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MCLVII

Rémission accordée à Jean Sabouraud, dit de la Gassote, hôtelier du faubourg Saint-Saturnin de Poitiers, commis à la recette de l’aide dernièrement imposée pour le vivre des gens d’armes, qui avait été cause de la mort d’Aimery Galippeau, demeurant audit faubourg, en le frappant sur la tête par manière de plaisanterie.

  • B AN JJ. 179, n° 120, fol. 63
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 58-64
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amys charnelz de Jehan Sabouraud, dit de la Gassote, povre marchant et hostellier, chargié de femme, demourant en la parroisse de Saint Saournin hors les murs de nostre ville de Poictiers, contenant que ledit Jehan Sabouraud avecques Guillaume Millaud de la dicte parroisse a esté commis à recevoir et lever de par nous la part et porcion à quoy les manans et habitans d’icelle parroisse ont esté tauxez et imposez à cause de la taille ou aide derrenierement mise sus de par nous en nostre païs et conté de Poictou, pour le vivre des gens d’armes1 ; et pour ce que audit Sabouraud convenoit [p. 59] faire avancer le paiement de ladicte part et porcion à quoy lesdiz manans et habitans avoient esté tauxez et imposez dudit aide, et qu’il estoit tenu d’en respondre et rendre compte au receveur à ce commis, icelui Sabouraud, acompaignié de Jehan Angibaud, dit Peyrard, nostre sergent en nostre dit conté de Poictou, le mardi second jour de ce present mois d’avril, se transporta, entre autres lieux, à l’ostel de Aymery Galippeau, habitant et demourant en ladicte parroisse de Saint Saournin, qui devoit pour son taux de ladicte taille ou aide dix solz tournois. Lequel Aymery il trouva en la rue devant sondit hostel, et lui demanda et requist, en la presence dudit Peyrard, nostre sergent, qu’il lui paiast lesdiz dix solz tournois ; et lors ledit Aymery lui respondy qu’ilz estoient tous prestz et qu’il les porteroit en l’ostel dudit Jehan Sabouraud. Et incontinant s’en retournerent lesdiz Sabouraud et nostre sergent, et s’en vindrent en l’ostel dudit Sabouraud où il y a hostellerie publicque, et peu après y vint aussi ledit Aymery Galippeau, qui y apporta lesdiz dix solz tournois et les paia audit Sabouraud ; et disna avecques icelui Sabouraud et nostre dit sergent, et despendirent et furent chascun d’eulx à quinze deniers pour leur disner. Et quant ledit Sabouraud [p. 60] demanda et dist audit Galippeau qu’il paiast lesdiz xv. deniers que illecques en la compaignie il avoit despenduz pour son dit disner, icelui Galippeau dist et respondy que il n’avoit point d’argent, et aussi qu’il n’en devoit pas autant paier. A quoy ledit Sabouraud lui dist que si faisoit et que, se on lui faisoit son devoir, attendu qu’il avoit tousjours fouy et delayé à paier son dit taux, jusques à ce qu’il avoit veu nostre dit sergent qui aloit à son dit hostel pour le executer, il paieroit tout l’escot et que il devroit paier pour nostre dit sergent. Et au derrenier après plusieurs parolles entre eulx dictes, se condescendy et fut contens ledit Galippeau de paier pour sondit disner lesdiz quinze deniers, en disant que il avoit bon gaige. Lequel Sabouraud lui demanda quel gaige il avoit à bailler, et ledit Galippeau lui respondy qu’il avoit son chapperon ; et lors lui bailla son dit chapperon qui estoit de drap pers en gaige desdiz quinze deniers tournois ; lequel chapperon ledit Sabouraud print et le mist en son armoise ou bufet soubz la clef. Et quant ilz eurent disné, avant que ilz partissent de table, icelui Aymery Galippeau dist que il donneroit pinte de vin à nostre dit sergent et la fist apporter. Et lors que la dicte pinte de vin fut apportée, ledit Sabouraud lui dist teles paroles ou semblables : « Aymery, ce sont vingt deniers tournois que à present vous me devez, Que il vous en souviengne ! » Et après que le vin fut beu, nostre dit sergent s’en departy et s’en ala hors dudit hostel, où bon lui sembla, et laissa ilecques encores icelui Galippeau avecques ledit Sabouraud et sa femme. Et après que nostre dit sergent s’en fut alé, icelui Galippeau demanda et requist audit Sabouraud que il lui baillast son dit chapperon, et qu’il ne s’en oseroit aler la teste nue à son dit hostel, pour doubte de sa femme. Auquel Aymery ledit Sabouraud respondy qu’il ne lui bailleroit point sans argent ou sans tesmoings. Lequel Galippeau lors ala querir ung appellé Holier Gaultier, mareschal, seulement, et l’admena avecques [p. 61] lui en l’ostel dudit Sabouraud ; et quant ilz furent venuz, icelui Aymery Galippeau demanda que l’on lui apportast encores pinte de vin, qui lui fut apportée. Laquelle pinte de vin ilz beurent tous ensemble, et quant ledit vin fut beu, ledit Aymery demanda son dit chapperon comme devant ; et icelui Sabouraud lui respondy que il n’avoit admené que ung seul tesmoing, et que il n’en auroit point s’il n’avoit argent content. Et lors ledit Galippeau dist à la dicte femme d’icelui Sabouraud qu’elle lui prestast, et icelui Sabouraud son mary lui defendy, comment que ce feust, qu’elle ne lui prestast riens. A quoy ledit Galippeau dist qu’il ne s’en yroit point la teste nue, et icelui Sabouraud lui respondy qu’il s’en rapportoit à lui. Et ainsi comme les diz Galippeau et Sabouraud, qui lors estoient assez embeuz de vin, avoient ensemble debat et estrif dudit chapperon, icelui Galippeau, après plusieurs parolles par lui dictes, dist au derrenier qu’il s’en yroit bien la teste nue et que il avoit encores la teste plus dure et plus forte que n’avoit ledit Sabouraud ; et demanda audit Sabouraud s’il vouloit point hurter et frapper de sa teste contre la sienne, et il lui respondy qu’il ne lui fauldroit point. Et incontinant icelui Sabouraud, tendant à soy esbatre et passer temps avec ledit Galippeau et non autrement, demanda à sa dicte femme qu’elle lui baillast ung couvrechief. Laquelle desirant à tout son povoir, et voyant que l’un et l’autre estoient assez eschauffez et embeuz de vin, à les departir, dist à son dit mary qu’elle ne lui en bailleroit point ; toutesfoiz au derrenier, afin qu’il ne s’esmeust et eschauffast par yre et courroux envers elle, lui bailla ledit couvrechief, non saichant qu’il en vouloit faire. Et lors ledit Sabouraud, ainsi tenant en sa main icelui couvrechief, s’en yssy hors de la chambre, où ilz estoient encores, et s’en entra en sa cuisine, et ilecques il print une escuelle de bois toute ronde, laquelle il mist sur sa teste par dessoubz ledit couvrechief, doubtant que ledit Galippeau qui estoit robuste [p. 62] et fort homme de peine et de labour, eust la teste plus dure et forte que lui, ainsi comme il lui avoit par avant dit, comme dit est ; et quant ledit Sabouraud eust ainsi sa teste aprestée pour hurter et frapper, lors s’en yssy et sailly hors de sa dicte cuisine et s’en entra en la dicte chambre où estoit icelui Galippeau. Et lors ledit Sabouraud demanda audit Galippeau s’il vouloit et estoit prest de hurter ; lequel lui respondy que oy. Et adoncques et en ce conflict hurtèrent et frappèrent l’un contre l’autre de leurs testes, une foiz seulement, par manière de esbatement et non autrement, non tendant et non croyant ledit Sabouraud en bonne verité et conscience faire pour ce chose audit Galippeau par quoy sa personne et son corps feussent et deussent piz valoir ou temps avenir, mais par manière d’esbatement seulement, à la première requeste dudit Galippeau, comme dit est. Et après qu’ilz eurent ainsi hurté ensemble, dist ledit Galippeau audit Sabouraud teles parolles ou semblables : « Tu m’as fait grand mal. Je tiens que tu as la teste armée ! » Et ledit Sabouraud, de ce moult dolant et courroucié, cuidant que en faisant ce il lui eust fait mal, lui dist et respondy que non avoit. Et puis après ce fait, demanda icelui Galippeau à avoir sondit chapperon ; et pour ce que le dit Sabouraud ne lui voult bailler sans argent ou sans presence de tesmoings, il lui dist teles parolles ou semblables : « Va t’en chier ! J’en ay bien ung autre meilleur que n’est cellui que tu as ». Et lors s’en ala et departy dudit hostel ledit Galippeau, en disant : « Je ne le te demanderay plus ». Et lors ledit Sabouraud lui dist que il s’en alast doncques, de par Dieu, ou bon lui sembleroit. Et d’ilecques s’en ala icelui Galippeau, sans soy autrement douloir ne plaindre de la dicte hurterye, en l’ostel dudit Guillaume Maillaud, aussi hostellier, où il fut et demoura l’espace d’une heure et plus, en passant temps, en la compaignie de gens d’estat et d’onneur qui ilecques s’esbatoient et passoient le temps, où ledit Galippeau beut [p. 63] et menga, et fist bonne chière et joyeuse, sans faire manière de courroux ne de tristresse, ne autrement soy douloir ne plaindre d’aucun mal. Et ilec dist audit Guillaume Maillaud et autres qui lors y estoient presens, que ledit Sabouraud et lui avoient hurté ensemble, et que il lui avoit en ce faisant fait une enseigne ou front, qu’il monstra ilecques, où il avoit ung petit de sang. Et quant ledit Aymery Galippeau s’en voult partir et aler hors de l’ostel dudit Maillaud, il dist audit Maillaud que il venist soupper avecques lui et en son hostel. Lequel Guillaume Maillaud, pour lui faire plaisir, y ala, et lui fist très bonne chière icelui Galippeau, en ryant et se gabant, et comme gens font aucunes foiz bonne chière et ont acoustumé de faire, quant ilz ont gens aconvy en leur hostel, sans soy plaindre ne douloir aucunement par semblance. Et il soit ainsi que depuis, par cas de malaccident ou par default de bonne garde et bon gouvernement, et autrement, comme il a pleu à Dieu, ledit Aymery Galippeau soit cheu malade au lict, de laquelle maladie il soit alé de vie à trespassement, le xie jour de ce dit present mois d’avril. A l’occasion duquel cas ainsi advenu, et pour ce aussi que, quant l’on apporta le corps de Nostre Seigneur Jhesu Crist à recevoir audit Galippeau, icelui Galippeau couchié et troublé du grant mal que il avoit et enduroit lors, ou autrement, dist teles parolles ou semblables en substance : « Je suis icy pour Jehan Sabouraud et, se je muers, je muers pour lui », et que lors le chappellain qui lui avoit apporté le corps Nostre Seigneur lui respondy teles parolles ou semblables en effect et substance : « Mon amy, ne chargez point vostre conscience, s’il n’est ainsi, car vous feriez grant pechié », et que adoncques ledit Galippeau dist audit chappellain sur le peril de son ame et par le Dieu que il attendoit à recevoir, il est ainsi comme il le disoit, mais, quant estoit de lui, il lui pardonnoit, et que en celle voulenté ledit Galippeau est alé de vie à trespassement ; ledit Jehan Sabouraud, dit de la Gassote, [p. 64] a esté prins et mené prisonnier, par auctorité de justice, en noz prisons de la Conciergerie de nostre Palais à Poictiers, où il est detenu prisonnier à grant povreté et misère. Et doubtent lesdiz supplians que par ce il fine miserablement ses jours, ou autrement qu’il soit moult rigoureusement travaillé ou molesté, en corps et en biens, par rigueur de justice, se nostre grace ne lui estoit sur ce briefment impartie, si comme dient lesdiz supplians. Requerans humblement que, comme en tous autres cas, etc., et qu’il ait esté et soit de tout son cuer moult courroucié, desplaisant et merry de la mort ainsi advenue en la personne dudit feu Aymery Galippeau, nous sur ce lui vueillons impartir nostre dicte grace. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde estre preferée à rigueur de justice, audit Jehan Sabouraud, dit de la Gassote, avons, etc., quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. quarante et huit, et de nostre règne le xxvie après Pasques.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Dubeuf. — Visa. Contentor. Ja. de La Garde.


1 Lors de la réforme militaire accomplie par Charles VII, les bandes d’aventuriers indisciplinés furent licenciées et remplacées par une armée régulière, composée de compagnies dites d’ordonnance, sous des chefs connus, responsables de leurs hommes et choisis par le roi, qui devaient non plus tenir les champs, mais être logés dans les bonnes villes de tous les pays du royaume. Les vivres et la solde étaient à la charge des habitants, sur lesquels une taille spéciale était imposée à cet effet. Les compagnies mises alors en garnison dans le Poitou présentaient un effectif de 1140 hommes d’armes et de trait. « Avons ordonné que ou païs du Poictou seront logés ixxx x. lances et les archers, c’est assavoir soubz nostre amé et feal le seneschal dudit païs cent lances, soubz le mareschal de Loheac, au Bas Poictou, lx. lances, et trente lances du nombre de Floquet, et les archers, qui font ensemble, à trois personnes et trois chevaulx pour lance, et pour deux archers, trois personnes et trois chevaulx, xic xl. personnes et autant de chevaulx. » Suit un règlement minutieux des vivres à fournir aux uns et aux autres par les gens du pays. Ces dispositions sont rappelées dans des lettres patentes de Charles VII, datées de Luppé-le-Châtel, le 26 mai 1445, donnant commission à Guillaume Gouge de Charpaignes, évêque de Poitiers, au sénéchal de Limousin, à Jean Lebourcier, chevalier, Maurice Claveurier, lieutenant du sénéchal, Jean Chevrier et aux élus sur le fait des aides en Poitou, « pour adviser aux lieux et places qui sembleront plus convenables et propices pour le logeis des dictes gens d’armes et avecques ce pour asseoir, mettre sus et imposer sur tous lesdiz païs le plus justement et egalement que faire se pourra, le fort portant le foible, les vivres et argent qui leur seront necessaires, … et iceulx faire cueillir, lever et venir ens et distribuer ausdictes gens d’armes, etc. » Le texte de cette ordonnance a été publié par M.E. Cosneau, Le connétable de Richemont, p. 610.