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DCII

Confirmation du don des château et châtellenie de Sainte-Néomaye fait à Alain de Beaumont, et octroi de nouvelles terres portant de six cent à mille livres le revenu annuel de ces possessions, avec faculté de les rendre à leur seigneur légitime moyennant dix mille francs d’or, de les vendre ou de les échanger.

  • B AN JJ. 110, n° 125, fol. 78
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 3-7
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que, [p. 4] comme pour consideracion des bons et agreables services que nostre amé et feal chevalier, Alain de Beaumont, lequel avoit mis par force d’armes en nostre obeissance le chastel de Sainte Onomoye en Poitou, que tenoit le sire de Mucidain, nostre rebelle, nous avoit fait en noz guerres et faisoit de jour en jour, nous lui aions donné et octroié le dit chastel avecques la chastellenie d’illeuc et leurs appartenances1, les quelx et toutes les autres terres et possessions [p. 5] que le dit sire de Mucidan, du quel nous estions et sommes seigneur souverain et droiturier, nous estoient venuz en commis par sa rebellion, qui tenoit si comme encorestient le parti de nostre adversaire d’Angleterre en la guerre que il nous [a] nouvellement meue, à tenir yceulx chastel et [p. 6] chastellenie et appartenances par le dit Alain et par ses hoirs et successeurs, et ceulx qui auront cause de lui à tous jours, en la valeur de six cens livres de terre à tournois, pourveu que, se ou temps avenir, par traitié ou autrement estoit accordé que les diz chastel et chastellenie fussent rendues au dit sire de Mucidan ou aus aianz cause de lui, le dit Alain ne nous en peust demander ne nous ne feussions tenuz de lui en faire aucune recompensacion, si comme par noz autres lettres faictes sur le dit don on dit à plain apparoir ; nous, meuz de la consideracion dessus dicte et des services que le dit Alain nous a depuis faiz en noz dictes guerres et fait encores de jour en jour, en exposant pour ce son corps à touz perilz2, si comme nous sommes plainnement enformez, voulons et lui avons octroié et octroions de nostre auctorité royal, de certaine science et grace especial, en accroissant la valeur dessuz dicte de iiiic livres de terre ou de rente par an à tournois, que les diz chastel, chastellenie et appartenances il ait et tiengne, et ses diz hoirs et successeurs et ceulx qui de lui auront cause, en la valeur de mil livres de terre ou de rente à tournois par an, et les dictes iiiic livres de terre ou de rente lui donnons de nostre dicte auctorité et grace, à tenir avecques les dictes vic livres de terre, par la maniere et condicion dessuz dictes, avecques tout ce que il en a perceu du temps passé. Et comme nous aions entendu que le dit chastel et chastellenie n’estoient pas heritaige du dit sire de Mucidan, mais les avoit et tenoit en gaige de xM frans d’or, que le seigneur d’iceulx lui devoit et lui en estoit tenuz, nous, oye sur ce la supplicacion du dit Alain, lui avons octroié et octroions, en ampliant nostre dicte grace, [p. 7] que, ou cas ou il seroit trouvé et dit que les diz chastel et chastellenie ne fussent heritaige du dit sire de Mucidan, et que en lui paiant xM frans une foiz le seigneur les en peust retraire et recouvrer, yceulx dix mille frans, qui par la cause dessuz dicte nous doivent estre et sont confisquez, soient au dit Alain, au quel nous les donnons en lieu de don des diz chastel, chastellenie et appartenances. Et d’abondant grace, lui avons octroié que yceulx chastel et chastellenie il puisse eschangier ou transporter en autres, et que ceulx en qui il les transportera ou eschangera, les tiengnent et puissent tenir par la maniere et condicion dessuz dictes, ou aient les diz dix mille frans dessuz diz, deuz au dit sire de Mucidan, en lieu d’eulx, en cas de retrait ou de recouvrance, comme dit est, en joissent de tel droit comme le dit Alain y a, paisiblement et cessant tout empeschement. Si donnons en mandement, par la teneur de ces lettres, à touz les justiciers de nostre royaume, presens et avenir, ou à leurs lieux tenans, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit Alain et ceulx en qui il transportera ou eschangera les diz chastel et chastellenie facent et lessent joir et user paisiblement de nostre presente grace, sanz les molester ou empeschier en quelque maniere au contraire. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces lettres. Sauf en autres choses nostre droit, et l’autrui en toutes. Donné à Saint Germain en Laye, le xe jour de fevrier, l’an de grace m. ccc. lxxvi, et le xiiie de nostre regne3.

Par le roy. Yvo.


1 Par lettres de mars 1373, publiées dans notre volume précédent (n° DLVIII, p. 292). Le château et la châtellenie de Sainte-Néomaye faisaient partie des domaines que Jeanne de Bauçay, fille unique et seule héritière d’Hugues VI de Bauçay, avait apportés en mariage à Charles d’Artois, comte de Longueville et de Pézenas. Ce dernier les avait engagés à Raymond de Montaut, seigneur de Mussidan, complice de sa défection (voy. notre tome III, p. 360, note 2), pour une somme de 10,000 livres qu’il lui avait promise dans le but de l’attacher à sa cause. Soit qu’il ait désintéressé son créancier, soit que celui-ci n’ait pas rempli ses engagements envers lui, Charles d’Artois voulut rentrer en possession de sa terre, et, quand il eut fait sa paix avec le roi de France, il prétendit que tous ses biens confisqués devaient lui être restitués. Naturellement, il contesta la validité de la donation faite à Alain de Beaumont. Celui-ci refusant de s’en dessaisir, il s’en suivit un procès au Parlement. L’instance fut introduite par Charles d’Artois et Jeanne de Bauçay contre Alain de Beaumont, le 2 décembre 1381. Nous avons la requête originale qu’ils adressèrent à la cour pour obtenir d’être remis en possession du château, de la châtellenie et de ses dépendances, et faire condamner le détenteur à leur rembourser les fruits, profits et émoluments qu’il en avait levés depuis près de huit ans. (Arch. nat., X1c 43, à la date.) L’affaire traîna en longueur. Charles d’Artois mourut avant de la voir régler, et sa femme continua à revendiquer Sainte-Néomaye.

Le 26 juin 1385, les parties plaidèrent. Voici un extrait de la plaidoirie du défendeur qui résume les faits : « Messire Alain dit que feu messire Charles d’Artois, mari quant il vivoit de la dite dame, se porta petitement contre le roy nostre sire et son royaulme, et fist guerre contre le roy et son royaume ; et fist aliances avec le seigneur de Mucidan qui promist à le servir contre tout homme, exceptez le roy d’Angleterre et ses enfans et excepté le roy de Navarre, et en recompensation messire Charles promist à Mucidan mil livres de terre ou x. mil frans, et li bailla le chastel et terre de Sainte Neomoye, et en furent faictes lettres qui depuis furent ratifiées par la dite dame ; et en fut seigneur Mucidan et en ot la foy et homage, saisine et possession. Quant la guerre commança, Mucidan ala devers les Anglois. Messrs les ducs de Berry, de Bourgoigne et de Bourbon et le connestable qui lors estoit recouvrerent le pays de Poitou, et après messire Alain demoura capitainne ou pays, et à ses propres coux et despens conquist le chastel de Sainte Neomoye. Pour ceste cause Monsr de Berry, en tant que faire le povoit, donna le dit chastel et chastellenie à messire Alain, et après le roy nostre sire qui lors regnoit confirma le don de Monsr de Berry… » (X1a 1472, fol. 292.) Il ajoute que depuis qu’il en a la jouissance, il y a fait pour 2,000 livres de réparations et d’améliorations. La réplique de Jeanne de Bauçay est fort intéressante ; elle dit entre autres choses que ces améliorations ont été payées par les habitants du bourg et des environs. Elle explique et cherche à justifier la conduite de son mari, argue qu’il se réconcilia avec le roi, et que d’ailleurs la terre litigieuse lui appartenait à elle, qu’elle devait bénéficier du traité conclu avec les barons poitevins, après la capitulation de Thouars, et rentrer, comme ils l’avaient tous fait, en possession de ses biens, etc. Il n’y eut point d’arrêt rendu à la suite de ces plaidoiries. Deux jours après, le mercredi 28 juin 1385, la cour décida que la visite (veue) du château et de la châtellenie avait été suffisante et ne serait pas recommencée, comme on le demandait, que les parties feraient « leurs faiz et, l’enquete faicte et rapportée, la court feroit droit » (X1a 1472, fol. 371 v°). Nous ne savons si le Parlement donna sa sentence définitive au profit de Jeanne de Bauçay ; ce qui est certain, c’est que les deux parties obtinrent satisfaction aux frais du roi Charles VI, sans conserver toutefois, ni l’un ni l’autre, la propriété de Sainte-Néomaye. Le roi l’acheta et paya 10,000 livres tournois à Alain de Beaumont et 3,000 livres à Jeanne de Bauçay. Il y eut deux actes de vente, comme s’ils eussent été tous les deux propriétaires légitimes, quoique à un titre différent. Le premier contrat est daté de Paris, le vendredi 28 juin 1387. (Vidimus de la Prévôté de Paris, aux Archives nat., J. 181B, nos 97 et 98, avec la procuration d’Alain de Beaumont, de même date, et double, J. 182, n° 107.) Le second fut passé à Loudun, le 31 août de la même année. (Deux copies authentiques, J. 181B, n° 99, et J. 187, n° 30.)

Charles VI n’avait acheté Sainte-Néomaye que pour en constituer une partie de la dot de sa sœur, Catherine de France, première femme de Jean, comte de Montpensier, fils du duc de Berry. Celle-ci étant morte l’année suivante sans enfants, le roi, son héritier, céda le château et la châtellenie à son oncle Jean duc de Berry, pour le prix qu’elles lui avaient coûté, par acte du 30 avril 1388, ainsi que la terre de Vatan en Berry, ces domaines se trouvant enclavés dans l’apanage du duc. (Vidimus sous le sceau de la Prévôté de Paris, du 23 novembre 1389, J. 182, n° 101.) Jean de Berry s’engagea, par acte daté de Bicêtre, le 7 décembre 1388, à payer au roi le prix d’acquisition dans un délai de trois ans, ou à lui rendre les deux terres, comme il était convenu dans le contrat de vente. (Original scellé, J. 182, n° 102.) Thibaut Portier devint seigneur de Sainte-Néomaye, quelques années plus tard, sans doute par suite d’un don du duc de Berry, dont il était chambellan. (Voy. un acte du 13 juin 1404, analysé dans le Cartulaire de l’abbaye des Châtelliers, publ. par Louis Duval, 1872, in-8°, p. 152.)

2 Le 4 juillet 1376, Alain de Beaumont servait avec sa compagnie dans les guerres « ès parties de Perregort et d’Engolmois » (dom Lobineau, Hist. de Bretagne, t. II, col. 577), et nous avons vu précédemment (t. IV, p. 299, note) qu’il prit part, en 1377, au siège de Bergerac, sous les ordres du duc d’Anjou et de Du Guesclin.

3 L’original scellé de cet acte est conservé dans les layettes du Trésor des Chartes (J. 181B, n° 95) ; il nous a servi à collationner le texte publié ici. Cet original est daté du 9 février ; un mandement qui y est joint et ordonne l’exécution desdites lettres, porte la date du 10 février. (Original, id., n° 94.)