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MCCXXII

Rémission octroyée à Bertrand Gouillaud, clerc d’Etienne Gillier, conseiller et procureur du roi en Saintonge, qui s’était rendu coupable, au village de Nanteuil, paroisse de Migné, d’un meurtre sur la personne de Jamet David, meunier, celui-ci l’ayant injurié et attaqué.

  • B AN JJ. 181, n° 26, fol. 13 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 274-279
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Bertrand Gouillaud, clerc de nostre amé et feal maistre Estienne Gilier1, nostre conseiller et procureur en Xanctonge et à [p. 275] la Rochelle, contenant que, en ce present moys de fevrier, en retournant de nostre ville de Tours, en laquelle il estoit venu pour aucunes affaires et besoignes de sondit maistre, et retornant en nostre ville de Poictiers, il passa par Puygarreau, où il porta de par sondit maistre aucunes lettres closes à la dame dudit lieu de Puygarreau, fille de sondit maistre2, et coucha audit lieu. Et le mercredi xvie jour dudit mois de fevrier, ledit Bertrand s’en parti dudit lieu de Puygarreau où il avoit couché, pour aler en nostre ville de Poictiers, et environ neuf heures de jour arriva ou village de Nanteuil, qui est à une lieue près de Poictiers, en la parroisse de Meigné, en laquelle ledit maistre Estienne, son maistre, a plusieurs belles maisons et heritages. Lequel Bertrand, à l’entrée dudit villaige, trouva ung laboureur nommé Jehan Caillaut, qui coupoit des houmeaux et faisoit des fagotz ; lequel Caillaut il salua et lui demanda à qui estoient lesdiz fagotz et houmeaulx. Et ledit Caillaut respondit qu’ilz estoient siens et que le nepveu de feu maistre Regnault Marchent lui avoit vendu les branches desdiz houmeaulx. Et incontinent ledit [p. 276] Bertrand passa son chemin et ala tout à cheval à ung hostel appellé Bertaud estant oudit village, lequel hostel appartient à son dit maistre, cuidant trouver oudit hostel de Bertaud le mestoier ou son varlet, en entencion de repaistre son dit cheval qu’il avoit jà chevauché six lieues, et de soy chauffer, mais pour ce qu’il ne trouva que la chambarière, il passa oultre et ne arresta point oudit hostel de Bertaud, et s’en ala dudit hostel de Bertaud à ung autre des hostelz de son dit maistre, appellé la Grant maison de Nanteuil, tout jeun, sans avoir beu ne mangé ; ne pensoit avoir debat à aucun. Et quant il eut passé la vigne dudit lieu de Bertaud, et qu’il fut au grant chemin dudit village, au droit d’une petite maison appellée la Pille, estant au melieu d’une pièce de terre appellée la terre de la Pille, touchant à ladite vigne de Bertaud, audit grant chemin et à la vigne de ladite Grant maison de Nanteuil, lesquelles maisons de Bertaud, de la Pille et de Nanteuil appartiennent à son dit maistre et sont tenues et mouvans de nous, lequel Bertrand, en alant son chemin, aperceut ou meileu d’icelle terre asnes ou bestes chargées de blé ou farine, sur l’une desquelles avoit ung sac vuide, ouquel n’avoit blé ne farine, après lesquelles bestes avoit ung mosnier, nommé Jamet David, demourant près dudit village, sur la rivière d’Auzance, auquel ledit Bertrand n’avoit jamais eu debat ne parolles contencieuses, et ne savoit encores lors son propre nom. Lequel mosnier estoit acompaigné d’un sien varlet, duquel il ne scet le nom. Ausquelx mosnier et varlet il dist doulcement telles parolles : « David, vous voiez que ceste terre est labourée pour y couvrir le blé, et jasoit ce qu’elle ne feust labourée, il n’y a par icelle point de chemin, et le grant chemin pour venir de vostre maison est bel et sec, par ainsi que vous faictes mal de faire par ceste terre nouvel chemin. Vous faictes injures à monseigneur de Forges, mon maistre, qui est en la sauvegarde du roy, et faictes dommage [p. 277] à son laboureur. Je vous prie, n’y passez plus. » Et incontinent ledit David commença à dire audit Bertrand, present ledit varlet, troys ou quatre foys : « Et bien, et bien, mes bestes font plus de bien que de mal en passant par la terre de vostre maistre ». Et ledit Bertrand, qui jà estoit près dudit hostel de la Pille et aloit veoir se Jehan Mosnier demourant en ladicte maison y estoit, oyant les parolles dudit David, lui dist : « Vous ne dictes pas vray, et ne trouverez laboureur qui ne feust contre vous. Si je vous y trouve une autresfoys, je vous desgaigeray et le vous feray reparer. » Et incontinent ledit David, qui se sentoit fort de lui et de sondit varlet, et estoit homme injurieux et noisif, et hayneux de Guillaume Bardoux, mestoier dudit Gillier en ladicte Grant maison dudit Nanteuil, et de laquelle hayne ledit Bertrand ne savoit riens, et creoit ledit Bertrand que ledit David passoit ses dictes bestes et son dit varlet par ladicte terre en hayne et despit dudit Guillaume Bardoux, pour ce que entre le moulin dudit David et ladicte terre de la Pille sont les terres de ladicte Grant maison de Nanteuil, en laquelle demouroit ledit Guillaume, et par lesquelles terres qui touchent à icelle terre de la Pille ledit David, son dit varlet et lesdictes bestes avoient passé en venant à ladicte terre de la Pille et y faisoient semblablement leur chemin ; lequel David, plein de mal courage, commença à dire audit Bertrand : « Je ne laisserai point pour vous à y passer, puis que le sentier y est ». Et se commença à arrester. Et lors ledit Bertrand retourna aus dictes bestes qui estoient encores en ladicte terre et cuida prendre ledit sac vuide, mais ledit David qui avoit ung gros baston sec frappa sur la teste du cheval dudit Bertrand, qui estoit petit et travaillé du chemin qu’il avoit fait, tant qu’il tint à pou que ledit cheval ne cheut, et s’en feust fouy, se n’eussent esté lesdictes bestes chargées qui estoient devers le chemin, et ledit David et son varlet qui estoient devers le champ, d’autre part. [p. 278] Lequel Bertrand, quant il vit son dit cheval frappé et qu’il ne se povoit oster, sans estre refrappé, volut frapper et de fait frappa ung pou sur ledit David, avec une petite verge de noier qu’il avoit en sa main et dont il chassoit son dit cheval, pour cuider faire fouyr lesdiz David et son varlet ; mais ledit David voulut derechief frapper ledit Bertrand, lequel mist la main destre dont il tenoit ladicte verge au devant du coup, et lui fist ledit David très grant mal et jusques à sang et playe, et crya à son dit varlet : « Aide moy, ribault, aide moy ! » et disant audit Bertrand : « Par le sang Dieu, je vous garderay bien de tirer l’espée ! » Et ce voiant ledit Bertrand, qui estoit entre lesdictes bestes et ledit David et son dit varlet, oyant ledit cry et doubtant estre plus fort blecié, tira une petite espée qu’il avoit, et pour obvier au coup que lui vouloit donner ledit David, frappa sur le baston dudit David, lequel estoit gros et sec, et ne scet ou du plat ou du trenchant, mais ladicte espée ressortit sur le cousté de la teste dudit David, et luy fist sang et playe, dont ledit Bertrand fut très courroussé, et se tira incontinent à part. Et quant il vit qu’il avoit ainsi blecié ledit David, il s’en ala à ladicte maison de la Pille, et pria à la femme dudit Jehan Mosnier, demourant en ladicte maison, et lui requist qu’elle portast audit David ung euf et un peu d’estoupes, et lui dist qu’il avoit blecié ledit David sur la teste, dont il estoit bien courrocié. Et incontinent ladicte femme porta audit David ce que ledit Bertrand lui avoit dit ; mais ledit David qui menassoit très fort ledit Bertrand, ne voulut riens mettre sur ladicte playe, et dist par troys ou quatre foys audit Bertrand : « Tu as fait que foul de par le deable », et s’en ala ainsi cryant en sa maison, jusques au soir, sans riens vouloir mettre sur ladicte playe. Et tantost après ledit Bertrand s’en ala à Poictiers tout jeun, sans boire ne sans menger, doulant et courrocié. Et luy arrivé, doubtant de la mort dudit David, voulut incontinent faire aler maistre [p. 279] Jehan, le barbier, audit lieu de Nanteuil, pour penser [la plaie] dudit David. Et le jeudi ensuivant, pria et requist de rechief audit maistre Jehan qu’il y alast et menast encores ung autre barbier avec lui, et qu’il les paieroit bien, et lui voulut bailler argent. Et aussi fist requerir audit maistre Jehan plusieurs foys d’y aler. Pour laquelle cause, ledit maistre Jehan parla à la femme et au filz dudit David qui estoient venuz en ladicte ville de Poictiers, et leur dist ce que ledit Bertrand lui avoit dit, et qu’il estoit prest d’y aler. Lesquelz femme et filz respondirent audit barbier qu’il n’y alast point et que ung autre barbier y estoit alé, et que ledit David n’avoit pas grant mal. Et aussi disoient publiquement lesdiz femme et filz ce qu’ilz disdrent audit barbier. A l’occasion desquelles parolles, ledit maistre Jehan delaissa d’y aler. Et trois jours après ou environ ledit David, par deffault d’estre pensé et de gouvernement, ou autrement, est alé de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas ledit Bertrand, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays et n’y oseroit jamais retourner, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie. Requerant humblement que, attendu ce que dit est, etc. Pour quoy nous, etc., audit Bertrand avons ou cas dessus dit, remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois de fevrier l’an de grace mil cccc. cinquante et ung, et de nostre règne le xxxe.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Courtinelles. — Visa.


1 Étienne Gillier, sr des Rosiers, fils aîné de Denis Gillier et de Jeanne de Taunay, sa troisième femme, fut conseiller du roi et son procureur en Saintonge, Aunis et au gouvernement de la Rochelle, et clerc des présentations de Poitou, office tenu en fief dans sa famille. Il avait épousé Jeanne Andraut, fille de Guillaume Andraut et de Jeanne Maigné, qui lui apporta la seigneurie de la Villedieu-de-Comblé. Leurs enfants furent : Françoise, dont il est question ci-dessous ; Jean, seigneur de la Villedieu et de Saint-Georges ; Pierre, depuis seigneur de Puygarreau ; Guillaume, seigneur de Salles ; et Jeanne, mariée à Louis de La Brousse, écuyer. Étienne fut exécuteur du testament d’Herbert de Taunay, son oncle, et eut à ce sujet des contestations avec Jeanne Larcher, veuve de celui-ci. Il en a été question, dans un de nos précédents volumes, ainsi que des procès qu’il eut à soutenir contre Jean de Vaily, président au Parlement de Poitiers, son beau-frère. (Voy. Arch. hist. du Poitou, t. XXI, p. 17, note ; t. XXVI, p. 397-398, note ; t. XXIX, p. 27, note, 32, note, 358, note.) Le 7 décembre 1451, il fit hommage de l’hôtel de « Saugé, sis au village de Baigneux », mouvant du château de Lusignan (Arch. nat., P. 5661, cote 2815), et rendit aveu de l’office de clerc des présentations de Poitou, le 15 mars 1462 n.s. Son décès eut lieu avant le 10 mars 1465 n.s., date d’un autre aveu du même office rendu par son fils aîné Jean, seigneur de la Villedieu-de-Comblé. (P. 1145, fol. 143 et v°, 150.)

2 Françoise Gillier, fille aînée d’Étienne et de Jeanne Andraut, était mariée à Jean Barbin, seigneur de Puygarreau, conseiller du roi et son avocat criminel au Parlement, qui, décédé sans enfants en 1469, laissa sa femme héritière de tous ses biens. Ce personnage est l’objet d’une notice quelques pages plus loin. Quant à Françoise, c’est elle qui fonda à Poitiers, le 7 avril 1478, le célèbre collège de Puygarreau, racheté depuis par la ville de Poitiers et cédé aux Jésuites en 1608. Après sa mort, la terre de Puygarreau échut à son frère Pierre. L’abbé Lalanne dit que celui-ci prenait le titre de cette seigneurie dès l’année 1478. (Histoire de Châtellerault, t. I, p. 455. Cf. aussi Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. I, p. 279.)