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MCXXXIX

Lettres portant union à la vicomté de Châtellerault, sous un seul hommage, des terres et seigneuries de Thuré, Saint-Christophe et la Tour-d’Oiré, cédées par l’évêque de Poitiers à Charles d’Anjou, vicomte de Châtellerault, en échange du château d’Harcourt à Chauvigny.

  • B AN JJ. 178, n° 206, fol. 118 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 12-16
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion de nostre très chier et très amé frère et cousin Charles d’Anjou, conte du Mayne et viconte de Chastellerault1, contenant que, combien que nostre amé [p. 13] et feal conseillier l’evesque de Poictiers, auquel à cause de son temporel de son dit eveschié compettoient et appartenoient les terres et seigneuries de Thuré, de Saint Christofle et la Tour d’Oiré, estans en la viconté de Chastellerault, lui ait de nouvel cedé, transporté et delaissié [p. 14] à tousjours mès perpetuelment, pour lui, ses hoirs et successeurs et ceulx qui de lui auront cause ou temps avenir, lesdictes terres et seigneuries de Thuré, de Saint Christofle et la Tour d’Oiré ; moyennant lequel transport nostre dit frère et cousin a pareillement cedé, transporté et delaissié à nostre dit conseillier et à ses successeurs, evesques du dit lieu de Poictiers, le chastel de Harecourt lez Chauvigny, appartenant à icellui nostre frère et cousin, et tenu en fief de nostre dit conseiller, à cause de son dit chastel de Chauvigny2 ; neantmoins nostre dit frère et cousin doubte que, soubz umbre de ce que les dictes terres et seigneuries de Thuré, de Saint Christofle et la Tour d’Oiré, qui paravant le dit traictié estoient admorties et le propre heritaige d’icellui nostre conseiller et de ses successeurs evesques, sont de present hors de la main de nostre dit conseiller, qui les a transportées comme dit est, on le vueille contraindre à nous faire d’icelles terres et seigneuries foy et hommaige à part, oultre celui qui à cause d’icelle viconté de Chastelleraut nous est deu, qui seroit en son grant prejudice et dommaige, si comme il dit. Requerant humblement qu’il nous plaise lui octroyer que les dictes terres et seigneuries de Thuré, Saint Christofle et la Tour d’Oiré, qui sont assises et situées en et au [p. 15] dedans de ladicte viconté de Chastelleraut, comme dit est, il puisse tenir de nous, soubz les foy et hommaige qu’il nous est tenu faire à cause de sa dicte viconté de Chastelleraut, et icelles terres et seigneuries joindre et unir avec icelle sa viconté, tant en ressort que juridicion, sans ce qu’il ou ses successeurs en soyent tenuz faire hommaige à part, et sur ce lui impartir nostre grace. Pour quoy nous, ces choses considerées et les grans, notables et agreables services que nostre dit frère et cousin nous a faiz en plusieurs et diverses manières, le temps passé, fait encores de jour en jour, et esperons que plus face ou temps avenir, aussi la grant proximité de lignaige en quoy il nous attient, à icellui nostre frère et cousin, qui sur ce nous a requis, avons octroyé et octroyons, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, par ces presentes, que les dictes terres et seigneuries de Thuré, de Saint Christofle et la Tour d’Oiré, il et ses diz hoirs et successeurs ayent et tiennent doresenavant soubz l’ommaige que nostre dit frère et cousin nous est tenu faire pour raison de sa dicte viconté de Chastellerault, et icelles terres et seigneuries avons joinctes et unies, joingnons et unissons par ces dictes presentes à la dicte viconté et soubz le ressort et hommaige d’icelle, pour estre ung mesme fief, sans qu’il ne aucun de ses diz hoirs, successeurs et autres qui de lui auront cause ou temps avenir, soient tenuz d’en faire hommaige, à part, pourveu que les dictes terres de Thuré, Saint Christofle et de la Tour d’Oiré courront en rachat envers nous, comme fait la dicte viconté, quant le cas y escherra. Si donnons en mandement par ces mesmes presentes à noz amez et feaulx conseillers les gens tenans nostre Parlement, gens de noz comptes et tresoriers, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que de noz presente grace et octroy facent, seuffrent et [p. 16] laissent nostredit frère et cousin, ensemble ses diz hoirs, successeurs et ceulx qui de lui auront cause, joir et user plainement et paisiblement, sans en ce leur mettre ou donner, ne souffrir estre mis ou donné aucun destourbier ou empeschement, ores ne pour le temps avenir, ains, se mis ou donné leur avoít esté ou estoit, le reparent et mettent ou facent reparer et mettre incontinant et sans delay au premier estat et deu. Et afin, etc., nous avons, etc. Sauf en autres choses, etc. Donné au Bois sire Amé, ou mois de juing l’an de grace mil cccc.xlvii, et de nostre règne le xxve3.

Ainsi signé : Par le roy en son conseil. E. Chevalier. — Visa. Contentor.


1 Charles d’Anjou, comte du Maine et de Mortain, beau-frère de Charles VII (voy. le vol. précédent, p. 146, note), avait acquis la vicomté de Châtellerault depuis peu de temps. Les auteurs ne sont pas d’accord sur la date ni sur les conditions de ce transport. La Roque dit, d’après Le Féron, que Jean VII, comte d’Harcourt (mort en 1452, à l’âge de quatre-vingt-deux ans), vendit Châtellerault au comte du Maine « environ l’an 1440 », sans autre renseignement. (Généalogie de la maison d’Harcourt, in-fol. t. I, p. 411.) Le P. Anselme prétend que l’acquisition comprenait, avec la vicomté de Châtellerault, la seigneurie de Mézières-en-Brenne, le comté d’Aumale, etc., que le comte d’Harcourt échangea, par contrat du 17 décembre 1445, contre la Ferté-Bernard et autres terres, avec Charles IV, comte du Maine, roi de Naples, de Sicile et de Jérusalem, le fils de Charles III d’Anjou, comte de Mortain et du Maine (Hist. généal., t. I, p. 234), ce qui est une erreur manifeste. Par contre, la date du 17 décembre 1445 paraît assez exacte, car on sait de bonne source que Charles d’Anjou fit hommage de Châtellerault à Charles VII, comme comte de Poitou, le 26 janvier 1446 n.s., et rendit son aveu le 3 février suivant. Un inventaire officiel des titres du comte du Maine relatifs à la vicomté de Châtellerault, dressé les 5, 6 et 7 janvier 1482, en vertu de lettres de Louis XI données à Thouars, le 31 décembre 1481, et déposé à la Chambre des comptes, contient ces renseignements et plusieurs autres qui peuvent servir à éclairer la question. La première pièce inventoriée est ainsi désignée : « Instrument de certains appointemens pourparlés entre MM. les comtes du Maine et d’Harcourt en la presence de Mre Renault de Drenezay (du Dresnay, cf. vol. précédent, p. 78, note), chevalier, et autres, donné à Chastellerault, le xxve janvier 1445 » (1446 n.s). S’agit-il du contrat d’acquisition ou d’un règlement de points accessoires ? Vient ensuite un aveu de Jeanne, bâtarde d’Harcourt, qui confesse tenir, sa vie durant, de M. le comte du Maine, seigneur et propriétaire de la vicomté de Châtellerault, les terres et seigneuries de Mézières-en-Brenne et de l’Isle-Savary, aveu daté du 11 juillet 1446.

Jean VII, comte d’Harcourt, avait alors soixante-quinze ans. Son fils Jean VIII avait été tué à la bataille de Verneuil (17 août 1424), et il n’avait d’autres héritiers que deux filles, la première, Marie, comtesse d’Aumale, mariée à Antoine de Lorraine, comte de Vaudémont, et la seconde, Jeanne, qui épousa d’abord Jean, sire de Rieux, puis, l’an 1434, Bertrand de Dinan, sr de Châteaubriant. Celles-ci se considérèrent comme lésées par le contrat de vente ou d’échange de la vicomté de Châtellerault et se pourvurent, pour en obtenir l’annulation ou au moins pour en faire modifier les conditions. Cette contestation fut réglée par un accord amiable passé à Chinon, le 21 mai 1449, « contenant l’appointement fait entre le comte du Maine, présent en personne, d’une part, Jean de Lorraine, en son nom et comme fondé de procuration des comte et comtesse de Vaudémont, ses père et mère, l’évêque de Rennes, représentant Mme de Rieux, et Guillaume Boyn, procureur du comte d’Harcourt ». La cote d’inventaire n’indique rien de plus, mais on voit par deux quittances qui figurent à la suite, l’une du 30 septembre 1450, l’autre du 28 février 1452 n.s., que Charles d’Anjou, par la transaction de Chinon, s’était engagé à payer à chacune des deux filles de Jean d’Harcourt la somme de 20.000 écus d’or. Le château et la terre de Nouvion en Thiérache avait été baillée comme garantie du paiement à effectuer au profit du comte et de la comtesse de Vaudémont. (Arch. nat., P 1340, cote 498.) Dès lors le comte du Maine jouit sans conteste de la vicomté de Châtellerault. Dans un acte du 12 mai 1454, il s’intitule comte du Maine, de Guise, de Mortain et de Gien, et vicomte de Châtellerault ; c’est une déclaration portant que la contribution que le chapitre de Saint-Hilaire de Poitiers lui avait accordée dans les paroisses d’Asnières et d’Ouzilly, pour lui faire plaisir, ne tirerait point à conséquence pour l’avenir. (Coll. dom Fonteneau, t. XII, p. 81.)

Charles d’Anjou mourut le 10 avril 1473. Son fils Charles IV, comte du Maine, roi de Sicile, de Naples et de Jérusalem, hérita de la vicomté de Châtellerault et en jouit jusqu’à son décès, survenu le 11 décembre 1481. Comme il avait institué Louis XI son héritier universel, Châtellerault fut réuni au domaine de la couronne. Pierre de Rohan, seigneur de Gyé, maréchal de France, chargé de la liquidation de cette succession, reçut les titres qui se trouvaient au Mans et en fit dresser l’inventaire dont il vient d’être question. Cependant Jean d’Armagnac, duc de Nemours, et Louis d’Armagnac, comte de la Marche, réclamèrent l’héritage du roi de Sicile, leur oncle maternel ; ils furent mis provisoirement en possession de Châtellerault, en 1483, et Charles VIII leur en fit la restitution expresse par lettres du 29 mars 1491.

2 Le château et la châtellenie d’Harcourt à Chauvigny avaient été acquis à part par Charles d’Anjou, comte du Maine, de Jean VII comte d’Harcourt, le 27 mars 1447 n.s., puis échangés par le nouveau possesseur, le 21 mai de la même année, ainsi que les terres de la Pérate et de Conflans, avec Guillaume Gouge de Charpaignes, évêque de Poitiers (cf. sa notice, vol. précédent, p. 116), contre lesdites seigneuries de Thuré, de Saint-Christophe et de la Tour-d’Oiré, et la dîme de Sénillé. (Arch. de la Vienne, orig., G. 40. Voy. aussi C. Tranchant, Notice sommaire sur Chauvigny de Poitou, 1884, in-12, p. 56.)

3 L’année suivante (1448), le comte du Maine céda à son maître d’hôtel, Huguet de Villé (Billy), écuyer, et à Jeanne Rouault, sa femme, les terres de Thuré, Saint-Christophe et la Tour-d’Oiré ; puis il obtint de Charles VII, en juin 1452, de nouvelles lettres patentes confirmant l’union de ces trois seigneuries sous un seul et même hommage. Les lettres de juin 1447 et celles de juin 1452 sont publiées, d’après le texte du Trésor des Chartes, dans la collection des Ordonnances des Rois de France, in fol., t. XIV, p. 228. — Voy. aussi Lalanne, Histoire de Châtellerault, t. I, p. 291 et suiv., 476.