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MCLXXXVI

Rémission octroyée à Colas Bonnevot, de Gençay, qui, ayant frappé mortellement son beau-frère et ancien associé, Guillaume Perault, parce qu’il lui avait cherché querelle et fait tort à plusieurs reprises, avait été emprisonné audit lieu et s’était évadé.

  • B AN JJ. 186, n° 33, fol. 17
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 164-169
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receu l’umble supplicacion de Colas Bonnevot, naguères demourant en la ville de Gençay près Poictiers, chargé de femme grosse et de plusieurs petiz enffans, contenant que, ung an a ou environ que ledit Bonnevot et feu Guillaume Perault, lequel avoit esposé la seur de la femme dudit Bonnevot, et le jour d’une foire de Gençay, partirent ung soir bien tart dudit lieu de Gençay, pour aler à Champaigné, et pourtoient chascun son fardeau de paelles ; et quant ilz furent en certain bois appellé le Bois de la Roche, près d’une maison nommée la Roche, ledit Perault dist audit Bonnevot ces parolles : « Il est bien tant d’aler à ceste heure ; nous alons quant il est nuyt ! » Et alors ledit Bonnevot lui demanda à qui en estoit la faulte ; lequel Perault lui dist que à lui. A quoy ledit suppliant respondi que non estoit. Et tantost ledit Perault descharga et deslia son fardeau des dictes paelles, et print ung baston et commança à frapper tant qu’il peut sur les dictes paelles. Et pour ce que ledit suppliant avoit partie ès dictes paelles, il lui dist que ce n’estoit pas bien fait de les derompre ; et adonc ledit Perault dist audit suppliant qu’il ne rompoit pas les siennes et que jamais il ne demourroit ou païs, et s’en voult aler. Et adonc ledit Bonnevot par le bras1 ; et incontinent ledit Perault se print [p. 165] audit suppliant et le gecta à terre et le foula des genoulz, et lui fist pluseurs oppressions. Et ce fait lesdiz suppliant et Perault prindrent chascun son fardel et s’en alèrent ensemble une lieue ou environ. Et quant il fut bien nuyt, se absenta dudit suppliant et se mussa ou bois ; et quant ledit suppliant ne le peut trouver, il s’en alast à la Crousete et demoura illec celle nuit, et le landemain s’en ala à Champaigné pour cuider trouver ledit Perault ; et pour ce qu’il ne le peut trouver ilec, s’en ala à Vivonne où il le trouva, et illec se rassemblèrent. Et abilla et mist ledit Bonnevot à point lesdictes paelles, et alèrent par les villaiges à leur avanture, ainsi qu’ilz avoient acoustumé de faire paravant. Et certain temps après, c’est assavoir le jour de la saint Morice derrenierement passé2, ainsi que lesdiz suppliant, Perault et plusieurs autres maignens3 estoient et souppoient à Gençay ensemble en l’ostel dudit Perault, pour ce que oudit hostel n’avoit point de vin, et que en l’ostel dudit suppliant en avoit, ledit Perault en envoya querir plusieurs fois à l’ostel dudit suppliant ; et quant il eut beu du derrenier pot de vin qu’il avoit envoyé querir à l’ostel dudit suppliant, il lui dist que sa femme avoit mis de l’eaue dedans ledit vin et que ce n’estoit pas bien fait. Et adonc ledit suppliant lui respondi qu’il n’en estoit riens ; et s’entreprindrent fort de parolles ensemble et tant que ledit suppliant gaigea audit Perault qu’il n’avoit point d’eaue, et en vouloient croire et ester au dit des assistens ; et envoièrent querir une pinte dudit vin, pour savoir s’il estoit pareil de l’autre ; lesquelz assistens dirent que c’estoit tout ung. Et tantost que les autres maignens furent yssus de la chambre pour aler coucher, lesdiz suppliant et Perault se prindrent de rechief de parolles ; et pour ce que ledit suppliant ne vouloit yssir dehors dudit hostel, ledit Perault le print, frappa et treyna dehors dudit hostel, et [p. 166] s’entrebatirent en la rue, devant ledit hostel ; et en ce faisant, ledit suppliant dist audit Perault qu’il ne mourroit jamais d’autres mains que des siennes. Et alors lesdiz maignens et autres s’assemblèrent ilec et les departirent, et de rechief ledit suppliant reentra oudit hostel, disant que, s’il povoit trouver ledit Perault, qu’il le turoit. Et alors s’en ala ledit suppliant en son hostel en ladicte ville de Gençay ; et le landemain au matin, lesdiz Bonnevot et Perault, qui paravant estoient communs en denrrées et marchandises, se departirent et comptèrent ensemble, et par leur compte resta deux paelles à departir entre eulx. Et depuis le mardi avant la Toussains derrenierement passée, ledit Perault acheta audit lieu de Gençay ung cousteau long et estroit en la façon d’un cousteau de daigue, auquel ledit suppliant demanda qu’il vouloit faire dudit cousteau, et ledit Perault lui respondi que c’estoit pour le tuer, et incontinent alèrent desjuner ensemble en l’ostel dudit suppliant avec Naudinet de Champeigné, et en desjunant ledit Bonnevot print ledit cousteau sur la table et le monstra audit Naudinet, et lui dist que ledit Perault lui avoit dit qu’il avoit achapté ledit cousteau pour le tuer. Et adonc ledit Naudinet dist audit Perault que ce n’estoit pas cousteau pour lui ; et tantost après ledit Bonnevot demanda audit Perault s’il vouloit aler à Poictiers mener certain blé qu’il devoit mener à ung tapicier de Poictiers. Lequel Perault dist audit Bonnevot qu’il n’avoit que une beste ; et alors ledit suppliant lui dist qu’il en louast une autre et qu’il en trouveroit bien, pour ce que ce jour la foire estoit audit lieu de Gençay. Et adonc ledit Perault en loua une, et pour ce que ledit Perault et cellui à qui estoit la beste estoit en discort du pris dudit louaige, ledit suppliant lui dist et pria qu’il lui fist bon marché et que avant il paieroit les despens dudit Perault, et les accorda ensemble ; et ce fait, ledit suppliant print lesdictes deux paelles qui estoient demourées de la fin du compte de lui et dudit [p. 167] Perault, et s’en alèrent tous deux au coucher aux Roches près Poictiers, en l’ostel de cellui à qui estoit la beste que ledit Perault avoit louée. Et le lendemain au matin s’en alèrent à Poictiers. Et quant ilz furent audit Poictiers, ledit Perault dist audit suppliant qu’il lui baillast ung escu, lequel lui dist qu’il n’avoit que xx. solz tournois pour lui bailler. Et adonc ledit Perault dist audit Bonnevot que, si lui bailloit ledit eseu, qu’il l’en paieroit bien avant qu’il fut nuyt et qu’il vendroit le blé qu’il avoit mené audit lieu de Poictiers. Et quand ledit suppliant ouyt que ledit Perault vendroit ledit blé, il lui bailla ung escu qu’il avoit emprunté du cappitaine de Gençay. Et adonc se departirent d’ensemble, et quant vint au soir, ledit Perault ala à l’ostel de Thevenot Bechery, paellier, où il trouva ledit Bonnevot, lesquelx burent ilec ensemble et, ce fait, montèrent chascun sur une desdictes bestes, sur lesquelles ilz avoient mené ledit blé à Poictiers, et porta ledit Perault certaines besongnes et marchandises que ledit suppliant avoit achapté audit lieu de Poictiers, et s’en alèrent noisant et tansant l’un à l’autre, partie de chemin. Et quant ledit Perault fut près dudit lieu des Roches, il s’avança le premier et ala à l’ostel où il avoit couchié celle nuyt ; et quant il fut devant la porte, il geta les besongnes dudit Bonnevot en la rue et print les deux paelles, qu’il avoit ilec aportées, et commança à s’en fouir. Lequel suppliant, veant qu’il en portoit lesdictes paelles, couru après ; mais pour ce qu’il ne le peut aconsuir, il s’en ala au devant de lui à la Ville Dieu, et dist à son hoste qu’il sallist avec lui, et que ledit Perault lui avoit emblé deux paelles, et seroit en avanture de le tuer ; lequel hoste yssi hors de son dit hostel avec une sienne bruz. Et tantost après, ledit Bonnevot ouyt que ledit Perault demandoit au mareschal dudit lieu une pelle de fer qu’il lui avoit baillée pour apareiller, et incontinent ledit suppliant couru ilec et osta les dictes deux paelles audit Perault et les porta en [p. 168] l’ostel dudit mareschal, et retourna incontinent à l’encontre dudit Perault, lequel estoit encores à cheval, et lui osta ledit cousteau et la gaigne et rompi l’aguillette de sa sainture. Lequel Perault frappa ledit suppliant sur le coul et incontinent descendit de cheval à terre ; et quant il fut descendu, lesdiz suppliant et Perault se prindrent au corps, et incontinent ledit suppliant frappa ledit Perault dudit coustel en la cuisse près du genoel ung seul coup. Et ce fait, ledit Perault dist audit Bonnevot qu’il estoit mort et qu’il lui fist venir le prestre, et chey à terre ; et incontinent ledit suppliant print le cornet de sa robe et le mist à l’encontre de la playe pour estancher le sang, et appella les voisins que lui venissent secourir et lui aportassent du linge et autres choses necessaires pour estancher ladicte playe. Et quant les voisines et autres gens furent ilec venuz et qu’ilz virent que ledit Perault estoit mort, ilz dirent audit Bonnevot qu’il se mist en franchise ; lequel se mist en cymentire qui estoit ilec auprès, où il fut une heure ou environ, et après ce, se party dudit cymetire pour aler à l’ostel d’un compère qu’il avoit audit lieu de la Ville Dieu. Et tantost qu’il fut party de ladicte franchise, les gens de la justice dudit lieu le prindrent et detindrent prisonnier par aucun temps. Et depuis les gens de la justice dudit lieu de Gençay, pour ce que ledit suppliant estoit de leur terre, requirent avoir ledit suppliant et leur estre rendu, pour en faire pugnicion et justice, ainsi que au cas appartenist ; lequel suppliant fut rendu, livré et baillé aux gens de la justice dudit lieu de Gençay, lesquelz l’ont detenu prisonnier par aucun temps. Lequel Bonnevot estant èsdictes prisons, trouva moyen de yssir hors d’icelles, et trouva certaine grosse corde par laquelle il se descendit par dessus les murs dudit chastel de Gençay à terre. A l’occasion desquelx cas, il, doubtant pugnicion de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner, se nostre grace et misericorde ne [p. 169] lui estoient sur ce imparties ; humblement requerant que, attendu ce que dit est et que ledit suppliant fut meu de oster audit Perault sondit cousteau pour ce qu’il avoit dit paravant audit suppliant qu’il l’avoit achapté pour le tuer, par quoy il doubtoit que ledit Perault lui voulsist courir sus et le tuer, et ne le fist en autre entencion, si n’est pour soy garder de sa fureur, et non pas en entencion de lui mal faire, et que ledit Perault fut aggresseur et de fait et de parolles, etc., il nous plaise sur ce lui impartir icelles. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde prefferer à rigueur de justice, audit suppliant avons oudit cas remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux bailliz de Touraine, seneschaulx de Poictou, de Limosin et de Xanctonge et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Alençon, ou mois de mars l’an de grace mil cccc. quarante et neuf, et de nostre règne le xxviiie.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. de Lagarde. — Visa. Contentor. Chaligault.


1 Sic. Il faut lire sans doute : « Et adonc ledit Bonnevot [le retint ou le print] par le bras… »

2 C’est-à-dire le 22 septembre 1449.

3 Chaudronniers ambulants.