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MCXLIV

Rémission accordée à Jean Bloyn, laboureur, de Saint-Hilaire-de-la-Claye, qui avait causé la mort de Jean Festineau en le plongeant à plusieurs reprises dans la rivière du Lay, parce qu’il l’avait surpris lui volant son poisson.

  • B AN JJ. 178, n° 236, fol. 134 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 26-30
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Bloyn, laboureur, chargié [p. 27] de femme et de plusieurs petis enfans, contenant que ledit suppliant estant en son hostel, situé et assis ou bourg de Saint Hilaire de la Claye ou pays de Poictou, avoit et tenoit en la rivière du Loy, laquelle passe près de son dit hostel et ès marois joignans icelle rivière, certains instrumens et engins pour peschier poisson, nommez et appellez borgnes ou borgnons, et avoit acoustumé le dit Bloin les mettre et asseoir souvent en ladicte rivière et ès diz marois, pour prendre du poisson pour lui, sa femme et ses enfans. Et pour ce que ung nommé Jehan Festineau, demourant à ung quart de lieue dudit Bloyn ou environ, estoit coustumier de lever les borgnes et engins du dit Bloyn et en prendre le poisson à son desceu, le dit suppliant lui deffendit et dist plusieurs foiz qu’il ne lui emblast point ne prensist le poisson de ses borgnes ou engins, car s’il le trouvoit en ce faisant il le gecteroit en la rivière ; et que, le mardi devant Pasques fleuries derrenierement passées, ledit suppliant estant au port de la Claye, avecques autres, environ dix heures du matin, vit et apparceut que ledit Jehan Festineau et deux autres, estans en ung petit vaisseau sur ladicte rivière, levoient les borgnons et engins du dit suppliant et en prenoient le poisson ; lequel lieu du port de la Claye estoit distant du lieu où estoient lesdiz borgnons de deux traiz d’arc ou environ ; et pour ce print icellui suppliant ung petit vaissel, qui estoit au dit port de la Claye, et se mist dedans pour aler jusques au lieu ouquel ledit Festineau et les dessus diz prenoient son poisson ; les quelz Festineau et les deux autres estans en sa compaignie, voyans que ledit suppliant aloit à eulx et doubtans qu’il leur courust sus, tirerent à lui et prindrent des perches ou forchaz qu’ilz avoient en leur vaisseau, pour eulx en aler et fouyr devant lui ès diz maroiz, afin qu’il ne leur ostast son dit poisson ; et pour ce qu’il avoit bien peu d’eaue ès diz marois et que ledit vaisseau ne povoit plus aler par default d’eaue, les deux compaignons qui estoient [p. 28] ou vaisseau avec ledit Jehan Festineau saillirent hors dudit vaisseau pour fouyr par les diz marois, et laisserent ledit Jehan Festineau avec le poisson qu’ilz avoient prins ès diz borgnons ; et fist tant ledit suppliant qu’il approucha le vaisseau ouquel il estoit jusques au vaisseau du dit Festineau, et quant il fut joignant le vaisseau du dit Festineau, il lui dist qu’il faisoit que mauvais homme de lui prendre et embler son poisson, et que autrefoiz il lui avoit defendu qu’il ne le prensist ; et print ledit suppliant son poisson qu’il trouva audit vaisseau dudit Festineau, et avec ce, desplaisant dudit larrecin que lui avoit fait le dit Festineau, lors et autresfoiz, print ledit Festineau à la robe et le gecta dedans la rivière où il n’avoit que demy pié d’eaue ou environ, sans le frapper de pié ne de main ne autrement. Lequel Festineau incontinent après se remist en son vaisseau, mais ledit suppliant le gecta et remist derechief en l’eaue, et ne lui voult point aidier à soy lever de l’eaue, et s’en ala en sa maison et le laissa dedans l’eaue ; dont ledit Festineau se tira et yssi. Et le lendemain, ledit Festineau garda avec les pastoreaulx ses bœufz et les jours ensuivans se maintint et gouverna tout ainsi qu’il avoit acoustumé de faire, le temps passé. Lequel Festineau estoit maladif et detenu d’une griefve maladie et avoit esté en langueur six ans avoit et plus. Depuis lesquelles choses, ledit Festineau vesqui dix sept jours entiers, ala et vint à la messe et à ses autres affaires, ainsi qu’il avoit acoustumé de faire, et le xviie jour ledit Festineau, à l’occasion de la dicte maladie qu’il avoit longuement portée, ou d’autre qui lui survint, ou autrement, ala de vie à trespassement. Et pour ce que ledit suppliant, à cause de son labouraige, peine et travail, avoit assez bonne souffisance de biens, noz officiers lui bailloient les commissions pour lever noz tailles mises sus et imposées de par nous sur les manans et habitans en la ville et parroisse dudit lieu de Saint Hilaire de la Claye, et à ceste cause le dit suppliant avoit plusieurs [p. 29] hayneux et malvueillans en ladicté paroisse, lesquelz lui imposerent qu’il avoit esté et estoit cause de la mort dudit feu Jehan Festineau, et le dirent et revelerent à Jaques Royrand1, seigneur dudit lieu de la Claye, et à ses officiers. Lequel Royrand commanda à ses diz officiers prendre ledit suppliant et le mettre en dure et estroicte prison ; pour doubte de laquelle prinse et emprisonnement, ledit suppliant se absenta du pays. Depuis l’absence duquel, ledit Jaques Royrand print tous les biens meubles dudit suppliant montans à grant estimacion et valeur, et le menace [p. 30] que, s’il le puet tenir, qu’il le mettra en très estroictes prisons, et le traictera rigoureusement. Pour doubte desquelles choses ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, n’oseroit jamais retourner au pays, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu que ledit Bloyn a tousjours esté et est homme paisible, de bonne vie, renommée et honneste conversacion, etc., et ne le frappa ne bati, et le gecta en la rivière, de la grant desplaisance qu’il avoit de ce qu’il lui embloit son poisson, etc., et il est à croire qu’il n’est pas mort de ce qu’il lui fist, mais à l’occasion de la maladie qu’il avoit paravant, il nous plaise lui impartir icelles. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons ou cas dessus dit, remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschal de Poictou et de Xanctonge et gouverneur de la Rochelle, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de septembre l’an de grace mil cccc.xlvii, et de nostre règne le xxve.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. Duban. — Visa. Contentor. P. Le Picart.


1 Un inventaire de titres produits, en 1487, par Nicolas Royrand, garant de François Pouvereau, pour un procès que celui-ci avait à soutenir devant le sénéchal de Poitou contre Maurice Claveurier, seigneur de la Tour-Savary, permet d’établir ainsi la filiation de Jacques Royrand. Une fille de Denis Gillier et de Jeanne de Taunay, sa troisième femme, Jeanne, épousa Pierre Royrand, écuyer, et lui apporta, entre autres biens de la succession paternelle, le moulin de Moussay (Mossay, fief relevant de Gençay). Ils eurent pour héritier Guillaume Royrand, chevalier, leur fils. La succession passa ensuite à Jacques, fils de Guillaume. Ce dernier céda le moulin à Nicolas Royrand, son fils, à l’occasion de son mariage avec Marguerite Chailleo, le 11 décembre 1467, et Nicolas en jouit paisiblement jusqu’au jour où Maurice Claveurier voulut imposer au meunier de Moussay la mesure de la Tour-Savary, origine du procès en question. (Arch. du château de la Barre, invent. publ. par A. Richard, t. II, p. 113.) Un Pierre Royrand était sénéchal de la Mothe-Achard, le 11 novembre 1414, châtelain de Talmont et d’Olonne pour le vicomte de Thouars, les 4 janvier 1414 et 12 novembre 1417, et enfin sénéchal de Talmont, le 7 septembre 1425. (Cartulaire d’Orbestier, t. VI des Arch. hist. du Poitou, p. 408, 412, 421 et 439.) On ne sait si ce personnage doit être identifié avec le mari de Jeanne Gillier. Quoi qu’il en soit, celle-ci est dite veuve de Pierre Royrand dans un arrêt du 25 juillet 1431, relatif à la succession d’Herbert de Taunay, son oncle, dont une part devait lui appartenir (X1a 9192, fol. 244 v°). L’année suivante, en tout cas avant le mois de juin 1433, elle était remariée à Jean de Vaily, premier président au Parlement de Poitiers, qui continua le procès au nom de sa femme, contre les frères de celle-ci, Étienne et Jean Gillier, de juin à décembre 1433. (X1a 9194, fol. 48 v°, 49, 52, 55, 60 v° ; X1a 9200, fol. 167, 177, 179, 181, 185, 186.) Quant à Guillaume Royrand, chevalier, père de Jacques, sieur de la Claye, il poursuivait, en 1430, Jean Buor, chevalier, sieur de la Gerbaudière, et un serviteur de celui-ci nommé Paul Pinet, qu’il accusait d’avoir fait piller son hôtel de la Girardière par des Bretons de la garnison de Bournezeau (Plaid. du 8 août, X2a 18, fol. 221), et le 28 mars 1433, il demandait à reprendre les procédures contre Marie de Savonnières, veuve dudit Buor (X2a 21, à la date). Il est nommé aussi dans une transaction passée, le 2 avril 1435, entre sa mère Jeanne Gillier, et les enfants de Jean de Vaily, second mari de celle-ci, touchant son douaire (X1c 149).