MCCLVI
Rémission octroyée à François Corgneul, écuyer de Marguerite de Belleville, veuve de Joachim de Volvire, sr de Rocheservière et de Ruffec, qui en accomplissant une commission dont cette dame l’avait chargé, eut une querelle avec Pierre Pourceau et Pierre Pigon, et tua ce dernier qui l’avait insulté.
- B AN JJ. 191, n° 42, fol. 20 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 391-398
Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de François Corgneul1, escuier, de l’aage de vingt trois ans ou environ, contenant que, dès ce qu’il eust l’aage de neuf ou dix ans, il nous a tousjours continuellement servy ou fait de noz guerres, à l’encontre de [p. 392] noz anciens ennemis et adversaires les Anglois, ès frontières et voyages de Tartas, d’Alemaigne, de Basle et ailleurs, tant en la compaignie de feu le sire de Jaloignes2, en son vivant mareschal de France, que de Pierre Robert, son lieutenant, et aussi ès reductions derrenierement faictes de nos païs et duchiés de Normandie et de Guienne, en la compaignie de nostre amé et feal chambellan le seigneur de La Rochefoucault3. Après les quelles reductions et durant le temps que noz gens de guerre ne se occupoient en nostre service contre nos diz ennemis, lesquelz nous avions mis hors dudit païs, il se mist ou service de feu Joachin de Veluyre, en son vivant chevalier, seigneur de Roffect et de Rochecervière4, ou service et en la compaignie duquel il s’est bien et deuement gouverné en ce dont il a eu charge de par lui, et l’a depuis servy bien [p. 393] et loyaument jusques à son trespas. Après lequel il fut requis et retenu de par nostre bien amée Marguerite de Belleville, vefve dudit deffunct, en son vivant son mary, pour demourer avec elle et en son service et comme son escuier. Ou service de laquelle dame de Belleville ledit suppliant s’est entretenu et demouré depuis le decès de son dit mary jusques à present. Laquelle, pour ce qu’elle le congneut estre de bon gouvernement, lui a donné charge de soy prandre garde et gouverner plusieurs de ses besongnes et affaires, et entre autres de cueillir, lever et faire venir ens les cens, rentes, revenues, droiz, terrages et autres devoirs à elle appartenans à cause de sa terre et seigneurie d’Ardenne5 et de ses appartenances. Lequel suppliant, pour la dicte commission et charge executer et acomplir, et pour cueillir, lever et faire paier et amasser les diz cens, rentes et revenues et autres devoirs appartenans à la dicte dame de Rochecervière et de Roffect, se transporta, dès le xie jour de juillet derrenierement passé en ung certain fief appellé le fief du Brueil Bertin, assis ouprès de Peyré de Vouluyre, appartenant à sa dicte maistresse, et en plusieurs autres lieux illec environ, aussi à elle appartenans ; èsquelz lieux il fist syer, cueillir et lever certains droiz et terrages de blez, et mesmement le terrage d’une pièce de terre en laquelle, l’an paravant, [p. 394] Pierre Pourceau6 et Pierre Pigon se disoient avoir droit ; lequel droit de terrage ledit suppliant a fait pareillement cueillir et lever l’an derrenierement passé, et à ceste occasion lesdiz suppliant, Pourceau et Pigon, qui après ce se trouvèrent en ladicte terre tous ensemble, eurent entre eulx plusieurs parolles. Après lesquelles eulx trois accordèrent, appointèrent et consentirent d’un commun accord, et mesmement ledit suppliant, qui de tout son cuer vouloit eschiver et eviter noise et debat, que les gerbes de par lui cueillies et prinses pour le droit dudit terrage en ladicte pièce de terre feussent mises ès mains d’un nommé Choupeau, qui estoit fermier ladicte année des terrages desdiz Pourceau et Pigon, pour en rendre compte et reliqua à qui il appartendroit, parmy ce que ledit Pourceau, qui estoit chief et faisoit l’ommaige des choses que avoient ensemble lesdiz Pourceau et Pigon, promist audit suppliant de monstrer et enseigner à ladicte de Belleville, ou son procureur pour elle, dedans les prouchaines assises qui seroient tenues de par elle audit lieu du Brueil Bertin, par adveuz anciens ou autrement, que ladicte terre qu’il disoit tenir d’elle lui appartenoit. Depuis lequel appoinctement, lesdictes assises ont esté tenues, mais lesdiz Pourceau et Pigon n’ont point enseigné du droit qu’ilz disoient avoir en ladicte terre, et ledit suppliant, en gardant le droit de sa dicte maistresse, fist, le xiie jour de juillet derrenier passé, prandre et lever le droit et terrage de ladicte pièce de terre ; et ce fait, s’en ala d’illec et mena avec lui le curé de Coussay7 qu’il avoit convyé ou semons [p. 395] boire avec lui en l’oustel d’un nommé Mathelin Nau, appellé la Barrauderie. Ouquel hostel, après ce que lesditz suppliant et curé de Coussay eurent demouré demie heure ou environ, et qu’ilz eurent beu et prins leur reffection, et plusieurs autres qui y estoient et beuvoient oudit hostel, eulx estans à table, survindrent à la porte dudit hostel les diz Pourceau et Pigon, lesquelz hurtèrent et sonnèrent à l’uys dudit hostel. Et lors ledit Mathelin Nau ou autre de par lui alèrent devers eulx à l’uys ; lesquelz demandèrent qui estoit oudit hostel. Lequel Nau ou autre de par lui qui ala à l’uys parler à eulx, respondit que lesditz suppliant et curé y estoient, qui beuvoient ensemble. Et après ce, ledit suppliant demanda qui estoit et qui avoit appellé à l’uys ; auquel fut respondu que c’estoient lesdiz Pourceau et Pigon. Et lors ledit suppliant, qui estoit encores à table, regarda vers ladicte porte et apparceut ledit Pourceau qui estoit à cheval, qui regardoit par ladite porte oudit hostel. Lequel suppliant appella ledit Pourceau, qui est seigneur de l’ostel de Combaron, qui est près dudit lieu de Peyré de Veluyre, et lui dist telles parolles : « Monsieur de Combaron, descendez et venez boire. » Lequel Pourceau, ensemble ledit Pigon descendirent et vindrent devers ledit suppliant, et à la table où il estoit se assirent l’un d’un costé et l’autre d’autre. Et incontinant qu’ilz feurent assis à table, ledit Pourceau dit audit suppliant qu’il leur tenoit tort. Lequel suppliant lors benignement et doulcement leur respondit qu’il ne leur en cuidoit pas tenir, et que, s’il leur en tenoit, il l’amenderoit voulentiers. Lequel Pourceau lors en ce affectionné dist audit suppliant qu’il leur avoit saisi, prins et empesché ce qu’ilz tenoient de ladicte de Belleville, envers laquelle ilz avoient bien fait leur devoir, et pour ce lui requist qu’il leur feist la delivrance et recreance des choses prinses, saisies et empeschées. Lequel suppliant lors leur respondit qu’il n’avoit riens fait saisir ne empeschier et qu’il n’estoit point seneschal, [p. 396] et par ce n’avoit puissance de faire lesdites delivrance et recreance. Lequel Pourceau, non content de ladicte responce, lui deist qu’il ne les lui daigneroit plus demander, mais s’en yroit à Fontenay le Conte devers le seneschal de ladite de Belleville, dame de Rochecervière, auquel pour les avoir il ne diroit que deux motz. Après les quelles parolles, ledit suppliant envoia querir le sergent de sadite maistresse qui estoit près d’illec, et lui venu devers lui, demanda en la presence desdiz Pourceau et Pigon s’il avoit aucune chose saisi dudit Pourceau. Lequel sergent lui respondit que non, et pour ce ledit suppliant, comme procureur de sadicte maistresse, commanda audit sergent qu’il meist en la main de ladite de Belleville, sa maistresse, tout ce que lesdiz Pourceau et Pigon tenoient en son fief par deffault de fief non rendu, ce que ledit sergent fist, et le fist assavoir et notiffia ausdiz Pourceau et Pigon, qui illec estoient presens. Et ce fait, ledit Pigon demanda audit suppliant s’il estoit procureur de ladicte de Belleville et que s’il l’estoit, qu’il lui monstrast sa procuracion. Lequel suppliant lui respondit se c’estoit à lui, en l’appellant monseigneur, à qui il devoit monstrer sa procuracion, eulx estans encores à table. Et lors lesditz Pigon et Pourceau se levèrent d’icelle table, et en eulx levant, ledit Pigon dist rigoureusement audit suppliant telles parolles ou semblables : « Je ne suis point seigneur ; je suis Pierre Pigon et vous estes François Cornu ! » Le quel suppliant, courroussé et desplaisant de ce que ledit Pigon l’avoit injurié, comme il lui sembloit, de l’avoir appellé François Cornu, et aussi de ce que lesditz Pourceau et Pigon s’estoient ainsi impetueusement et soudainement levez de ladite table, et doubtant qu’ilz le voulsissent plus fort injurier, attendu le façon et la manière comment ilz estoient venuz oudit hostel, se leva aussi de ladicte table et passa au travers d’icelle, et se tira près dudit Pigon et le frappa du poing sur le visaige, en lui disant [p. 397] qu’il yssist et sortist hors dudit-hostel. Et non content de ce, tira son espée toute nue et du plat et pommeau d’icelle frappa plusieurs coups ledit Pigon en plusieurs parties de son corps, le mist hors dudit hostel environ quatre ou cinq pas, en poursuivant et frappant tousjours ledit Pigon de sadicte espée, sans avoir entencion de lui faire autre mal. Lequel Pigon s’en ala et eslongna dudit suppliant, lequel s’arresta et ne le poursuivit plus ; et n’avoit entencion de le poursuir ne porter aucun dommaige. Mais ledit suppliant vist et apperceut que ledit Pigon, quant il fut ung peu eslongné dudit suppliant, amassa et prist en ses mains une ou deux pierres ; lequel suppliant, doubtant que d’icelles pierres ledit Pigon le voulsist frapper, icellui suppliant qui encores tenoit sadite espée toute nue en la main, courit après ledit Pigon, et lui donna du tranchant de sadite espée ung seul coup sur sa teste, dont yssut grant effusion de sang. Duquel coup ledit Pigon cheut et tomba à terre et, neuf ou dix jours après, par faulte de gouvernement et d’estre bien pensé, ou autrement, ledit Pigon est alé de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner ne repairer, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties. Humblement requerant que, attendu ce que dit est et que ledit suppliant est noble de toutes lignes et dès son enfance nous a servy ou fait de noz guerres, et a esté et est homme de bon fame, renommée et honneste conversacion, sans avoir esté jamais actaint ne convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reprouche, et qu’il n’avoit aucune entencion de mesfaire ne mesdire audit Pigon, mais l’avoit appellé et ledit Pourceau par bonne amour, pour boire avec lui, et qu’ilz furent agresseurs de parolles et commancèrent la noise en disant audit suppliant qu’il leur tenoit tort, et encores ledit Pigon, non content de ce, eust injurié ledit suppliant en l’appellant François Cornu, et que lors ledit [p. 398] suppliant ne leur avoit mesfait, etc, il lui plaise lui impartir nosdites grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschaulx de Poictou et de Xantonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Prully en Touraine, ou mois d’aoust l’an de grace mil cccc. cincquante quatre, et de nostre règne le xxxiie.
Ainsi signées : Par le roy, à la relacion du conseil. M. Gavingneau. — Visa. Contentor. N. Du Brueil.