MCLXIV
Rémission en faveur de Jean Beaugendre, Michaut Doubleau et Colas Godin, de Luzay, pour le meurtre de Jean Gaugain, curé de ladite paroisse, qu’ils avaient surpris couché avec Marion Beaugendre, veuve de Jean Galimbert, leur sœur, cousine et commère.
- B AN JJ. 179, n° 235, fol. 133 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 82-86
Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Beaugendre, Michau Doublau et Colas Godin, de la parroisse de Luzay, contenant que il estoit paroles en la dicte parroisse que feu Jehan Gaugain, en son vivant prebstre et curé de la dicte parroisse, maintenoit Marion Beaugendresse, vefve de feu Jehan Galenberd, sueur germaine dudit Jehan Beaugendre, cousine germaine dudit Michau et commère dudit Colas, supplians, et le dimanche xie jour de ce present mois d’aoust, environ neuf heures de nuyt, fut dit aus diz Michaut et Colas que le dit curé estoit alé à la roche de la dicte Marion, en laquelle icelle Marion demouroit, laquelle roche appartient audit Jehan Beaugendre ; lesquelz Colas et Michau se transportèrent à la dicte roche, et ilecques escoutèrent ung peu. Et ce fait, ledit curé estant en la dicte roche cousché avec ladicte Marion, dist à icelle Marion qu’il y avoit gens qui les escoutoient, et ce dit, icelui curé se commança à lever et habiller. Et adonc lesdiz Colas et Michau appellèrent ladicte Marion, en disant qu’elle leur ouvrist l’uys d’icelle roche. A quoy respondy que non feroit et qu’elle ne les congnoissoit point. Et de rechief lui commencèrent à dire qu’elle leur ouvrist ledit huys, et qu’elle povoit bien savoir à leur parolle qui ilz estoient, en lui disant que le curé estoit couchié avecques elle. Lesquelz Michau et Colas, de paour que ledit curé yssist hors de la maison misdrent et passèrent ung baston par dedens la boucle dudit huys ; et ce fait, ledit curé vint à l’uys de la [p. 83] dicte roche, lequel par force de tirer ou autrement, rompy ladicte boucle et icelle rompue, ledit curé de leger ouvry ledit huys et se mist comme ou my lieu d’icellui. Et adoncques les diz Michau et Colas commancèrent à parler audit curé, en disant se c’estoit fait de homme de bien de venir ainsi deshonnorer ses parroissiennes et de leur aprendre le chemin de perdicion, lui qui devoit estre raemply de toutes bonnes meurs et soy porter comme pasteur et les endotriner en tele manière qu’elles ne deussent ne voulsissent offenser leur createur, en lui disant plus, que pour l’offense et deshonneur qu’il avoit fait à la dicte Marion et aux parens d’icelle que ilz le batroient si à point, avant qu’il partist d’ilecques, que tous les temps de sa vie il ne ahonteroit nulle de ses parroissiennes qu’il ne lui en souvenist. Aus quelles parolles ledit curé reppella, disant qu’il n’estoit pas venu en ladicte roche pour aucun deshonneur faire à ladicte Marion ne à autres, et qu’ilz le laissassent aler, ou autrement qu’il les oultraigeroit en leurs corps et mesmement audit Michau, lequel estoit bien à sa main pour lui donner ung coup, comme il disoit. Et sur ce ledit Colas dist audit curé qu’il leur donnast à chascun d’eulx vingt escuz et qu’ilz le laisseroient aler, afin que aucun grant inconvenient ne s’ensuivist entre eulx, et que ledit curé evitast le plus gracieusement que faire se pourroit qu’il ne feust en son corps blecié ou mutilé, ne que aucun scandal en la personne de ladicte Marion n’advenist, o condicion toutesvoyes que le ledit curé se absenteroit en brief temps de la cure, par permutacion d’icelle ou autrement, quoy que soit que jamais n’y demoureroit. A quoy ledit Michau dist qu’il ne le quicteroit pas pour quarante escuz en sa part. Et depuis ce, pour tousjours fouyr et eschiever mutilacions et bleceures, et aussi que la dicte Marion ne ses parens pour elle feussent aucunement scandalisez, pervindrent à demander seulement chascun son muy de blé, et que se les frères [p. 84] de ladicte Marion ou l’un d’eulx arrivoient aucunement, que jamais n’auroit si bon marché et qu’ilz le occiroient. A quoy respondy ledit curé que il aymeroit mieulx que iceulx frères de ladicte Marion ou l’un d’eulx y feussent que qu’ilz n’y feussent pas, mais que se lesdiz Michau et Colas vouloient prendre chascun sa mine d’avoine, qu’il la leur donneroit, et qu’ilz le laissassent aler. De quoy ne se vouldrent pas contenter. Et incontinant ledit Jehan Beaugendre, lequel avoit veu ledit curé s’en aler vers ladicte roche, par le souspeçon qu’il avoit en la personne dudit curé, vint et arriva en ladicte roche, tenant une fourche de fer en sa main, et ilec trouva lesdiz Michau et Colas, et aussi le curé estant comme ou mylieu de l’uys de la dicte roche, tenant ung bracquemart en sa main tout hors de la gainne. Et lors ledit Michau dist audit Jehan : « Veez cy ce ribault prebstre, que nous avons trouvé couchié avecques ta sueur. » Et adonc ledit curé commança à dire en detestant Dieu et ses saincts, que, se ledit Jehan s’approuchoit qu’il le tueroit ; et lors ledit Beaugendre lui bailla de ladicte fourche de fer par la gorge en disant : « Traistre ribault, me as tu fait tel deshonneur de venir couchier avecques ma sueur, et icelle ahonter ! » Après lequel coup, ledit curé se retrahy dedans ladicte roche et ferma l’uys d’icelle. Adoncques tous lesdiz supplians ensemble misdrent l’uys hors des gons, et ce fait, ledit curé yssi hors de ladicte roche, son bracquemart en sa main, et d’icelui frappa ledit Michau sur la main dextre en tele manière que le posse d’icelle ne lui tenoit que à ung petit de peau. Et après cuida frapper ledit Jehan sur sa teste, lequel fouyt au coup et print incontinant au corps ledit curé et le mist à terre ; et lors ledit Colas lui osta son bracquemart, et tant fist ledit curé que il se leva et en se levant ledit Colas lui donna d’un baston de chesne, qu’il tenoit lors en sa main, ung coup sur l’eschine, et pareillement ledit Michau le cuida frapper, mais pour ce qu’il avoit este blecié très fort en [p. 85] la main, comme dit est, son baston lui eschappa et ferit ledit Colas, ne autrement ne lui touchèrent ne ne frappèrent lesdiz Colas et Michau. Et ce fait, s’en retourna ledit curé dedans ladicte roche, et ilecques le poursuivoient ; et lui ainsi entré dedens, trouva une table laquelle il mist entre lui et ledit Beaugendre et aussi print une petite selle, de laquelle il se targoit le mieulx qu’il savoit et povoit. Lequel Beaugendre ilec lui bailla plusieurs coups et colées, et entre les autres lui bailla ung coup sur la teste environ la couronne, après lequel incontinant ledit curé se posa sur ung lit estant en ladicte roche, ouquel estoient couchiez les enfans de ladicte Marion. Et après ce ledit Beaugendre aluma une chandelle, et en sa main print ung pié de brechet1, duquel lui donna sur ses piez, jambes et braz et autres parties de son corps, en lui disant que jamais ne habiteroit à femme qu’il ne lui en souvenist. Et adonc ladicte Marion pria ledit Beaugendre qu’il lui pleust se surseoir de plus proceder à la mutilacion dudit curé, et incontinant ledit Beaugendre donna cinq ou six coups dudit pié de brechet à ladicte Marion, tant qu’il lui convint soy departir de ladicte roche, en lui disant : « Meschante paillarde, tu as deshonnoré ton lignaige ». Et atant se departirent d’ilecques, et laissèrent ledit curé tout vif. Et après ce, à l’occasion desdiz coups, par faulte de garde ou aultrement, il est alé de vie à trespassement. Pour laquelle cause, lesdiz supplians, doubtans rigueur de justice, ne se oseroient jamais monstrer ne veoir en leurs maisons, se nostre grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, humblement requerans que, attendu les choses dessus dictes, mesmement la proximité de lignage dont lesdiz Beaugendre et Michau attenoient à ladicte Marion, [p. 86] pour quoy dure chose leur estoit de veoir ainsi deshonnorer leur lignaige et pour ung prebstre, leur curé, qui les deust avoir gardez à son povoir, comme à homme d’eglise appartient, mesmement qu’il estoit leur curé et qu’il y estoit tenu et obligié, il nous plaise sur ce nostre dicte grace et misericorde leur impartir. Pour quoy nous, etc. ausdiz supplians avons quicté, remis et pardonné, etc., satisfaction faicte à partie civilement tant seulement, se faicte n’est. Si donnons en mandement par ces presentes à nostre bailli de Touraine et des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Champigny, ou mois d’aoust l’an de grace mil cccc. quarante et huit, et de nostre règne le xxvie.
Ainsi signé : Par le roy, vous, le conte de Dunois, les sires de Pressigny et de Blainville2 et autres presens. Rolant. — Visa. Contentor. E. Froment.