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MCCXVIII

Rémission, en faveur de Pierre Baut, écuyer poitevin, du meurtre de Pierre François, dit de Villiers, qu’il avait frappé, sans intention de le tuer, d’un coup d’épée à la cuisse, celui-ci étant intervenu dans une dispute qu’il avait avec Jean Richart, collecteur des tailles de la paroisse de Saint-Hilaire-sur-l’Autize.

  • B AN JJ. 185, n° 265, fol. 186
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 262-267
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Pierre Baut, escuier, filz de feu Guillaume Baut, en son vivant escuier, contenant que ledit deffunct estoit homme noble et de noble lignée et fut, en son vivant, en pluseurs voyages et assemblées à l’encontre de noz anciens ennemis et adversaires les Anglois, et mesmement au siège de Bourg1, qui fut mis par feu nostre oncle le duc d’Orleans derrenier trespassé ; lequel feu Guillaume Baut, [p. 263] vingt ans a ou environ, est alé de vie à trespassement, delaissé ledit Pierre Baut, son filz, en l’aage de cinq ans ou environ, lequel venu en aage compectant a servy pluseurs nobles du pays et a esté en garnison longtemps en la ville de Mirembeau en Xanctonge, pour resister à nosdiz ennemis qui lors occuppoient grant partie de nostre pays de Guienne, et s’est ledit Pierre tousjours depuis tenu en ladicte garnison soubz Jehan de Toutessan, escuier, seigneur de Champdolant2, cappitaine dudit lieu de Mirembeau, et jusques à ce que avons envoyé noz gens d’armes et de trait oudit pays de Guienne, pour la reduction d’icellui [p. 264] en nostre obeissance ; lequel Pierre, après ce que noz gens de guerre sont descenduz oudit pays, a esté retenu et mis en ordonnance par nostre amé et feal conseiller maistre Jehan Bureau, tresorier de France, soubz la charge duquel il estoit ; lequel Pierre nous a bien et loyaument servi oudit voyage à l’encontre de nos diz ennemis. Lequel estant au siège de Blaye3 fut très griefvement blecié ou visage, et depuis le recouvrement et reduction dudit pays de Guienne, comme estant en ordonnance, a esté retenu avec autres compaignons de guerre et mis en garnison à la garde de la place de Chastillon, en laquelle il est encores demourant. Lequel Pierre puis nagaires s’est trait audit lieu de Champdolent et illec a fiencé une femme ; mais pour ce qu’il ne vouloit faire ses nopces sans le faire assavoir à sa mère et autres ses amis, vint, la sepmaine devant la sainte Katherine derreniere passée, au lieu de Bertet, en l’ostel de son feu père, et ilec demoura trois jours ou environ ; pendant lequel temps parolles se meurent d’entre sa dicte mère et autres demourans audit hostel, de certains gaiges qui autresfoiz avoient esté prins par ung nommé Jehan Richart, demourant ou village de Beauregart près dudit lieu de Bertet, en la paroisse de Saint Ylaire sur l’Autize, comme soy disant collecteur de certaines tailles mises sus de par nous en ladicte parroisse. Lequel Pierre, voyant que lesdiz gaiges n’avoient point esté renduz, monta, le mercredi matin en ladicte sepmaine, sur son cheval, et print sa dague et espée, pour aler audit lieu de Saint Ylaire, et passa par ledit lieu de [p. 265] Beauregart. Auquel lieu il ne trouva pas ledit Richart en sa maison, mais en alant audit lieu de Saint Ylaire, trouva ledit Richart faisant ung fossé au long d’une pièce de terre. Lequel Pierre salua ledit Richart et lui demanda qu’estoient devenuz les gaiges qu’il avoit prins ou fait prendre en l’ostel de sa mère ; lequel Richart lui respondi qu’il n’en avoit que besongnier et qu’il ne savoit qui il estoit. Auquel Richart ledit Pierre dist qu’il les gardast bien et qu’il les rendroit, et les lui feroit rendre par justice, et que son entencion estoit de venir devers nous. Lequel Richart lui dist que pour lui il n’en feroit riens et qu’il ne le cognoissoit point et l’outraga de parolles, tellement que ledit Pierre lui respondit que, s’il ne cessoit à l’injurier, qu’il luy donneroit tel cop qu’il en seroit pire. Lequel Richart, sans autre chose dire, se print au corps dudit Pierre et print la poingnée de son espée ; lequel Pierre, qui ne savoit que vouloit faire ledit Richart, print sa dague et lui fist paour, sans autrement lui meffaire que lui faire lacher son espée ; mais ledit Richart, non content de ce, print la pesle dont il dreçoit et faisoit ledit fossé et d’icelle donna tel cop audit Pierre par les espaulles qu’il cheut de dessus son cheval à terre, et volt de rechief courir sus audit Pierre, mais il se leva hastivement et tira son espée et se deffendi dudit Richart, et en se defendant le bleça ung peu ou polse. Pour le bruit desquelz Richart et Pierre Baut, et aussi que ledit Richart cria à haulte voix « à l’aide », survindrent tantost après à son aide Loys et Jehan Bonneaux, frères, cousins germains dudit Richart, et Pierre François, dit de Villiers, demourant audit village de Beauregart ; lesquelz estoient embastonnez, c’est assavoir ledit Loys d’un voulant4 pour buissonner, et ledit Jehan Bonneau [p. 266] et Pierre François chacun d’un gros baston. Lesquelz coururent sus avec ledit Richart audit Pierre, auquel convint habandonner son cheval, et print la fuite vers l’ostel de sa mère, par où l’en va dudit lieu de Beauregart à Bertet. Lesquelz Bonneaux, François et Richart poursuivirent si fort ledit Pierre qu’il lui convint se gecter ès terres appartenans à Jehan Chauvigny dudit lieu de Bertet, en l’ayre ou court dudit Chauvigny, tirant à la porte de la dicte ayre qui couroit ou chemin publique, lequel chemin ledit Pierre avoit fourvoié et delaissé, cuidant estre avant que les dessus nommez à ladicte porte, pour seurement se rendre en l’ostel de sa dicte mère ; mais lesdiz Richart, Bonneaux et François furent aussi tost que luy à la porte de la dicte ayre, place ou court, et se mirent devant, tellement qu’il convint audit Pierre fermer ladicte porte et se targer d’icelle. Laquelle porte demoura entre ouverte pour l’empeschement que faisoient lesdiz Bonneaux et François et Richart, lesquelz furent ilec par aucun temps, assaillant ledit Pierre, auquel ilz donnoient pluseurs grans menaces ; pour quoy il n’osoit saillir de la dicte aire. Lequel Pierre estant ainsi en ladicte ayre et ladicte porte entre ouverte, et parlant par ladicte ouverture ausdiz Bonneaux et Richart, tenant son espée nue soubz son bras, la pointe par derière lui, ledit François vint par derrière en ladicte aire, cryant à haulte voix : « Je tiens le meurtrier ! » A laquelle voix, ledit Pierre qui ot paour se retourna pour regarder qui c’estoit qui le vouloit surprendre ; lequel François se gecta hastivement sur ledit Pierre et s’enferra de l’espée dudit Pierre en la cuisse, tellement que du cop qu’il donna contre la pointe de ladicte espée, il fist saillir le pomeau de la dicte espée contre la muraille, contre laquelle ladicte espée s’aferma tellement que la dicte espée passa oultre la cuisse dudit François ; par le moyen duquel cop ledit François perdist tout le sang et demoura ilec en la place, et deux heures [p. 267] après ala de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas ledit Pierre, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays et n’y oseroit jamais retourner, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties ; humblement requerant que, attendu ce que dit est et que ledit Pierre est homme de bon fame, renommée et honeste conversacion, non actaint ou convaincu d’aucun vilain cas, blasme ou reprouche, et que ledit Richart et Bonneaux furent agresseurs et ne leur demandoit riens ledit Pierre, ne n’avoit eu paravant aucune hayne audit feu François, et que ledit Pierre n’a fait ledit cop à son aissient, etc., il nous plaise sur ce luy pourveoir de nos dictes grace et misericorde. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit Pierre ou cas dessus dit avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, aux seneschaulx de Poictou, de Xanctonge, gouverneur de la Rochelle et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Poictiers, ou mois de decembre l’an de grace mil cccc. cinquante et ung, et de nostre règne le xxxe.

Ainsi signé : Par le roy à la relacion du conseil. Burdelot. — Visa. Contentor. Daniel.


1 Il s’agit du siège mis devant cette place forte par Louis duc d’Orléans, lors de son expédition en Guyenne, l’an 1406. Après avoir perdu plusieurs jours à négocier avec les Anglais de Bordeaux, il s’éloigna plein de dépit et résolu à enlever de vive force Bourg-sur-Gironde, ville importante, flanquée de tours et de murailles et défendue par une forte garnison. De la veille de la Toussaint jusqu’au milieu de janvier suivant, le duc d’Orléans ne cessa de fatiguer les assiégés par des assauts continuels. Mais ses attaques furent toutes repoussées, son armée décimée par les maladies, et il fut obligé de se retirer. La Chronique du religieux de Saint-Denis fournit des renseignements nombreux sur les opérations de ce siège. (Edit. Bellaguet, in-4°, t. III, p. 451 et suiv.)

2 Richard Totesham, chevalier anglais, qui avait accompagné Jean Chandos quand celui-ci prit possession, au nom du roi d’Angleterre, du Poitou et de la Saintonge, fut établi, le 5 octobre 1361, gouverneur de la Rochelle et sénéchal de Saintonge au lieu de Guichard d’Ars. (A. Bardonnet, Délivrance du Poitou à Chandos, p. 123 et s., 167.) Il épousa Rose André, dame de Champdolent, et lors de la reprise du pays par Du Guesclin, il retourna en Angleterre, abandonnant sa femme et deux enfants en bas âge, Jean et une fille qui fut mariée à Maynart de Maugésier, chevalier. La terre et seigneurie de la Jarrie, que Richard avait acquise après son mariage, fut alors confisquée par Charles V, puis après rendue à la dame de Champdolent et à ses enfants, par lettres de don du 15 janvier 1379 n.s., confirmées par Charles VI, à Paris, en juin 1399, parce que le vicomte d’Acy, qui avait obtenu la moitié de la confiscation du chevalier anglais, s’était opposé à l’entérinement des premières lettres. (JJ. 117, fol. 152 ; JJ. 154, n° 332, fol. 203.) Le fils de Richard Totesham, qui entra au service du roi de France, francisa son nom et fut appelé Jean de Toutessan. Rose André, sa mère, qui mourut fort âgée, était en procès, le 23 décembre 1419, contre Jean Préveraut au sujet du rachat d’une maison sise à Saint-Jean-d’Angély, près la porte de Niort, qu’elle lui avait vendue pour le prix de 200 livres. (X1a 9190, fol. 70 v°.) Elle vivait encore le 21 juillet 1431. A cette date, Jean de Toutessan, qualifié chevalier, procureur et gestor negociorum de sa mère, obtint un arrêt du Parlement contre Michel Burget au sujet de l’hommage de fiefs situés dans les paroisses de Champdolent, de Saint-Vivien et autres lieux. (X1a 9192, fol. 243 v°.) Il rendit aveu de la tour de Contré, mouvant de la vicomté d’Aunay, le 31 mars 1428 n.s., et son fils, nommé aussi Jean de Toutessan, sr de Champdolent, celui dont il est question ici, fit à son tour aveu de cette terre et du fief Raffin, le 11 mai 1448, et le renouvela le 29 novembre 1479. (Arch. nat., P. 5182, nos 1163, 1165, 1175.)

3 Peu après la reprise des hostilités en Guyenne, le 12 mai 1451, Dunois se porta sur Blaye, la plus forte place du pays après Bordeaux. Tandis qu’il attaquait la ville par terre, une flotte, sous les ordres de Jean Le Boursier, tenait la mer. Cinq gros navires envoyés par les Bordelais pour secourir Blaye furent dispersés après un combat sanglant. Le Boursier donna la chasse aux vaisseaux ennemis jusqu’à l’embouchure de la Gironde, puis il revint faire le blocus de la place. Le 20 mai un assaut fut donné ; il détermina la capitulation, qui fut signée à la date du 23. (De Beaucourt, Hist. de Charles VII, t. V, p. 46.)

4 Le volant est une faucille attachée à un long manche avec laquelle on coupe « à la volée » les buissons et les extrémités de branches d’arbres. (Voy. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française.)