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DCCXVI

Rémission accordée à Guillaume Montourneau, cordonnier de Mirebeau, pour un meurtre commis en cas de légitime défense et à la suite d’une rixe survenue à la taverne du curé de Seuilly.

  • B AN JJ. 132, n° 22, fol. 11 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 349-352
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie des amis charnelz de Guillaume Montourneau, cordouannier, chargié de femme et d’un petit enfant, comme l’endemain de la feste saint Laurens derrenierement passé1, environ heure de nonne, le dit Guillaume et pluseurs autres compaignons, entre lesquelz estoit un appellé Philippon Rayve, feussent alez esbatre chiez le curé de Suyllé près de Mirebeau, le quel vendoit vin à detail, et illec eussent joué à la bille, et après ce le dit Philippon se feust departi de la dicte compaignie et alé en la dicte ville, en un lieu où estoit la femme de son frere et la mere d’icelle femme, et depuis retourna ycellui Philippon en la dicte compaignie. Auquel le dit Guillaume presenta le vin à boire amiablement, mais le dit Philippon le reffusa et lui dist qu’il n’estoit mie digne d’estre en bonne compaignie et qu’il estoit un faulx garçon et mauvais coqu. Et lors le dit Guillaume lui respondi que non estoit, et que sa femme estoit bonne preude femme ; et le dit Philippon lui respondi : « Tu mens, car c’est une très mauvaise putain », et se print le dit Philippon au dit Guillaume et lui donna une buffe ; et après ce print une bille de bois dont ilz avoient joué et la lansa contre le dit Guillaume, qui bessa la teste pour obvier à la male volenté du dit Philippon. Et furent departiz par leurs diz compaignons ; et après ces choses, jouerent de [p. 350] rechief ensemble, et quant vint au partir, le dit Guillaume s’en parti premier, et en soy en venant en la dicte ville de Mirebeau, sanz coustel, espée ne baston, le dit Philippon se avança de venir après lui, tenent un grant baston en sa main, et tant qu’il aconçut en chemin le dit Guillaume et print son dit baston à deux mains et en fery le dit Guillaume par les bras et par les jambes tant qu’il chut à terre, et le blessa moult griefment. Et ainsi comme le dit Guillaume se cuida redrecier, le dit Philippon le cuida derechief ferir du dit baston, mais le dit Guillaume happa le dit baston et se leva, et après ce le dit Philippon lui dist : « Laisse moi aler mon baston » ; lequel Guillaume lui dist que non feroit, car il le veoit trop mal meu et obstiné de lui mal faire, et qu’il l’avoit desjà moult blecié, et le dit Philippon lui dist : « Je ne t’en ferray plus ». Et adont le dit Guillaume le lui laissa aler ; et quant le dit Philippon tint le dit baston, il en fery de rechief le dit Guillaume par les bras, et lui en donna deux coups, et lors le dit Guillaume lui osta derechief le dit baston et se mist à la voye pour s’en aler ; mais le dit Philippon en perseverant en sa male volenté, veant qu’il avoit perdu son dit baston, print une pierre et en donna un grant cop au dit Guillaume par le costé. Et adonc le dit Guillaume se retourna et le bouta contre un tesier, et depuiz le dit Philippon relevé print une autre pierre pour en ferir le dit Guillaume ; et lors ycellui Guillaume, veant la grant fureur du dit Philippon, en soy defendant et en repellant force par force, pour obvier au peril de mort où il se veoit, fery le dit Philippon du poing par les dens et après du baston qu’il lui avoit osté un seul cop sur le bras, si comme il lui fu avis. Et ce fait, s’en vint le dit Guillaume au dit lieu de Mirebeau, et le dit Philippon s’en retourna au dit lieu de Suyllé et lava les plaies qu’il avoit eues, tant ycelle journée comme en pluseurs autres meslées qu’il avoit faictes contre pluseurs autres personnes ; et quant il eut [p. 351] ainsi lavées les dictes plaies, il s’en retourna au dit lieu de Mirebeau, environ heure de vespres, et le dit jour accusa à la justice du lieu le dit Guillaume, en disant qu’il lui avoit donné le cop de la mort ; et ycellui jour mesmes, environ heure de mienuit, ala le dit Philippon de vie à trespassement. Pour occasion du quel fait ainsi avenu, comme dit est, le dit Guillaume est detenu prisonnier à Mirebeau, où il a desjà esté par grant temps à grant misere et povreté, si comme les diz amis charnelz dient, en nous humblement suppliant que, actendue la qualité du dit fait et que le dit Guillaume fery le dit Philippon en soy defendant et en repellant force par force, comme dit est, après ce que le dit Philippon l’eut injurié et feru par pluseurs foiz, et que le dit Philippon estoit brigueux et rioteux homme, et que ycellui Guillaume a esté touz les temps de sa vie homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sanz avoir esté repris ne convaincus d’aucun villain blasme ou reprouche, nous lui vueillons extendre en ceste partie nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans atremper rigueur de justice par pitié et misericorde, au dit Guillaume, ou cas dessuz dit, avons quictié, remis et pardonné, et par ces presentes quictons, remettons et pardonnons, de nostre grace especial, plaine puissance et auctorité royal, le fait dessuz dit, avecques le ban et toute peine, amende corporelle, criminelle et civile en quoy il puet pour ce estre encouru envers nous, et le avons restitué et restituons à ses bonnes fame et renommée, satisfacion faicte à partie premierement et avant toute euvre, se faicte n’est, à fin civile tant seulement. Si donnons en mandement au gouverneur du bailliage de Touraine et à touz noz autres justiciers et officiers, presens et avenir, ou à leurs lieux tenans et à chascun d’eulz, que de nostre presente grace et octroy facent, sueffrent et laissent le dit Guillaume Montourneau joir et user plainement et paisiblement, sanz le molester ou souffrir estre [p. 352] molesté, ou traveiller en aucune maniere au contraire. Et pour ce que ce soit chose ferme et estable à touz jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, ou mois de janvier l’an de grace mil ccc. iiiixx et sept, et de nostre regne le viiime.

Es requestes de l’ostel. J. de Crespy.


1 Le 11 août 1387.