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MCCLII

Rémission en faveur de Pierre Scolin, écuyer, qui, prisonnier en la Conciergerie du Palais à Poitiers, pour le meurtre du prieur de Ceaux, s’était évadé et réfugié en franchise dans l’église Notre-Dame-la-Petite.

  • B AN JJ. 182, n° 110, fol. 62
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 380-383
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc., nous avoir receue l’umble supplicacion de nostre bien amé Pierre Scolin1, [p. 381] escuier, prisonnier detenu ès prisons de la Conciergerie de nostre Palais à Poictiers, contenant que, à l’occasion de la mort et occision par lui commise de la personne de feu frère Nicolas Rajaceau, religieux de l’ordre de Saint Augustin, en son vivant prieur curé de Ceaulx, il obtint pieça noz lettres de remission en laz de soye et cire vert, pour lesquelles faire enteriner, il les presenta à nostre bailli de Touraine ou à son lieutenant à Chinon, auquel lieu il fut detenu prisonnier audit lieu de Chinon (sic), et depuis fut mené prisonnier ès prisons de la Conciergerie de nostre Palaiz à Paris, èsquelles il fut par aucun temps. Après lequel il fut par nostre court de Parlement renvoyé par devers nostre seneschal de Poictou, ou son lieutenant à Poictiers, pour enteriner ses dictes lettres de remission. Auquel lieu de Poictiers il fut detenu prisonnier ès prisons de ladicte Conciergerie, èsquelles il est encores à present. Par devers lequel suppliant, estant ès dictes prisons de Poictiers puis aucun temps ença, le geollier d’icelles se transporta, ung certain jour devers le matin, et lui dist qu’il se levast bientost et qu’il vouloit parler à lui. Lequel suppliant se leva hastivement et ala parler audit geollier, lequel lui deist qu’il pensast d’envoier devers ses amis pour pourveoir à son cas et envoier devers nous, et que son fait se portoit très mal. Lequel suppliant lui respondit que ne sauroit qui envoier devers ses amis, se ledit geolier n’y aloit lui mesmes. [p. 382] Lequel geolier respondit qu’il yroit vouluntiers lui mesmes et de fait y ala. Lequel jour, ledit suppliant estant fort esbahy des parolles que lui avoit dictes ledit geolier, doubtant que on voulsist proceder contre lui à pugnicion corporelle de sa personne, vit passer par devant ledit Palais ung homme lequel avoit esté commissaire pour gouverner ses biens et heritaiges soubz nostre main, et pour parler à lui pria la femme dudit geollier qu’elle lui alast dire qu’il venist parler à lui. Laquelle y ala et fist tant que ledit commissaire ala par devers ledit suppliant en ladicte Conciergerie. Lesquelz suppliant et commissaire parlèrent ensemble par aucun temps au bas des dictes prisons, et eulx estans ilec, ledit suppliant apparceut que l’uys estoit tout ouvert, et n’y avoit aucune garde en icelles fors une jeune fille, et que la femme dudit geolier estoit alée en la ville, lui estant encores fort esmeu et esbahy des parolles que lui avoit dictes ledit geolier, se transporta à l’uys desdictes prisons, et voyant qu’il n’y avoit personne devant fors ung homme qui passoit par illec, saillit hors desdictes prisons, sans faire aucune fraction, force ou violence ; et ainsi qu’il fut sailly, ladicte fille qui estoit ès dictes prisons, l’apperceut et lui demanda où il aloit, lequel respondit qu’il aloit ilec près, mais ladicte fille lui dist qu’elle pensoit qu’il s’en alast. Et lors ledit homme qui estoit ilec près dist à ladicte fille qu’il s’en aloit et qu’elle criast : « Au prisonnier ! » Laquelle commança à crier, et tantost ledit suppliant, oyant le cry de la dicte fille, s’avança et s’en couru jusques en l’eglise Nostre Dame la Petite dudit lieu de Poictiers, qui est située devant ledit Palais, en laquelle il se mist en franchise, et y fut par aucun temps. Et depuis, lui estant hors de franchise, fut remis en ladicte Conciergerie et reintegra noz prisons. A l’occasion duquel cas, combien que en ce n’ait force, violence ne fracture desdictes prisons, il est encores detenu prisonnier en icelles, enferré de gros fers et est en voye de miserablement finer ses jours, se nostre [p. 383] grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant, etc. Pour quoy nous, etc., voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys de may l’an de grace mil cccc. liiii, et de nostre règne le xxxiie.

Ainsi signées : Par le roy, à la relacion du conseil. H. Machet. — Visa. Contentor. Chaligaut.


1 Pierre Scolin appartenait à une famille établie dans le Châtelleraudais et le Loudunais, dont la noblesse fut reconnue par sentence des commissaires de Charles VI sur le fait des francs-fiefs, le 20 octobre 1395. (Arch. hist. du Poitou, t. XXIV, p. 265-270.) Le texte des lettres de rémission qui lui furent délivrées à la suite du meurtre de Nicolas Rajaceau, prieur de Ceaux, ne nous est pas connu. On sait seulement que l’abbé et les religieux de la Trinité de Mauléon, dont dépendait ce prieuré, s’opposèrent à leur entérinement. Pierre Scolin releva appel au Parlement d’exploits de deux sergents royaux, Eustache Briffault et Pierre Hates, faits à cette occasion, à la requête de l’abbé, et vint se constituer prisonnier à la Conciergerie du Palais à Paris. Par arrêt du 2 juin 1453, la cour annula son appel sans amende, et sur la question d’entérinement des lettres de rémission, renvoya les parties devant le sénéchal de Poitou et les ajourna au lendemain de la saint Jean-Baptiste suivante, à Poitiers ; elle ordonna que Scolin serait conduit dans les prisons de cette ville, aux dépens de l’abbé de Mauléon, qui pourrait se les faire rembourser sur les biens de la partie adverse. Il fut confié à Jean Régin, sergent royal, demeurant à Paris, rue de la Harpe, à l’enseigne de la Harpe, qui s’engagea à le mener à Poitiers et à le rendre prisonnier au lieutenant du sénéchal, à ses risques et périls, moyennant la somme de 13 écus d’or. Cette mission ayant été accomplie sans incident, la cour donna commission à un huissier, le 12 juillet 1453, de faire payer cette somme par Pierre Scolin, pour désintéresser les religieux. On ne trouve dans ces deux actes aucun renseignement sur le meurtre du prieur de Ceaux ; il y est dit seulement que les lettres de rémission furent obtenues « occasione murtri sive homicidii perpetrati in personam defuncti fratris Nicolai Rajaceau, dum vivebat, supradicte abbacie religiosi. » (Arch. nat., X2a 26, fol. 240 v°, 283.)