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MCLXV

Lettres d’abolition octroyées à Pierre Doux, dit Saint-Maixent, ancien homme d’armes de la compagnie de Jean de La Roche, pour tous les pillages, détrouses, violences et autres excès dont il s’est rendu coupable durant les guerres.

  • B AN JJ. 179, n° 236, fol. 134 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 86-90
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Pierre Doulx1, dit Saint Maixant, [p. 87] le pours…2, contenant que, ou temps de sa jeunesse, il se mist à chevauchier avec les gens d’armes et a esté avecques eulx en plusieurs voiages et armées, et mesmement fut [p. 88] avec feu Jehan de La Roche3, et le servy bien longtemps èsdictes guerres, paravant ce que ledit de La Roche feust à nous desobeissant, pendant et durant lequel temps que ledit suppliant s’est ainsi tenu èsdictes guerres, il n’a eu de nous aucunes soldes ou gaiges dont il peust entretenir son estat ne de ses varletz et serviteurs, et à la dicte cause a esté contraint de tenir les champs et vivre sur noz païs et subgiez, et avec ce a couru et fait courir ses varletz et serviteurs sur le plat pays, et ont pillé, robé, destroussé et raençonné toutes manières de gens qu’ils ont trouvez sur les champs et ailleurs, tant gens d’eglise, nobles, bourgois, marchans que autres qu’ilz ont peu trouver, leur osté leurs chevaulx, monteures, or, argent, robes, joyaulx, denrées, marchandises et autres biens qu’ilz trouvoient sur eulx, vendu et butiné leurs chevaulx, biens et autres destrousses, et a eu et prins sa part èsdictes destrousses, pilleries et roberies que ont fait ses diz varletz et serviteurs, les a soustenuz, supportez et favorisez èsdictes pilleries, a esté à courir foires et marchiez et à icelles piller, prins et emmené bestiail, partie d’icellui mangié, l’autre vendu et butiné et fait ce que bon lui a semblé, et aucunes foiz raençonnez à vivres et autres choses ; et a esté avecques autres gens de guerre assaillir villes et places fortes, à icelles prandre par force, les pillées et à prendre ceulx qui estoient dedans prisonniers, comme s’ilz feussent noz [p. 89] ennemys, et pour la resistance que faisoient ceulx qui dedens estoient aucunes foiz a esté bouté le feu èsdictes places et commis des meurtres, sans ce toutesvoyes que ledit suppliant ait commis lesdiz meurtres et bouté ledit feu, combien qu’il ait esté present et aidé à piller les diz biens qui estoient retraiz èsdictes places. Et puet estre que, durant le temps qu’il a suivy lesdictes guerres et tenu les champs en compaignie de gens d’armes, que aucuns de la compaignie où il estoit ont violé femmes, non pas qu’il ait esté present ne de ce consentant, et fait et commis autres grans cas, crimes et deliz qu’il ne pourroit bonnement dire ne exprimer. Et combien que ledit suppliant, dès long temps a, se soit retraict des dictes guerres et nous ait fait de grans services, tant au recouvrement des ville et place de Saint Maixent que autrement, neantmoins il doubte que aucuns sur lesquelz ont esté faiz lesdiz maulx, pilleries, roberies et destrousses et autres choses dessus declairées, en voulsissent, ores ou pour le temps avenir, faire poursuite par justice à l’encontre de lui, et que par ce moyen on lui voulsist donner aucun destourbier ou empeschement, ou autrement le molester et rigoureusement proceder à l’encontre de lui, ou le pugnir corporelment, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu lesdiz services à nous faiz par ledit suppliant et que, pour soy entretenir en nostre dit service, il a esté comme contraint à faire et commettre lesdiz maulx, excès et deliz, ou plusieurs d’iceulx, et aussi que, depuis noz ordonnances derrenierement faictes, il s’est bien et grandement gouverné, il nous plaise lui impartir icelles. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans en ceste partie misericorde preferer à rigueur de justice, audit Le Doulx, dit Saint Maixent, suppliant, ou cas dessus dit, avons les faiz et cas dessus diz et chascun d’iceulx aboliz, remis, quictez et pardonnez, abolissons, etc. Si donnons en mandement [p. 90] par ces presentes aux seneschaulx de Poictou et de Xanctonge, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Champigny, ou mois d’aoust l’an de grace mil iiiicxlviii, et de nostre règne le xxvie.

Ainsi signé : Par le roy, vous, les sires de Gaucourt4 et de Blainville et autres presens. Rolant. — Visa. Contentor. E. Froment.


1 Le nom de Pierre Doux ne figure pas sur la liste des hommes d’armes et archers de la compagnie de Jean de La Rochefoucault, seigneur de Barbezieux, contenue dans les lettres d’abolition qui leur furent octroyées le 9 avril 1431. (Cf. notre précédent vol., p. 8 et suiv.) Il en fit partie sans doute postérieurement à cette date, à moins qu’il n’y soit déguisé sous un sobriquet. Le surnom de Saint-Maixent lui fut donné sans doute en souvenir de la part importante qu’il eut à la reprise de cette ville sur les chefs poitevins de la Praguerie. (Voy. id., Introduction, p. lix, lxiii.) Le service rendu à Charles VII en cette circonstance par l’ancien routier est rappelé de la façon la plus précise dans deux lettres patentes du 16 avril 1440 après Pâques et du 7 juillet 1441. Les premières portent don en faveur de Pierre Doux et en récompense de sa conduite, d’une rente annuelle de 100 livres, à prendre pendant dix ans sur la recette du sel de Vivonne ; elles sont datées de Saint-Maixent même, quelques jours après l’événement, et ont été publiées par M.A. Richard (Recherches sur l’organisation communale de Saint-Maixent, in-8°, p. 196.) Les secondes, données « en nostre ost devant nostre ville de Pontoise », sont un mandement aux généraux des finances de faire payer au donataire par le receveur du quart du sel que le roi a accoutumé de prendre à Vivonne en Poitou, ladite somme annuelle de 100 livres, parce que celui-ci « soubz umbre de certaine ordonnance et defenses generales à luy et autres receveurs particuliers de noz aides et finances, naguères et dernièrement faites de non payer aucune chose des deniers de leurs receptes, si non par les decharges du recepveur general de noz finances, contrerollées par nostre amé et feal secretaire et audiencier, Me Dreux Budé, a esté et est reffusant de lui continuer et paier ladite somme ». On y rappelle les titres de Pierre Doux à la reconnaissance du roi. Le dimanche de Quasimodo (3 avril 1440), le duc d’Alençon et feu Jehan de La Roche ayant « prins nostre chastel de Saint Maixent et d’icellui estans entrez en nostre dicte ville, pour icelle subjuguer et mettre enleur obeissance, ledit suppliant, afin que donnissions secours aux habitans d’icelle ville, qui pour nous en tenoient aucuns portaulx à l’encontre des dessusdiz, se parti hastivement sur le meilleur de ses chevaulx et vint, à très grant diligence, par devers nous, en nostre ville de Poictiers, et nous fist assavoir les choses dessus dictes, par le moyen de laquelle diligence envoyasmes incontinent secours aus diz habitans et recouvrasmes, cellui jour mesmes, nostre dicte ville, et depuis par siège nostre dit chastel, et y tua ledit suppliant son dit cheval ». Pour le punir de son intervention, « aucuns des dessus nommez ou de leurs gens alèrent en l’ostel d’icellui suppliant, où lui prindrent ses autres chevaulz qu’il avoit, son harnois et tous ses autres biens meubles, robes, linge, joyaux et choses quelzconques estans en sondit hostel, lesquelz ilz emportèrent et firent mener en nostre ville de Nyort, et tellement le pillèrent qu’il n’avoit ne n’a de quoy vivre ne soy remettre sus pour nous servir en noz guerres, comme avoit acoustumé, etc. » (Original, Bibl. nat., ms. fr. 20584, n° 60. — Le n° 61 de ce recueil est un vidimus des lettres du 16 avril 1440, donné sous le sceau de Guillaume Rogier, garde du sceau aux contrats de Poitiers, le 11 octobre 1440.) Pour reconnaître la fidélité des autres habitants. Charles VII leur concéda divers privilèges, créa un corps de ville à Saint-Maixent, par lettres d’avril 1440 après Pâques, y transféra l’élection qui avait auparavant son siège à Niort, etc. (Voy. A. Richard, op. cit.)

2 Sic. Peut-être faut-il lire « poursuivant d’armes », c’est-à-dire aspirant à l’office de héraut d’armes, auquel on ne pouvait parvenir qu’après sept années d’apprentissage.

3 Dans l’introduction de notre précédent volume (p. xvii), à propos de la tentative du connétable de Richemont pour s’emparer de Sainte-Néomaye à la fin de 1428, nous avons dit que cette place appartenait vraisemblablement à Jean de La Rochefoucauld, sénéchal de Poitou. Cette hypothèse se trouve entièrement justifiée par un document que nous avons découvert depuis. Il s’agit de lettres patentes de Charles VII, datées de Niort, le 13 juillet 1427, constatant que son écuyer d’écurie, Jean de La Roche, seigneur de Sainte-Néomaye, lui a fait ce jour « l’hommage de la terre, chastel et chastellenie dudict Saincte-Neomaye, à luy de nouvel advenue par don de nous, mouvant et tenue de nous, à cause de nostre chastel et chastellenie de Saint-Maixent », lesdites lettres signées : « Par le roy, le seigneur de La Trémoïlle, les sires de Gaucourt et de Villers, et autres presens. Mallière ». (Arch. nat., P. 5532, cote 445.)

4 Raoul VI de Gaucourt, premier chambellan du roi et grand maître de France ; il avait été sénéchal de Poitou de décembre 1427 à juin 1429. (Cf. Arch. hist. du Poitou, t. XXVI, p. 285, note 2.)