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MCLVIII

Rémission accordée à Maurice Brunet, natif de Pouzauges, recherché pour plusieurs vols tant au détriment des abbé et religieux de Marmoutier que d’autres personnes, en divers lieux.

  • B AN JJ. 179, n° 214, fol. 121
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 64-71
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion de Maurice Brunet1, contenant que, [p. 65] en l’an cccc. et seize, ledit suppliant qui lors estoit jeune de sens et d’aage, meu et plein de l’ennemy, se transporta avecques aucuns autres ses complices et aliez en l’abbaye de Mairemoustier près nostre ville de Tours et prindrent en une armaise estant dedens le reffectouer de ladicte abbaye xxii. tasses et xviii. cuilliers, le tout d’argent, pesans xxiiii. marcs d’argent ou environ, appartenans au convent de ladicte abbaye, desquelles choses ledit Maurice suppliant eut pour sa part dix tasses, ainsi que depuis il a confessé devant l’official de Nantes, ouquel lieu ledit suppliant, à l’occasion dudit delit, fut prins et arresté par certaine espace de temps, et depuis s’en party et eschappa dudit lieu de Nantes, sans faire audit convent aucune satisfacion ou restitucion desdictes choses. Par quoy iceulx religieux impetrèrent à l’encontre dudit suppliant certaines lettres royaulx, par vertu desquelles ilz firent prendre par execucion sur ledit suppliant, en la ville de Pousauges, dont il est natif, certains draps de laine appartenans audit suppliant, lesquelz furent venduz au plus offrant et derrenier encherisseur, et des deniers qui en yssirent furent iceulx religieux paiez de la plus grant partie des dictes choses. Et certain temps [après] ledit suppliant, pour doubte d’estre pugny et actaint dudit delit, se party et absenta du païs et s’en ala en la ville d’Avignon, où il se mist à servir ung maistre ; et cependant se acointa d’une jeune femme nommée Fremine, de la cité de Uzestz, laquelle Fremine se tint par aucun temps avecques lui. Et après, [afin] que son dit maistre ne se apparceust de son dit fait et qu’il n’en eust aucun blasme, reprouche ou deshonneur, il la bouta hors [p. 66] de l’ostel de son dit maistre et la mist en l’ostel d’un sien amy, et là lui faisoit ses despens. Et après ce qu’il l’eust ainsi mise dehors, comme dit est, ung presbtre, demourant en la dicte ville d’Avignon, nommé Thomas Troté, aagié de soixante ans ou environ, se acointa de ladicte Fremine, et telement que, durant certain temps que ledit Maurice ala dudit lieu d’Avignon à Thoulouse et à Carcassonne pour le fait et par l’ordonnance de son dit maistre, ledit Thomas Trotet mena ladicte Fremine en sa maison, et la tint bien par ung mois et plus ; et quant il savoit que ledit Maurice estoit retourné, il la remettoit secretement où il l’avoit prinse. Et afin qu’il peust plus seurement joir de la dicte Fremine et sans dangier, il trouva manière de soy acointer et faire congnoistre audit suppliant, et le fist boire et mengier en sa maison, et lui pria qu’il lui laissast en garde ladicte Fremine, dont ledit Maurice suppliant fut content et d’accord. Et pour tenir ladicte Fremine en amour, ledit Trotet qui estoit aagié et ancien, comme dit est, lui monstroit chascun jour grant foison d’or et d’argent, partie duquel estoit sien et l’autre il l’avoit en garde. Lequel Trotet tint bien la dicte femme par l’espace de trois mois ou environ, durant lequel temps ledit suppliant aloit et frequantoit souvent en l’ostel dudit Trotet, et à sa prière et requeste. Et en l’an mil CCCC. XXVIII, à l’instigacion et pourchaz de ladicte Fremine, ledit suppliant meu et plain de temptacion dyabolique, acompaigné d’un nommé Robin Cocherel, lequel estoit clerc de l’eglise de Saint Didier dudit lieu d’Avignon, prindrent et emblèrent furtivement en l’ostel dudit Trotet, à son desceu et absence, trois mil moutons, douze cens escuz d’or, douze tasses et vingt cuilliers d’argent. Et ce fait, s’en partirent secretement de ladicte ville d’Avignon lesdiz suppliant et Cocherel, et alèrent ensemble ou pays de Savoye, et departirent ensemble leur dit larrecin. Et ce fait, ledit suppliant se mist à chemin et s’en vint en nostre ville de la Rochelle, et apporta la part [p. 67] et porcion qu’il avoit eue desdictes choses. Lequel suppliant, ainsi estant en ladicte ville de la Rochelle, fut poursuivy et actaint pour ledit delit par maistre Jehan Merichon2, de la dicte ville de la Rochelle, qui disoit et acertenoit [p. 68] [que] ladicte chevance ainsi furtivement prinse et emblée par lesdiz suppliant et Cocherel, lui competoit et appartenoit, et qu’il l’avoit baillée en garde audit Trotet ; et telement que par le moyen de la poursuite que fist ledit Merichon, icelui suppliant fut contraint lui rendre et restituer partie desdictes sommes d’or et d’argent et vaisselle d’argent ; et pour ce que ledit suppliant n’avoit lors pas puissance de tout restituer, il se obliga envers ledit Merichon pour tout le surplus des dictes choses en la somme de six cens moutons et cent dix escus d’or ; et de ce furent faictes et passées lettres obligatoires soubz le seel royal de la dicte ville de la Rochelle. Par vertu desquelles ledit Merichon, pour estre paié et satisfait des dictes sommes, fist depuis convenir et adjourner ledit suppliant. Et pour ce qu’il estoit hors et absent du païs, il eut recours sur [p. 69] ses biens et heritaiges, et les fist mettre en cryées et subhastacions ; ausquelles cryées et subhastacion les diz religieux abbé et convent de Mairemoustier se opposèrent, disans que les biens dudit Maurice suppliant leur estoient premierement affectz et obligiez par le delit dessus dit, par lui et ses diz complices commis en ladicte abbaye, que audit Merichon, et que par sentence diffinitive donnée contre lui par nostre bailly de Touraine ou son lieutenant il avoit esté condempné envers eulx.

A l’occasion des quelles choses se meut procès par devant nos amez et feaulx conseillers les maistres des requestes de nostre hostel, lors estans à Poictiers, entre lesdiz de Mairemoustier, d’une part, et ledit Jehan Merichon, d’autre. Et finablement icelles parties, pour evicter plaiz et procès, paix et amour nourrir entre elles, accordèrent et appoinctèrent ensemble de et sur leurs diz debatz en tele manière que iceulx religieux, abbé et convent de Mairemoustier cedèrent, transportèrent et delaissèrent audit Merichon et à son proufit tous les droiz, noms, raisons, actions et poursuites qu’ilz avoient et povoient avoir et demander contre ledit suppliant ne en ses biens et heritaiges, pour occasion dudit delit, sans ce que jamais ilz lui en peussent aucune chose demander, moyennant la somme de vingt deux royaulx d’or comptens. Laquelle leur fut dès lors baillée et nombrée comptent par ung nommé maistre Guillaume Le Baudroyer, pour et ou nom dudit Merichon, comme l’en dit ces choses plus à plain apparoir par les lettres dudit accord sur ce faictes et passées. Et depuis Pasques derrenierement passées, ledit suppliant, desirant retourner et demourer en sa nacion, est venu par devers ledit Merichon, en lui priant et requerant qui lui pleust faire aucune grace, à celle fin qu’il peust retourner en sa dicte nacion. Lequel Merichon, meu de pitié et aumosne et à la requeste et prière d’aucuns des parens et amys dudit suppliant, lui a remis et quicté toute la debte, raison et action qu’il avoit et povoit avoir à l’encontre de [p. 70] lui, tant à l’occasion du transport qu’il avoit eu desdiz religieux de Mairemoustier, que pour raison de l’obligacion qu’il avoit sur lui pour cause dudit delit par lui commis audit lieu d’Avignon, moyennant la somme de cent livres tournois, en laquelle ledit suppliant s’est obligié envers ledit Merichon, comme l’en dit plus à plein apparoir par lettres sur ce faictes et passées soubz le seel des contractz de la dicte ville de la Rochelle. Et combien que ledit suppliant ait satisfait à ses parties ou au moins finé et composé comme dit est, et n’y ait personne qui à l’occasion des diz deliz se face partie à l’encontre de lui, et ait grant desir et affection de retourner et demourer en sa nacion, et vivre avec ses amys bien et honnestement, mais neantmoins pour doubte qu’il a que nostre procureur ou autres noz officiers lui feissent ou temps avenir question et demande pour raison desdiz excès et delitz, et voulsissent à ceste occasion proceder contre lui à pugnicion corporelle ou autrement rigoreusement, n’oseroit jamais bonnement retourner, converser ne demourer oudit païs, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu que à l’occasion des diz deliz il a fait et composé à ses parties, comme dit est, et n’y a personne qui contre lui se face partie, que en ce n’a mort, mutilacion ne mahaing, que à l’occasion des diz cas il a longuement esté fuitif et absent, et que durant son absence il nous a bien et loyaument serviz en noz guerres, tant à Tartaz3, Dyeppe4, que autre part, et que en tous autres cas il a esté et est de bonne fame, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actaint d’aucun [p. 71] vilain cas, blasme ou reprouche, et est contrict et repentent d’iceulx deliz avoir commis, et a ferme esperance et entencion de jamais ne retourner, il nous plaise sur ce lui impartir icelles. Pour quoy nous, etc., à icelui suppliant ou cas dessus dit avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux bailli de Touraine et des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine, seneschal de Poictou, gouverneur de la Rochelle, et à tous noz autres justiciers et officiers, etc. Donné à Tours, ou mois de may l’an de grace mil iiiic xlviii, et de nostre règne le xxvie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Giraudeau. — Visa. Contentor. P. Le Picart.


1 La famille Brunet paraît avoir tenu un certain rang à Pouzauges. Un Nicolas Brunet en était châtelain, l’an 1407, pour Miles de Thouars, seigneur de Pouzauges et de Tiffauges. A cette date, il était poursuivi au Parlement par un nommé Guillaume Souquot, qui l’accusait de l’avoir fait battre, au marché de cette ville, par André Galot, valet de guerre, et d’être, avec d’autres officiers du seigneur de Pouzauges, complice de Jean Doineau, qui avait mis le feu à un moulin appartenant au plaignant (30 mai et 6 juin 1407, Arch. nat., X2a 14, fol. 382 v° et 385). Vers 1430, ce Nicolas Brunet ou l’un de ses parents rendit hommage à Richemont, seigneur de Parthenay, de ce qu’il possédait en la terre de Saint-Mesmin (con de Pouzauges), c’est à savoir les tènements de la Bretinière, de la Passière et de la Passedoyetière. (Id., R1* 190, fol. 241.)

2 Jean Mérichon, pourvu de l’office d’élu en Poitou, à la nomination du duc de Berry, par lettres données à Paris, le 25 mars 1416 n.s. (Bibl. nat., ms. fr. 28417, Pièces orig. n° 1933, p. 1), secrétaire du roi, conseiller et maître des comptes de Charles VII, deux fois maire de la Rochelle, en 1419 et en 1426 (Amos Barbot, Hist. de la Rochelle, Arch. hist. de la Saintonge et de l’Aunis, t. XIV, p. 277, 291), est mentionné en qualité de gouverneur de cette ville (sans doute gouverneur de la justice, titre donné au sénéchal) dans un curieux procès jugé au Parlement de Poitiers, en 1424, contre un groupe d’habitants de la Rochelle, coupables de menées séditieuses ayant pour but, semblait-il, de mettre la place au pouvoir de la faction bourguignonne, affaire dont les historiens de la Rochelle ne disent rien. (Arch. nat., X2a 18, fol. 47 et suiv.) Il avait épousé Jeanne Berland, dame en partie des Halles de Poitiers, petite-fille d’Herbert III Berland, le fondateur du couvent des Augustins de Poitiers, et probablement fille aînée de Sauvage, le second fils d’Herbert IV. Nous citerons, à ce propos, un accord du 28 juin 1423, qui apporte de nouveaux éléments à la généalogie de la famille Berland ; cette généalogie, après l’article de la nouvelle édition du Dict. des familles du Poitou, reste encore incomplète et obscure sur bien des points. Jean Mérichon, du chef de Jeanne, sa femme, Étienne Bigot, sieur de Charlée, à cause de sa femme, Guillemette Berland, Perrin Berland, et Jacquette Boyleau (aliàs Boylève), comme ayant le bail et gouvernement de Guillemine, fille mineure de Turpin Berland, chevalier, décédé, et d’elle, se disant héritiers de feu Herbert V Berland, « seuls et pour le tout », étaient en procès au Parlement contre Catherine de Chausseraye, femme en secondes noces et alors veuve dudit Herbert (dont la première femme avait été Andrée de Vivonne). Il était fort âgé quand il s’était remarié à Catherine, laquelle n’avait que quinze à seize ans, et par son contrat de mariage, il lui avait fait de grands avantages. Tous les meubles et les acquêts de la communauté devaient rester à celle-ci en pleine propriété ; en outre, pour son douaire, elle devait jouir, sa vie durant, du tiers des propres héritages de son mari. A la mort d’Herbert, elle s’était d’ailleurs emparé de la totalité de ses biens. La transaction du 28 juin 1423 lui reconnut la possession des meubles et des acquêts de Poitou seulement, et son douaire lui fut assigné sur l’hôtel sis à Poitiers, près et joignant par devant à la petite porte du grand hôtel des Halles, et jouxtant par derrière le pressoir dudit feu chevalier, et sur l’hôtel de Saint-Georges-lès-Baillargeaux, ces deux immeubles devant faire retour, après sa mort, à Jean Mérichon et autres cohéritiers susnommés d’Herbert V. Suit une longue énumération des autres biens de ce dernier qui devenaient la propriété immédiate de ses héritiers par le sang. (Arch. nat., X1c 125B, dernière pièce.) Il paraît résulter de cet acte que Jean, Guillemette, Perrin et Turpin Berland étaient les enfants de Sauvage Berland, et par conséquent les neveux d’Herbert V.

Jean Mérichon soutenait, le 2 juin 1430, un procès contre Agnès d’Archiac, veuve de Jacques Poussard, chevalier, tué à Verneuil, touchant une rente de 100 livres tournois (Arch. nat., X1a 9192, fol. 183), et de concert avec Jean Marionneau, prêtre, son chapelain et serviteur, il poursuivait au criminel un nommé Jean Boucart, le 11 mars 1438 n.s. (Id., X2a 22, à la date.) Il mourut à la Rochelle à la fin de l’année 1454 ou au commencement de 1455. Au moment de son décès, les meubles et l’argent qui se trouvaient dans son hôtel furent mis au pillage par ses domestiques, entre autres Pierre Besly, natif de l’île de Ré, et Macé Nippon, qui furent emprisonnés au château de la Rochelle et se firent délivrer des lettres de rémission, datées de Bourges, juin et juillet 1455. (JJ. 191, nos 117 et 148, fol. 62 et 78 v°.) Néanmoins des poursuites étaient encore exercées contre eux, à cause de ce vol, le 2 août 1457, au Parlement de Paris. (X2a 28, à la date.) Jean Mérichon laissait un fils unique, nommé aussi Jean, qui épousa Marie Parthenay et devint un personnage considérable. Cinq fois élu maire et capitaine de la Rochelle, en 1443, 1457, 1460, 1463 et 1468, on le trouve qualifié de conseiller du roi, élu en Saintonge et au gouvernement de la Rochelle, gouverneur à la justice ou sénéchal de cette ville, bailli d’Aunis, capitaine et sénéchal de l’île de Ré, chambellan de Louis XI, seigneur de Lagore, Hure, le Breuil-Bertin et des Halles de Poitiers ; il fut aussi député aux États généraux de 1484 et vivait encore en 1492. (Amos Barbot, Hist. de la Rochelle, Arch. hist. de la Saintonge, t. XIV, p. 309, 332, 336, 338, 347, 408, 421, 425, 438, 447, 448.) En 1472, il avait acquis de Thomas de Vivonne, sieur de Fors, la terre et seigneurie d’Auzance en Poitou. (Arch. hist. du Poitou, t. VII, p. 366, 370.) Cf. aussi un acte important du 4 janvier 1457, concernant Jean II Mérichon et sa femme, dans la collection dom Fonteneau, t. I, p. 37, et un recueil de cinquante-quatre pièces originales, de 1416 à 1498, relatives à Jean Ier, Jean II et Olivier Mérichon, père, fils et petit-fils, successivement gouverneurs de la Rochelle (Bibl. nat., ms. fr. 28417, nos 1 à 54), que nous devons nous contenter de signaler, malgré leur intérêt, pour ne point donner à cette notice un développement exagéré.

3 L’affaire connue dans l’histoire militaire de Charles VII sous le nom de « Journée de Tartas » (23 juin 1442) eut un grand retentissement. Le roi avait concentré et rangé en bataille devant cette ville une armée de 30.000 combattants, dont les Anglais n’osèrent soutenir le choc.

4 Expédition dirigée par le dauphin, qui eut pour résultat, le 14 août 1443, la levée du siège de Dieppe, investie depuis le mois de novembre précédent par Talbot. (Cf. notre t. VIII, p. 309, note 2.)