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MCLXXVII

Rémission accordée à Jean Minot, orfèvre de Loudun, pour le meurtre de sa femme.

  • B AN JJ. 179, n° 300, fol. 171 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 32, p. 122-125
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Minot, orfèvre demourant en la ville de Lodun, aagié de xxxv. ans ou environ, contenant que, le dimanche xxiiime jour du mois de mars derrenierement [p. 123] passé, après ce qu’il fut venu de vespres, et retourné en son hostel, cuidant trouver le soupper prest, il trouva que Perrete, sa femme, n’avoit aucune chose apresté, au moins qu’il ne lui convint attendre bien longtemps avant qu’il se mist à soupper et à table, et trouva que sa dicte femme avoit telement beu qu’il n’y avoit en elle aucune raison ; et que, après ce qu’il eut ordonné à sa dicte femme qu’elle lui fit une escuellée ou platelée de salade de herbes, oelle d’olive et vinaigre, elle, comme par manière de despit, print de l’oelle d’olive qui estoit fort espesse et du vinaigre et les mesla ensemble sur les charbons pour mettre sur les dictes herbes ; et lors ledit suppliant dist à sa dicte femme qu’elle ne faisoit pas bien et qu’elle devoit mettre son oelle sur le feu sans le vinaigre, afin que icelle oelle se peust mieux mesler parmy lesdites herbes. Laquelle respondi très rudement audit suppliant, son mary, en lui disant teles parolles qui s’ensuivent ou semblables en substance : « De quoy, dyable, vous meslez vous ? Je la feray mieulx que vous ne sariez deviser. Se tous les dyables ne vous emportent, je sçay mieulx que c’est de salade que vous ne faites. Le dyable vous saroit servir à gré ! » Et adonc ledit suppliant lui dist par teles paroles : « Je veulx bien que tu saches que je seray maistre, ou merde ! » Et ladicte Perrete, sa femme, lui respondi que ce seroit en sa sanglante gorge. Dont ledit suppliant, desplaisant et courroucé de ces paroles et aussi de ce qu’elle estoit de mauvaise vie, et qu’elle avoit le renom en la dicte ville de soy habandonner à plusieurs personnes ; et aussi qu’elle l’avoit laissé souventes foiz et demouroit plusieurs journées sans retourner devers lui, et l’a trouvée saisie de ses biens, lesquelz elle lui avoit emblez et mis en pacquetz, voulant soy en aler par le païs avec iceulx biens et laisser ledit suppliant, son mary ; et que le plus souvent des jours, ainsi que chascun qui la frequentoit scet, elle s’enyvroit en telle manière qu’elle ne lui faisoit service ne proufit, [p. 124] et plusieurs foiz ledit suppliant l’a trouvée sur un banc ou forme toute yvresse couchée et estendue ; et ainsi qu’il s’en vouloit aler coucher en son lit, disoit à sa dicte femme qu’elle se levast et qu’elle se deshabillast et alast couchier avec lui en son dit lit, mais pour parole qu’il lui deist, ne se vouloit partir d’ilec ; et quant le dit suppliant se levoit au matin de son dit lit, trouvoit icelle Perrete, sa femme, encores toute estendue et couchée sur le dit banc ou forme. Et ledit suppliant, desplaisant et courroucé des paroles et choses dessus dictes, pour corrigier sa dicte femme, lui donna deux ou trois coups de sa main là où il la peut frapper, et plusieurs coups d’une escuelle d’estain sur la teste, dont icelle Perrete fut fort courroucée, et de plus en plus perseverant en son mauvais couraige et langaige, dist audit suppliant, son mary, plusieurs autres grans injures et vilenies, et telement que icelui suppliant, qui lui remonstroit à son povoir ses faultes et males façons, fut telement indigné des dictes paroles mauvaises et oultrageuses que sa dicte femme lui disoit, que par chaleur et hastiveté print unes tenailles de fer à atiser le feu et d’icelles en frappa sa dicte femme ung coup sur les espaules et ung autre coup en droit la cheville d’un de ses piez, telement que dudit derrenier coup il en esleva du cuir et de la chair de la jambe de sa dicte femme, et en yssit aucune effusion de sang. Et peu de temps après, par faulte de gouvernement ou autrement, ladicte Perrete, femme dudit suppliant, est alée de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner ne converser, se nostre grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant que, attendu ce que dit est et que, au temps dudit cas advenu, ledit suppliant estoit fort desplaisant et indigné des dictes injures et malgracieuses parolles que lui disoit souventes foiz sa dicte femme, et aussi de sa mauvaise vie et gouvernement, et qu’elle se [p. 125] enyvroit comme tous les jours et ne lui faisoit nul proufit, fors lui donner coust et dommaige, et ne povoit icellui suppliant à grant peine avoir paix ne repoz avec icelle Perrete, sa femme, et laissoit icellui suppliant, son mary, aucunes foiz six ou huit jours sans retourner par devers lui, et couchoit, comme dit est, souventes foiz toute la nuyt sur ung banc ou forme toute yvresse, et ne la povoit icelui suppliant faire couchier en son lit emprès lui, et que ledit jour de dimanche xxiiime jour de mars derrenierement passé, quant icelui suppliant ala en son dit hostel pour soupper, n’y aloit pas en entencion de soy courroucer ne faire aucun mal à sa dicte femme, mais y aloit en bonne entencion et pour soupper et faire bonne chière avec elle, et a icellui suppliant esté fort desplaisant et courroucé de la mort de sa dicte femme, et ne cuidoit point de la dicte bateure que mort s’en ensuivist, et ne le faisoit que1 pour la corrigier et remonstrer ses faultes ; et aussi que le dit cas est advenu de chaude cole et non pas d’aguet apensé, et que en tous autres cas, icellui suppliant a tousjours esté et encores est de bonne fame, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actaint ou convaincu d’aucun autre vilain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise sur ce lui impartir nostre grace. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant avons remis, quicté et pardonné, etc. Si donnons en mandement par ces presentes aux seneschal de Poictou, bailli de Touraine et des ressors et exempcions d’Anjou et du Maine, et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou mois d’avril l’an de grace mil cccc. quarante et huit, et de nostre règne le xxviie, avant Pasques.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Toreau. — Visa. Contentor.


1 Le texte porte « ne le faisoit pas », faute évidente du copiste.