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MCXCII

Rémission accordée à Jean Poret, sr de la Mabilière, coupable du meurtre de Casin Lenfant, qui l’avait menacé à plusieurs reprises et tenté de le prendre dans une embuscade.

  • B AN JJ. 186, n° 7, fol. 4
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 185-190
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de nostre bien amé Jehan Poret, escuier, seigneur de la Mabilière1 en la chastellenie [p. 186] de Faye la Vineuse, aagé de lx. ans ou environ, contenant que dès son jeune aaige jusques à present il nous a bien et loyalment servy tant à la garde de nostre corps comme ou fait de noz guerres en et soubz la compaignie de nostre amé et feal chevalier et conseiller Jehan seigneur de Bueil2, admiral de France, que autrement en plusieurs et diverses manières, et a continuelment frequanté noz frontières, contre noz anciens ennemis les Anglois, jusques aux trèves par nous derrenièrement prises avecques nosdiz ennemis, et encores a esté en la conqueste par nous naguères faicte de nostre païs et duchié de Normandie, sans ce que durant ledit temps il ait meffaict ne fait meffaire en aucune manière à feu Casin Lenfant, à Colette, sa femme, à present vefve, ne à Colette, vefve de feu Guillemin de Bailleuf, mère de la vefve dudit Casin Lenfant, ne autres quelxconques ; mais ce non obstant, ledit Enffant, qui estoit homme chaut, extraict du païs de Picardie, grant reignieur de Dieu, bateur de gens et frequantant les tavernes, et femmes dessus dictes, qui sont extraictes du païs de Normandie ont, passé a cincq ans, conceu hayne contre ledit suppliant, et pour icelle mettre à effaict, ledit Casin batit ja pieça très inhumainement ung des serviteurs dudit suppliant, appellé Chassidal, et dist à icellui suppliant que encores le batroit il et lui mesmes, s’il [p. 187] en parloit. Et depuis a batu aucuns des serviteurs et a donné et fait donner audit suppliant pluseurs menaces, et qui plus est, depuis peu de temps ença ledit Casin, au pourchaz desdictes femmes, comme l’en dit, a par pluseurs et diverses foys guetté et fait guetter ledit suppliant, et entre les autres, ung jour de dimanche, voille de la saint Mathieu derrenierement passé3, icellui feu Casin amena avec lui trois ou quatre compaignons, habillez en habit de gens de guerre, au lieu de la Girardière près de l’ostel dudit suppliant, et aucuns d’eulx fist enbuscher en ung bois sur ung chemin par lequel icellui suppliant va de sa maison en l’eglise de Courcoué, dont il est parroissien, pour ouyr la messe, pour tuer et murdrir ledit suppliant, s’il cheoit en leurs mains, et tellement que la femme d’icellui suppliant, qui estoit alée à la messe audit lieu de Courcoué, ne s’en osa retourner à son hostel jusques à ce que, à la requeste du seigneur dudit lieu de Courcoué, appellé Jehan de La Lande4, icellui feu Casin asseura ledit suppliant et sa famille pour icellui jour seulement. Et en haine dudit suppliant, cuida ledit feu Casin tuer, ledit jour Françoys Tenon, nepveu dudit suppliant, se ledit Tenon ne se feust tenu en terre sainte, et que aucunes gens qui là estoient ne l’en eussent gardé. Et jura et regnia Dieu qu’il lui feroit passer la toux. Pour paour desquelles menaces, les fièvres quartes prindrent ledit Tenon, qui encores le tiennent. A l’occasion desquelles menaces et en busches, icellui suppliant a esté par longtemps qu’il n’a parti ne yssu hors de son hostel, se non qu’il eust avecques lui trois ou quatre hommes embastonnés [p. 188] pour le deffendre. Lesquelles choses voyant ledit suppliant et les dangiers en quoy il estoit de sa personne, le premier jour d’octobre derrenierement passé, après ce qui lui fut rapporté que ledit feu Casin estoit en l’ostel d’un appellé Berthelemin Droin, lui tout esmeu des menaces et empeschemens que ledit Casin lui avoit faiz et faisoit tous les jours, prinst ung bastonferré appellé espiot, et dist à ung sien nepveu, nommé Loys Amamin qu’il prinst ung crennequin et du traict, afin d’eulx deffendre, s’il estoit mestier, et dist à ung de ses serviteurs, nommé Thomassin, qu’il venist avecques eulx, ce qu’il fist. Et lors ledit suppliant, cuidant trouver moien de parler audit feu Cassin et de trouver accord avec lui, se faire se povoit, se transporta avecques lesdiz Amamin et Thomassin et deux autres de ses serviteurs qui le suivirent, en l’ostel dudit Droin, où il trouva à table icellui feu Cassin, qui avoit presque digné. Et quant il le vit, comme tout effrayé et esmeu, lui dist telles parolles ou semblables : « Hée, beau sire, ne cesserés vous jamais de dire villennie aux gens à moy et de me menacer à tuer ? Or vous tueray je anuyt, se je veulx. » A quoy ledit Cassin respondi bien arroganment telles parolles : « Je n’ay riens dit de vous que encores ne vous die et de faire de fait (sic), et ne vous crains riens. » Et lors ledit Poret prinst ledit espiot qu’il tenoit en sa main et le dressa vers le visaige dudit Casin, en disant telles parolles ou semblables : « Et je te turoye, se je vouloye », combien qu’il n’en eust aucune voulenté, mais il le cuidoit mater par parolles, et son dit espieu retira à soy. Mais neantmoins ledit Cassin saillit hors de la table où il estoit et tira sa daigue, en s’en venant tout autour d’icelle contre ledit suppliant. Et lors icellui suppliant mist son espiot au davant, en lui disant : « Alons dehors », dont icellui suppliant n’en voult riens faire, mais ledit espiot sourdit et leva contremont et au sourdre lui fraya ung peu au visaige et le lui esraffla, comme [p. 189] se fust d’une ronsse. Et ce fait, ledit Cassin, qui estoit jeune de l’aaige de xxx. ans, ayans tousjours sa daigue ou point, vint joindre audit suppliant qui est viel et ancien, lui cuidant mettre la daigue ou corps. Et lors ledit Loys Amamin, voyant le dangier de mort où estoit ledit suppliant, son oncle, et pour luy sauver la vie, laischa ledit crennequin, lequel il tenoit tout tendu, chargé d’un vireton, lequel vireton vint frapper ledit Casin par derrière entre les deux espaules. Et quant icellui Casin se senty frappé, dist audit suppliant : « Je suis mort, mais je le vous pardonne ; et tenez ma daigue. » A quoy icellui suppliant, saichant qu’il ne lui avoit fait nul mal, lui dist comme tout effrayé : « Hée ! commant ! estes vous mort ! » Et lors ledit Loys Amamin et autres qui estoient oudit hostel lui dirent : « Nous croyons bien qu’il soit mort ou en dangier de mort, [aiant ung5] vireton ou corps » ; lequel coup apparcevant ledit suppliant, en fut moult doulant, en disant à son dit nepveu : « Mauvais ribault, pour quoy l’as tu fait ? » Et il lui respondi : « Mon oncle, se je ne eusse fait ledit cop, vous estiez mort. » Et lors ledit suppliant s’en sailly de l’ostel, aiant la dicte daigue au poing et luy yssu, [la jetta par des] plaisance en ung buisson près d’ilec. Pour occasion duquel coup, icellui Casin, après ce qu’il [fut confessé] par pluseurs foiz et eut receu le corps Nostre Seigneur, cinq heures après ou environ, ala de vie à trespassement. Et pour ceste cause, s’en est ledit suppliant fouy en franchise en l’eglise de Saint Georges de Faye la Veneuse, où il est encores de present, et ne ose partir d’icelle, creignant rigueur de justice. Et [pour ce] nous a humblement requis que, attendu qu’il n’a pas fait ledit coup et a esté et est d’icellui très desplaisant, etc., il nous plaise sur ce lui impartir noz grace et misericorde. Pour quoy [p. 190] nous, etc., audit suppliant avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Montbazon, ou mois d’octobre l’an de grace mil cccc. cinquante, et de nostre règne le xxixe.

Ainsi signé : Par le roy, le comte de Dunoys, l’admiral, le sire de la Varenne et autres presens. De la Loère. — Visa. Contentor. E. Froment.


1 L’an 1438, Jean Poret, possesseur de la Mabillère ou Mabilière, ancien fief situé sur la paroisse de Courcoué et relevant de Faye-la-Vineuse, avait obtenu de Jean de Bueil, son suzerain, l’autorisation de fortifier son logis seigneurial. (Carré de Busserolle, Dict. géogr., hist. et biogr. d’Indre-et-Loire, in-8°, t. IV, p. 139.) Un acte du Parlement de Poitiers nous apprend qu’il avait trois frères. Thévenin, Louis et Guillaume. En 1420, les trois aînés, alors jeunes damoiseaux, Thévenin, Jean et Louis (ils sont nommés dans cet ordre) s’étaient rendus coupables de certains méfaits à l’égard de Guillaume Vidal, écuyer, originaire de Saintonge, alors capitaine de Faye-la-Vineuse. Celui-ci se vengea lâchement. Le plus jeune des frères Poret, Guillaume, que l’on destinait à l’Église, n’était âgé à cette époque que d’une douzaine d’années, et servait en qualité d’enfant de chœur à la collégiale de Faye. Vidal le fit battre et mutiler par un de ses valets, qui lui coupa le poing. Néanmoins il eut le crédit de se faire délivrer des lettres de rémission, dont l’entérinement fut combattu par la famille de la victime. Cette affaire fut plaidée contradictoirement devant la cour, les 6 et 30 septembre 1424. Outre les faits de la cause, on apprend dans les plaidoiries que deux des frères Poret, au service du roi, avaient été pris ou tués à la bataille de Cravant (juillet 1423), et que leur mère avait son hôtel à Marmande. (Arch. nat., X2a 18, fol. 42.)

2 Jean V, sire de Bueil, Montrésor et Saint-Calais, comte de Sancerre, conseiller et chambellan de Charles VII, fils de Jean IV et de Marguerite dauphine d’Auvergne, dame de Marmande, fut créé amiral de France après la mort de Prégent de Coëtivy (août 1450) et mourut le 4 juillet 1477. (Cf. notre vol. précédent, p. 67, note.)

3 Le 20 septembre.

4 Courcoué formait une châtellenie relevant de Faye-la-Vineuse à foi et hommage lige. En 1420, elle appartenait, dit M. Carré de Busserolle, à Jean de La Lande, écuyer, qui eut une fille, Louise, mariée à Aimery de Brisay, deuxième du nom, seigneur de Brem (Bran), maître des eaux et forêts en Poitou et capitaine gouverneur de Châtellerault. Elle passa ensuite aux mains de Louis de La Lande, écuyer, vers 1500. (Dict. géogr., etc., d’Indre-et-Loire, t. II, p. 392.) Louise de La Lande, veuve d’Aimery de Brizay, rendit aveu au roi, le 1er juillet 1462, pour la Tour de Bran. (Arch. nat., P. 1145, fol. 147 v°.)

5 Mots effacés sur le registre, ainsi que plus bas, aux trois passages placés entre crochets.