après ce qu’il eut demouré audit lieu de Chauvigny l’espace de deux ans ou environ, s’en ala au lieu de Charroux, ou pays de la Basse Marche, et depuis a demouré en pluseurs autres lieux de Poictou et de Limosin, faisant son dit mestier. Et est avenu que quinze jours avant la feste de Penthecouste derrenierement passée, lui et ung nommé Jehannin Picquart, tondeur de draps, demourant à Limoges, Jehanne Frecignaulde, femme dudit Picquart, avecques la fille de laquelle Frecignaulde ledit Leonnart, prisonnier, est fiancé trois ans ou environ, partirent dudit lieu de Limoges pour aler au pardon qui a esté à Xainctes, le lendemain de la Penthecoste. Auquel lieu de Xainctes ilz arrivèrent le vendredi avant la feste de Penthecouste et se logèrent ès forsbours dudit lieu du cousté devers les Dames religieuses1, à l’enseigne de l’Espée, et y demourèrent jusques au jeudi ensuivant, environ heure de midy, qu’ilz s’en partirent dudit lieu de Xainctes et s’en vindrent à coucher à Taillebourg, et le lendemain à disner en ceste ville de Saint Jehan d’Angely, auquel lieu de Saint Jehan d’Angely, ilz demeurèrent jusques à la vigille de la Feste Dieu derrenierement passée, qu’ilz s’en alèrent touz ensemble audit lieu d’Aunay, où ilz arrivèrent environ heure de vespres et se logèrent chex ung nommé Jenneton, et le jour de la Feste Dieu ledit Leonnard et les dessusnommez alèrent oïr la messe en l’eglise parrochialle dudit lieu d’Aunay, et disnèrent chex leur dit hoste. Et quant il fut au soir, alèrent oïr vespres en ladicte eglise, et incontinent que vespres furent dictes et [p. 336] que le peuple fust yssu hors de ladicte eglise, et qu’il n’y demoura seulement que ledit Leonnard, icellui Leonnard vit devant l’image Nostre Dame estant en ladicte eglise une boete ronde de boys fermée d’une claveure de fer ; laquelle boete il print et brula pour savoir s’il y avoit argent ou non. Et, pour ce qu’il cogneut qu’il y avoit de l’argent dedans, il l’arracha avec les mains et le clou qui tient la charnère ou couplet du couvercle de la dicte boete ; et ce fait, print certaine quantité de doubles et esterlins estans en icelle, dont il n’est recors du nombre, lesquelz doubles et esterlins il meist en sa main. Et pour ce que le secretain de la dite eglise vit et apparceut comme ledit Leonnard avoit prins les diz doubles et esterlins en ladicte boete, commença à crier à haulte voix au larron. Par lequel cry le curé de la dicte eglise et ses vicaires, ledit secrestain et autres vindrent audit Leonnard et le prindrent au corps. Et ainsi qu’il les vit venir, il mist les diz doubles et esterlins en sa bouche, où il les tint par aucun temps. Et après ce, l’un des diz chappellains qui apparceut qu’il avoit les diz doubles et esterlins en sa bouche, les luy osta et incontinent le mistrent hors de la dicte eglise. Et tantost vindrent les officiers de la justice dudit lieu d’Aunay qui le mistrent en prison, où il a depuis demeuré et y est encores. Et aussi ledit jour, luy et ung nommé Jehan Moreau, recouvreur, natif du païs de Berry, estant lors audit lieu d’Aunay, avec lequel icellui Leonnard avoit beu à la taverne ledit jour, alèrent ensemble en l’ostel dudit curé d’Aunay et prindrent ou truel ou pressouer dudit curé quinze ou seze oefz, lesquelz ledit Leonnard mist en son chappeau et les apporta en une petite chappelle estant ou cimistère dudit lieu d’Aunay. En laquelle chappelle il laissa les diz œufz et son dit chappeau, en esperance de les aler querir devers le soir. Et avec ce a dit et confessé que, par avant ce que dit est et la vigille de la feste Nostre Dame de septembre derrenierement passée, [p. 337] luy estant au lieu de la Couronne, auquel avoit lors grant assemblée de gens pour le pardon qui y estoit, il print, environ l’eure de mynuit, en la bourse d’une bonne femme estant lors en l’eglise dudit lieu de la Couronne, certaine somme d’argent montant à quinze ou vingt solz, et pour ce que la dicte bonne femme sentit et apparceut qu’il luy avoit prins son dit argent, se escria en disant au larron ; moiennant lequel cry il gecta ledit argent qu’il avoit prins en ung pannier, ouquel ladicte bonne femme avoit des chandelles de cire pour vendre. Et incontinent survindrent des religieux dudit lieu de la Couronne, qui le prindrent et le mirent ès septz où il fut jusques au lendemain. Et pour ce que ladicte femme ne se plaignoit point de luy, ledit abbé le laissa aler. Et en oultre sept ou huit jours paravant qu’il partist dudit lieu de Limoges pour venir audit lieu de Xaintes, il marchanda avec ung mercier demourant audit lieu de Limoges, près des banqs dudit lieu, nommé Lepicart, ungs cousteaux garniz d’argent ; et pour ce que ledit Picquart ne les lui voult bailler pour le pris qu’il en offroit, ainsi que icellui mercier entendoit à faire sa marchandise à ung homme de guerre qu’il ne congnessoit, ledit Leonnard print iceulx cousteaulx et les emporta. Et depuis les a baillez à la mère de sadite fiencée. A l’occasion desquelz cas, ledit Leonnard est detenu prisonnier, comme dit est, ès prisons dudit lieu d’Aunay, et par ce est en voye de y estre rigoureusement pugny par justice. Et pour ce nous ont lesdis supplians humblement supplié et requis que, attendu que ledit Leonnard est simple homme et estoit à l’eure qu’il fist les diz cas souffreteux et indigent, que en autres cas il est homme bien famé et renommé, non attaint ou convaincu d’aucun vilain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise sur ce luy impartir noz grace et misericorde. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit Leonnard, prisonnier, avons ou cas dessus dit remis, [p. 338] quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, aux seneschaulx de Xanctonge et de Limosin et à tous noz autres justiciers, etc., pourveu qu’il sera batu de verges ès dictes prisons. Donné à Saint Jehan d’Angely, ou mois de juing l’an de grace mil cccc. cinquante trois, et de nostre règne le xxxie.

Ainsi signé : Par le roy, l’evesque de Magalonne2, maistre Guy Bernard3 et autres presens. De La Loère. — Visa. Contentor.


1 L’abbaye de Notre-Dame hors des murs de Saintes, monastère de femmes de l’ordre de Saint-Benoît, fut fondé, en 1047, par Geoffroy Martel, comte d’Anjou, et Agnès, son épouse, duchesse d’Aquitaine. L’abbesse, à cette époque, était Jeanne de Villars, de 1438 à 1484. (Gallia christ., t. II, col. 1127, 1129.)

2 Robert de Rouvres, conseiller au Grand Conseil, fut évêque de Maguelonne du 4 mars 1438 à décembre 1453. Il avait été précédemment évêque de Séez.

3 Guy Bernard, fils d’Étienne Bernard, dit Moreau, receveur général des aides, était archidiacre de Tours et abbé de Saint-Rémy de Reims. Nommé maître des requêtes de l’hôtel par lettres du 2 novembre 1439, au lieu de Jean Bernard, son oncle, pourvu alors de l’archevêché de Tours, il fut, en 1448, l’un des ambassadeurs de Charles VII à Rome, auprès du pape Nicolas V, puis (janvier 1451), auprès du duc de Bourgogne. Évêque duc de Langres à la fin de cette année 1453, chancelier de l’ordre de Saint-Michel, en 1469, il mourut fort âgé le 28 avril 1481. (Blanchard, Les généalogies des Maistres des Requestes, in-fol., p. 153 ; Gallia christ., t. IV, col. 629 ; de Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. IV, p. 275, 278 ; t. V, p. 223, 237, 251, 336.) Georges Chastellain dit que Guy Bernard était « homme bien notable et discret, bon clerc et de grant auctorité au Conseil du roi ». (Tome III, p. 33.)