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MCLII

Rémission accordée à Jean Gourmont, d’Argentières près Saint-Maixent, coupable du meurtre de Jean Redien, à la suite d’une discussion survenue à propos du droit de cuisson des tuiles au four dit du Pré-Chevalier.

  • B AN JJ. 179, n° 56, fol. 28 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 45-48
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Gourmond, du villaige et lieu d’Argentières1 près Saint Maixant, en nostre païs de Poictou, povre homme, tyeulier, chargié de femme et de [p. 46] trois petis enfans, contenant que, pour gangner la vie de lui, ses diz femme et enfans, il a acoustumé de soy entremettre de faire faire tyeules ondit villaige d’Argentières, auquel il a plusieurs fours pour cuire la tieule et chaulx que font les habitans oudit villaige et où chascun d’eulx puet licitement, l’un comme l’autre, mettre sa tieule et chaulx, et encore qui plus est, quant aucun a ses dictes tieules et chaulx prestes pour les mettre ès diz fours, faire le puet, sans ce que aucun autre lui puisse en ce mettre ou donner empeschement, en paiant toutes voyes pour les dictes fournées les devoirs acoustumez aux seigneurs desquelz les diz fours sont tenuz et mouvans. Entre lesquelz fours qui sont en icelle tieulerie en y a ung appelle le four du Pré Chevalier, ou quel ledit suppliant avoit acoustumé de cuire ses tieules, quant elles estoient prestes et disposées à cuire ; et semblablement le faisoient ung nommé Jehan Redien et plusieurs autres habitans dudit lieu d’Argentières. Si est ainsi que, ou mois d’aoust derrenier passé, en la sepmaine en laquelle fut la feste saint Bertholomé, ledit suppliant qui avoit certaine quantité de tieules prestes à cuire, lesquelles il avoit promises rendre à plusieurs et diverses personnes, se tira par devers ledit Redien, et en la presence de plusieurs gens et tesmoings dignes de foy, luy dist que son entencion estoit de chauffer ledit four du Pré Chevalier en ladicte sepmaine d’icelle feste saint Bartholomé ensuivant, pour faire cuire ses tieules et chaulx, ou cas que ledit Redien ne le vouldroit chauffer en icelle sepmaine, toutesvoyes se chauffer le vouloit, qu’il le feist de par Dieu, et qu’il n’y mettroit point d’empeschement. Aus quelles parolles ledit Redien dist et fist response audit suppliant qu’il ne vouloit point chauffer ledit four en ladicte sepmaine et qu’il se accordoit bien qu’il le chauffast, moyennant ce que, incontinant après icelle sepmaine passée, il lui delivrast et desempeschast ledit four, ce que semblablement lui accorda ledit suppliant. [p. 47] Lesquelles parolles finées, ledit suppliant [et ledit Redien se separerent2] d’ensemble et alerent chascun d’eulx en leurs besoignes et affaires. Et après ce, le xixe jour d’aoust derrenier passé, icellui suppliant, soy disposant à apporter sa tieule et pierre devant le four pour la faire cuire, ilec survint ledit Jehan Redien qui, non obstant les dictes parolles avant dictes, commença à causer et arguer ledit suppliant, pour ce qu’il faisoit les diz approuchemens des dictes pierres vers et près dudit four. Lequel lui fist response, ainsi que vray estoit, que par les parolles devant dictes qu’ilz avoient eues ensemble, il devoit chauffer ladicte sepmaine de la feste saint Bartholomé ; mais ce neantmoins ledit Redien en continuant tousjours ses grosses [parolles], arguoit et injurioit très fort ledist suppliant. Lequel, quant il se vit ainsi argué, lui dist qu’il s’en alast et ne l’injuriast point, en faisant sa besongne, ce que ne voult faire ledit Redien, mais tousjours persevera en l’appellant traistre, larron et plusieurs autres injurieuses parolles. Lesquelles oyant ledit suppliant, et estant et faisant sa besongne, considerant le consentement dudit Redien, print ung baston, duquel il frappa ung coup seulement, sans point retourner, ledit Redien parmy la teste, non cuidant le frapper à mort. A l’occasion duquel coup, icellui Redien ala ledit jour de vie à trespassement. Et pour doubte de rigueur de justice, icellui suppliant s’est absenté du pays et n’y oseroit jamais bonnement ne seurement demourer ne converser, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, etc., en nous suppliant humblement, etc. Pour ce est il que nous, ayans pitié et compassion, etc., à icellui Jehan Gourmond suppliant oudit cas avons, etc., quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou [p. 48] mois de janvier l’an de grace mil cccc. quarante et sept, et de nostre règne le xxvie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. Burdelot. — Visa. Contentor. P. Le Picart.


1 Cette localité où, comme on l’apprend ici, l’industrie de la tuile était florissante et alimentait de nombreux fours, était qualifiée ville dans les aveux du xve siècle. « Aveu de la ville d’Argentières et de ses appartenances dans la paroisse de Prailhes, tenue du chastel de Saint Maixent à hommage lige, au devoir de fournir au seigneur de Saint Maixent un homme d’armes dans le temps de sa chevauchée entre les rivières de Loire et de Dordogne. » La seigneurie appartenait au xive siècle à la branche d’Hérisson de la famille d’Argenton. Jeanne (MM. Beauchet-Filleau la nomment Marie), fille unique de Jean d’Argenton, sieur d’Hérisson, et de Charlotte de Melle, l’apporta à son premier mari, Guillaume de Martreuil, écuyer, qui en rendit aveu à Jean duc de Berry, le 24 août 1408. (Arch. nat., R1* 2172, p. 971.) Leur fille, Jeanne de Martreuil, en fut héritière, et ses deux maris, Antoine de Vivonne, sieur de Bougouin, et Aymar de La Rochefoucauld, sieur de Montbason, furent à cause d’elle successivement seigneurs d’Argentières. Ce dernier, 3e fils de Guy VIII, seigneur de La Rochefoucauld, et de sa seconde femme, Marguerite de Craon, en fit à son tour l’aveu, le 25 juin 1443, à Charles d’Anjou, comte du Maine, seigneur de Saint-Maixent. (Arch. nat., P. 5193, cote xiiiic lxix.) L’aînée des trois filles d’Aymar et de Jeanne de Martreuil, Françoise, fut ensuite dame d’Argentières après la mort de sa mère et de son frère Jean, décédé sans alliance en 1465, et épousa Jean d’Estouteville, sieur de Torcy, grand-maître des arbalétriers de France, troisième fils de Guillaume d’Estouteville, sieur de Blainville et de Torcy. L’aveu que ce dernier, au nom de sa femme, fit de ce fief, le 19 novembre 1483, est conservé aussi dans les archives de la Chambre des comptes de Paris (P. 5543, cote iiic liii bis).

2 Mots nécessaires au sens, suppléés et placés entre crochets.