DCXCII
Rémission accordée à Jean Closet, carrier de Migné et entrepreneur d’une partie de la maçonnerie de la tour du château de Poitiers, qui, se trouvant en cas de légitime défense, avait tué d’un coup de couteau Étienne Jarnet, l’un de ses associés.
- B AN JJ. 127, n° 86, fol. 54 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 277-281
Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie des amis charnelz de Jean Closet, carrier, demourant en la parroisse de Maigny, assez près de la ville de Poictiers, nous avoir esté exposé que, comme nagueres le dit Jehan Closet et un appellé Estienne Jarnet, demourant aussi en la dicte parroisse, eussent eu debat ensemble pour raison de certains ouvraiges de massonnerie, que le dit Closet avoit pris en tasche à faire ès tours du chastel de la dicte ville de Poitiers1, et en la quelle tasche ou marchié il avoit à compaignie le dit Estienne et Perret [p. 278] Esmeret2 ; et un moys a ou environ, le dit Jarnet eust demandé compte au dit Closet de certain argent qu’il avoit receu des diz ouvraiges, et en parlant ensemble, le dit Closet, entre les autres paroles dit au dit Jarnet : « Tu en auraz ton compte. » Et après ces paroles, il alerent à la taverne boire ensamble et en pluseurs autres lieux, en la dicte ville de Poictiers, et sur le tart il se mistrent au chemin pour eulx en aler ensamble de la dicte ville de Poitiers à leurs maisons. Maiz quant ilz furent au dehors d’icelle ville, il encommencerent à parler l’un à l’autre, et entre les autres paroles le dit Closet dist qu’il estoit bien tenuz au maire de Poictiers3 et au maistre de l’euvre4 de nostre très chier et amé oncle le duc de Berry, car il les avoient gardé d’avoir esté menez en l’ost de nostre très chier oncle le duc de Bourbon5, pour miner, comme avoient [p. 279] esté pluseurs autres carriers et maçons. Et le dit Estienne Jarnet dist qu’ilz estoient trop plus tenuz au lieutenant du seneschal de Poictou, car se il eust voulu, il eussent esté menez ou dit host, et l’eussent juré touz ceulz de Poictiers, et que…6 autant d’eulx comme d’un bouton, en disant le mot tout oultre. Et pour ce que le dit Closet lui dist qu’il disoit mal, le dit Jarnet le desmenti, en disant : « Ribaut, tu m’as autresfoiz argué par pluseurs foiz, maiz aujourd’uy tu t’en repentiras, et je reny Dieu et touz les sains de paradiz, se je ne te met huy mort. » Et lors le dit Closet lui répondi : « Tu as renié Dieu et je l’avoue, et se Dieu plaist, je me garderai de ta malice, et je t’en pri, va t’en ton chemin à ton hostel, et je m’en yrai le mien, car je n’é cure de riote. » Et tantost le dit Jarnet dit qu’il yroit avec lui quelque part que il alast, et qu’il ne se departiroit point de lui, jusques à ce qu’il en feust autrement vangié. Et lors le dit Closet, voiant que le dit Jarnet estoit mal meu et plain de maulvaise voulenté, pour eschever le debat, s’en cuida aler par un autre chemin ; maiz tantost le dit Jarnet lui escria : « Ribaut, tu as paour de moy, maiz tu n’en as pas paour sanz cause. » Et en disant ces paroles, vint au dit Closet et le fery de son coustel sur la teste et lui fist une grant playe, et le dit Closet tout esbay et couroucié, voiant aussi le sanc qui lui couloit par le visaige et ailleurs, dist au dit Jarnet : « Tu as fait que très mauvais garçon de moy avoir ainsi villenné. » Mais le dit Jarnet, non content de ce, respondi au dit Closet : « Ribaut, tu n’en [p. 280] es pas quicte. » Et lors le dit Closet ainsi batuz et villennez, pour eschever la mort et obvier à la fureur7 et maule voulenté [dudit] Jarnet, en soy revanchant, saicha son coustel et dit au dit Jarnet que, se il se tiroit plus à lui, il le courouceroit, et sanz plus mot dire le dit Jarnet prent la course contre le dit Closet et le cuida enferrer de son coustel parmi le corps, et au devant de la pointe du coustel du dit Jarnet le dit Closet mist la main senestre, et en l’autre il tenoit son coustel tout trait, et le persa le dit Jarnet le premier det de la dicte main et le petit det tout oultre et li trancha tout le fons de la dicte main, et li persa sa robe en deux lieux ou cousté senestre, et en eulz ainsi entretenant, le dit Closet qui entendoit à destourner le coustel du dit Jarnet, afin qu’il ne li entrast dedens le corps, y mist l’autre main en la quelle il tenoit son coustel, et en boutant ainsi l’un contre l’autre, le coustel du dit Closet qui estoit le plus loing et duquel la pointe estoit devers le dit Jarnet entra d’aventure dedens le corps du dit Jarnet, et pour paour de pis avoir le dit Closet osta le coustel du dit Jarnet et le gecta assez loings de lui. Et après ce, le dit Closet qui ne cuidoit point que le dit Jarnet feust blecié, fu esbay quant il li vist craichier le sanc, dont assez tost après le dit Jarnet se laissa cheoir à terre, où il ala de vie à trespassement. Pour lequel fait et pour doubte de rigueur de justice, le dit Closet s’est absentez du pays, et ont esté prins touz ses biens par la justice de religieux abbé et convent du Moustier Nuef de Poictiers, en laquelle il estoit demourant, et n’oseroit retourner au pays, se par nous ne lui estoit sur ce pourveu de nostre grace et misericorde, en nous suppliant humblement que, comme il ait esté devant pluseurs forteresses occupées par noz ennemis et nous y ait bien et loyalment servi, et soit homme de bonne [p. 281] vie et renommée, et que le dit mort fust premier aggresseur et l’avoit par avant assailli, batu et villenné, et que ce fust fait en chaude meslée et en soy deffendant à l’outraige du dit mort et par inadvertance, et de cas de meschief, comme dit est, nous lui vueillons sur ce faire nostre grace. Nous adecertes, voulans rigueur de justice temperer par misericorde, le fait et cas dessus diz, avec les appeaux et ban, s’ensuy estoient ou cas dessus dit, et satisfacion civilement faicte à partie premierement, lui avons quictié, remis et pardonné, et par ces presentes quictons, remettons et pardonnons, de nostre auctorité royal et grace especial, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur, et en le restituant au pays, à sa renommée et à ses biens, qui ne seroient confisquez, par ces presentes. Par la teneur desquelles nous donnons en mandement au gouverneur de la Rochelle et seneschal de Xantonge, et à touz noz autres justiciers et officiers, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, ou à leurs lieux tenans, que de nostre presente grace et remission facent et laissent le dit Closet joir et user paisiblement, sanz le molester ne souffrir estre molesté ne empeschié aucunement au contraire, maiz tout ce que fait seroit ou actempté à l’encontre soit mis, tantost et sanz delay, au premier estat et deu. Et que ce soit ferme chose et estable à touz jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Paris, l’an de grace mil ccc. iiiixx et cinq, et de nostre regne le quint, ou moys d’aoust.
Par le conseil. G. Niczon. — Fedeau.