MCCLXIII
Rémission accordée à Jean de Laprée, détenu dans les prisons de l’île de Bouin pour différents vols et abus de confiance.
- B AN JJ. 191, n° 139, fol. 74
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 416-421
Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble [p. 417] supplicacion des parens et amis charnelz de Jehan de Laprée, povre homme, prisonnier detenu ès prisons de l’isle de Boign, contenant que ledit Jehan de Laprée est povre simple homme ignorant, et par sa simplesse et ignorance et povreté, a fait et commis les cas et choses qui s’ensuivent. C’est assavoir que depuis ix. ans ledit Jehan de Laprée a vendu à ung nommé Doguret pour la somme de trois royaulx une jument, qu’ung nommé Guillaume Jubin, taillandier, luy avoit baillée à herber, dont pour l’erbaige devoit avoir ung royal, et que tantost après ledit Jubin luy demanda icelle jument, il luy cela qu’il l’avoit vendue et luy dist qu’il ne savoit où elle estoit, et qu’il feroit diligence de la trouver ; et après ce ledit Jubin en fist adjorner ledit de Laprée et en compousa à luy à six royaulx, qu’il dit avoir depuis payez. Et depuis six ans a ou environ, à ung soir bien tart, ainsi que ledit de Laprée venoit de chez Simon Chollet, il print ou cymetière de Boign une pièce de toille, contenant environ dix verges et l’emporta. Mais pour ce que on en faisoit l’excommeniement en l’eglise, il la fist depuis rendre par la femme Macé Pastiz. Encores depuis cinq ans ença, ledit Jehan de Laprée par chacun an successivement print en l’ysle de Boign, en chacune desdites années, vingt oyes, lesquelles il portoit aucunes foiz chex Nicolas de Laprée, son frère, et y furent mengez. Et après ces choses, ainsi que ledit de Laprée estoit allé à Chatveil, pour querir des balaiz, pour ce que ceulx à qui estoit le champ avoient trouvé icelluy de Laprée coppant des genaiz sans leur congié, et que à ceste occasion ilz luy avoient osté une serpe, ung sac et la bride de sa jument, et icelles portées chex ung nommé Jancet près Beauvoir, ledit de Laprée se y rendit et entra dedans le courtil dudit Jancet ; et pour ce que on ne luy voult rendre sesdites choses, prinst, environ jour couché, durant ce que ledit Jancet et ses gens souppoient, une pièce de toille contenant environ huit verges, [p. 418] laquelle estoit estendue pour secher oudit courtil, et icelle emporta à la maison de Jehannin de Laprée, son frère ; lequel luy demanda qui luy avoit baillé ladicte toile, et alors luy respondi qu’il l’avoit prinse pour les causes et par les moiens dessus diz. Et ce oy par ledit frère, prinst ladite toille et l’osta audit prisonnier et luy donna d’un baston sur les espaulles, en luy disant que ce n’estoit pas bien fait. Et le landemain fist rendre ladicte toille par sa femme audit Jancet, lequel Jancet alors envoya audit prisonnier ses diz serpe, sac et bride. Et depuis trois ans ença, ledit de Laprée, prisonnier, en retournant du marché de Beauvoir, prist deux robes d’esquerde à usaige d’enfans, qu’il trouva en ung buisson et les bailla à ses enfans. Et deux ans a ou environ, ledit Jehan de Laprée, prisonnier, sur ung soir après jour couché, trouva ung beuf de lande qui pasturoit ès maroyz sallez de Lorin de Conde et sa femme, appartenant icelluy beuf à Jehan Pastiz et Jehan Legrant, lequel beuf ledit Jehan, prisonnier, tua et escorcha pour vendre la peau et en gecta la char en la mer, afin qu’elle ne fust veue. Et aussi ledit de Laprée, prisonnier, l’an derrenier passé, print ung sac audit Nicolas, son frère, et l’an precedant ung autre sac appartenant à Gillet Pastiz, et ung autre à Macé Denis, lesquelz sacs estoient à secher en leurs carreuz. Pour occasion desquelz cas et pour plusieurs autres cas, dont on accusoit ledit Jehan de Laprée, icelluy Jehan de Laprée a esté prins et constitué prisonnier èsdites prisons de Boign par la justice du lieu ; èsquelles prisons il a confessé les cas et choses dessus dictes, et oultre ce en icelles prisons a, comme l’en dit, pour doubte et craincte d’estre gehainé, confessé plusieurs autres cas, desquelz ou d’aucuns d’iceulx on dit qu’il est innocent, c’est assavoir que, environ douze ans a, luy et le dit Nicolas, son frère, prindrent chex ung nommé Jehan Guerri deux faiz de lates et ung chevron qui estoient atachez sur la maison dudit Guerri, et que icelles lates et [p. 419] chevron furent mises et exploictées à habiller et reparer la maison dudit Nicolas ; aussi que oudit temps ledit prisonnier et Nicolas, son frère, avoient prins chez Jehan Perret et emmené en une brouete atelée d’une jument sept chevrons de maison et ung eschelon, et que ledit Perret, par ce qu’il congnut ledit bois sur la maison dudit Nicolas, en avoit fait adjorner icelluy Nicolas à Poictiers, que ledit Nicolas avoit composé à luy à en faire le charroy de six charges de sel prinses ès maroys ; et avec ce que, durant le temps de six ou sept ans qu’il avoit demouré avec ledit Nicolas, son frère, qui estoit et est encores saulnier des religieux, abbé et couvent de Nermoustier et leur saulnoit certains maroys, nommez le Sangler et les Troyscens, icelluy Jehan et ledit Nicolas, à deux brouettes, de nuyt et devers le soir, et aussi avant jour, avoient emmené pour quatre ou cinq charges de sel, et que ilz le menoient aucunes foiz vendre ou le mettoient au monceau dudit Nicolas, et que ledit Nicolas luy bailloit aucunes foiz de l’argent pour boire et se esbatre ès festes, pour le sel qu’ilz embloient, et que ès deux derrenières laites de sel, pour ce que ledit Jehan, prisonnier, ne demouroit plus avec ledit Nicolas et que les brouettes et hostis avec lesquelz on prenoit ledit sel estoient audit Nicolas, icelluy Nicolas bailloit audit Jehan, toutes foiz et quantes qu’il y aloit, dix solz six deniers tournois. Et aussi que, quant ledit Nicolas estoit à departir avec son maistre le sel qu’ilz avoient saulné, quant il charrioit pour luy son tiers, il amplissoit tant les sacs que à peine on les povoit mettre en la brouette, et quant s’estoit pour son maistre, il les faisoit trop petis, tellement qu’il s’en povoit bien perdre à la part du maistre sur chacune charge environ deux sacs. Et avec ce, que, durant le temps qu’il demouroit avec ledit Nicolas, icelluy Nicolas mettoit et faisoit mettre, par ledit Jehan et autres ses serviteurs, ses jumens et autres bestes ès prez de feu Garineau, de Jehan Vries, Macé Denis et de Lorin de [p. 420] Conde et sa femme, et les faisoit pasturer de nuit à leur desçu, et au point du jour les aloit querir, et que luy mesmes y avoit esté par plusieurs foiz. Et aussi que, l’an derrenier, ledit Nicolas et luy, à ung soir environ jour couché, avoient prins en une saulnière appartenant à maistre Pierre Gentil douze sacs de sel, que le landemain matin ilz menèrent vendre à Nicolas Amuceau, et que le sac en fut vendu douze deniers et qu’il en eut à sa part vint deniers. Et depuis ledit Jehan de Laprée, estant ainsi detenu pour les diz cas ès dites prisons1, s’est par plusieurs foiz efforcé de briser et rompre lesdites prisons, et soy evader et eschapper d’icelles. Mais parce que on s’en apperceut et que aucunes gens y survindrent ne peut acomplir son entreprinse. A l’occasion desquelz cas ainsi faiz et commis par ledit Jehan de Laprée, prisonnier, et les autres ainsi par luy confessez, lesdiz supplians doubtent que justice vueille à l’encontre dudit Jehan de Laprée rigoureusement proceder et miserablement faire finer ses jours ès dictes prisons, se noz grace et misericorde ne luy estoient sur ce imparties, si comme lesdiz supplians dient, en nous humblement requerant que, attendu que ledit Jehan de Laprée est povre homme, simple et ignorant, que lesdiz cas, ainsi par luy commis, il a fait par povreté, simplesse et ignorance, que les choses par lui prinses sont de petite valeur et ont esté, au moins la pluspart, restituées, et est prest de faire satisfacion de ce qui restera, que en tous autres cas il est bien famé et renommé, non actaint ou convaincu d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise audit Jehan de Laprée nos dites grace et misericorde impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit Jehan de Laprée, à la supplicacion et requeste desdiz supplians, [p. 421] avons les faiz et cas dessus diz ainsi par luy commis, et les autres par luy confessez, en tant qu’il en seroit ou pourroit estre coulpable, quictez, remis et pardonnez, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, à nostre seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Bourges, ou mois de juillet l’an de grace mil cccc. cinquante cinq, et de nostre règne le xxxiiie.
Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. G. Authouis. — Visa. Contentor. J. Du Ban.