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DCXVI

Lettres de rémission accordées à Guillaume d’Argy, à Gautier Herpin, à Geoffroy de Véretz et à Jean de Coulaines, qui avaient battu Guichard du Retail, seigneur de Dangé, et tué son valet, pour se venger des mauvais traitements qu’ils avaient eu à subir de leur part.

  • B AN JJ. 112, n° 28, fol. 23
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 56-61
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz presens et avenir, nous avoir oy l’umble supplicacion de Guillaume d’Argy, Gautier Harpin, Gieffroy de Verez et Jehan de Collaines, escuiers, disanz que en l’an lxxv, à un certain jour entre la saint Andrieu et Noel, le dit Guillaume d’Argy, en alent en aucunes ses besoingnes et negoces, accompaignié d’un sien varlet, passa par la ville [de] Dangé, ainsin que son chemin le donnoit et descendi en un hostel de la dicte ville pour y prandre sa refection, et si tost qu’il fu descendu, seurvint ou dit hostel Guichart du Retail, chevalier, seigneur de la dicte ville1, accompaignié de deux varlez, et s’en ala le [p. 57] dit chevalier tout droit à l’estable ou le dit Guillaume estoit descendu, et combien que ycellui Guillaume feust son cousin remué de germain et ne lui eust fait aucun desplaisir, ne ne se doubtoit point de lui, le dit chevalier et ses diz varlez, meuz de très mauvaise voulenté, lui coururent sus et lui osterent son espée, et au varlet qui avec lui estoit son badelaire, et lors le dit chevalier le print par le chaperon et lui abati devant le visaige ; et adonques le dit chevalier et ses diz varlez le batirent moult oultrageusement. Et de ce non content, ycellui chevalier feri le dit Guillaume d’une dague parmi l’un de ses bras, dont il fu en grant peril de mort ou mutilacion. Et depuis la Toussains après ensuiant, le dit chevalier, accompaignié d’un sien varlet, appelé Grant Jehan, s’en ala aussi que jour faillant en un grant chemin royal près de la maison Jobert de Rillé, qui a espousée la suer du dit Guillaume, et manda au dit Jobert que illecques venist parler à lui et apportast son adveu des choses que il tenoit de lui. Le quel Jobert, combien que il fust tart et plus nuit que jour, pour obeir au dit chevalier, ala à son dit mandement et lui porta et bailla son dit adveu ; et quant le dit chevalier l’ot receu, dist au dit Jobert que il convenoit que il lui donnast le droit des ventes que il avoit sur maistre Estienne Baudrillet et sur Jehan de la Claye des choses que il avoient acquises [p. 58] ou fieu d’icellui Jobert. Et pour ce que le dit Jobert en fu refusant, le dit chevalier lui dist que se il l’avoit juré, il les aroit par amour ou par force, et en ce disant feri le dit Jobert du poing par le visaige moult injurieusement, jusques à grant effusion de sanc, et avecques ce sacha son espée et le feri du tranchant tellement que il lui fist une grant plaie, dont il fu en peril de mort ou mutilacion, et l’eust le dit chevalier mis à mort, si comme il apparu à son semblant, se le dit Jobert n’eust crié harou. Au quel cry la femme du dit Jobert et suer du dit Guillaume d’Argy acouru, criant comme femme forsenée pour la dolour que elle avoit de son dit mary, doubtant que le dit chevalier ne le meist à mort. Et quant le dit chevalier la vit, haussa l’espée en entencion et volenté de la ferir parmi le corps, mais pour resister au peril de la mort gecta la main au devant, la quelle main fu tranchée de la dicte espée, dont la dicte damoiselle est demourée mutilée à tousjours, tellement que elle ne s’en puet aidier. Et de ce le dit chevalier non content, mais en perseverant de mal en pis, hua ses chiens à la dicte damoiselle qui la mordirent en telle maniere que il li rompirent aus dens la char et les draps jusques à grant effusion de sanc, qui estoit très inhumaine chose à regarder. Pour le quel fait le dit Jobert, pour ce que ce avoit esté fait de nuit et ne povoit estre prouvé, l’accusa ou appella en cas de gaige ès assises à Tours, par devant nostre bailli, et offry son gaige, le quel chevalier le refusa, disant que il estoit clers et que par ce n’estoit tenuz de le recevoir ne de soy combatre en gage. Et depuis avint que, le dimanche après la Toussains derrainement passé, le dit Gautier Harpin, cousin du dit Guillaume d’Argy et son homme de foy, ala en aucune besoingne que il avoit lors à faire en la ville de Maruil, et environ heure de soleil couchant, encontra ainsi comme d’aventure le dit chevalier, accompagnié de deux varlez ; au quel Harpin le dit chevalier demanda de qui il tendroit le parti, ou de [p. 59] lui ou du dit Guillaume d’Argy. Le quel Harpin respondi que il tendroit le parti du dit Guillaume et que il estoit son cousin. Et le dit chevalier lui dist que il le feroit bien desdire, et lors mist la main à son espée et la volt sacher, mais le dit Harpin qui n’avoit aucune chose dont il se peust deffendre, mist la main sur la dicte espée pour doubte que le dit chevalier ne le meist à mort. Et adonques un de ses diz varlez, nommé Estienne Badefou, couru sus au dit Harpin, l’espée ou poin toute nue, et en fery le dit Harpin parmi la teste tellement que il lui fist une grant plaie, et incontinent le dit chevalier et l’autre de ses diz varlez descendirent à pié, tenans leurs espées toutes nues, et poursuirent le dit Harpin longuement, en criant après lui : « à mort ! à mort ! » Et firent tout leur povoir de le prendre et de le mettre à mort, ce que fait eussent, se il le peussent avoir atteint. Et le mercredi après ensuiant, quant le dit Harpin ot fait ses plaies estanchier, se traist devers les dessus diz Guillaume d’Argy, Gieffroy de Verez et Jehan Callaines (sic), et eurent adviz ensemble d’aler par devers le dit chevalier pour savoir son entencion, et à quoy il tenoit que il avoit telle indignacion contre les diz supplians qui onques ne lui avoient fait desplaisir, et si estoient de son lignage, et s’en alerent par devers lui en son hostel. Et pour ce que il redoubtoient la cruaulté et malevolenté de lui et de ses complices, et pour la tuition de leurs corps, vestirent chascun une cote de fer, et quant il furent devers le dit chevalier, ycellui chevalier commença user de haultainnes paroles et tant que il s’entreprindrent, et fu le dit chevalier feru et batu par les dessuz nommez supplians, ou les aucuns d’eulx. Et en ycellui debat le dit Estienne, varlet du dit chevalier, qui ainsi avoit navré le dit Harpin, vint moult impetueusement tenant l’espée toute nue et la haussa pour en ferir le dit Harpin. Et quant le dit Harpin apperçut que ce estoit cellui qui, n’avoit gueres, l’avoit ainsi inhumainnement navré en la teste, et dont il doubtoit encores [p. 60] peril de mort, pour resister à la male volenté d’icellui varlet et en deboutant force par force, le feri de l’espée parmi le corps tant que mort s’en ensui en sa personne, dedans deux jours après. Si nous ont fait humblement requerir que, comme il nous aient bien et loyaument servi en noz guerres et ont tousjours esté en touz leurs autres faiz de bonne vie et honneste conversacion, sanz aucun villain reproche, et que le dit fait soit ainsi advenu par la coulpe et oultrage du dit chevalier, qui par tant de foiz leur avoit fait pluseurs et excessives offenses, sanz aucune cause raisonnable, comme dessuz est dit, nous leur vueillions sur ce impartir nostre grace et misericorde. Nous adecertes, les choses dessuz dictes considerées, à yceulx supplianz ou dit cas avons remis, quictié et pardonné, et à chascun d’eulx remettons, quictons et pardonnons, de nostre auctorité royal et grace especial, le dit fait avec toute peinne et amende corporelle, criminelle et civile, que pour cause et occasion du fait dessuz dit il pevent estre encouruz envers nous, en les restituant à plain à leur bonne fame, renommée et au païs, satisfacion faite à partie avant toute euvre civilement. Si donnons en mandement au gouverneur du bailliaige d’Orléans, au bailli des Exempcions de Tourainne, d’Anjou, du Mainne et de Poitou, et à touz noz autres justiciers, ou à leurs lieux tenans, et à chascun d’eulx, presens et avenir, si comme à lui appartendra, que les diz supplians et chascun d’eulx facent, seuffrent et lessent joir et user paisiblement de nostre presente grace et remission et contre la teneur d’icelle ne les molestent ou empeschent doresenavant en aucune maniere, mais se aucuns de leurs biens non confisquez sont pour ce pris et detenuz, ilz leur facent sanz delay mettre à plainne delivrance. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, ou mois de decembre [p. 61] l’an de grace m. ccc. lxxvii, et le xiiiie de nostre regne2.

Par le roy, à la relacion du conseil. J. Greelle.


1 Dans un arrêt du Parlement, en date du 9 mars 1377 n.s., Guichard du Retail est dit seigneur de Dangé. Il avait été ajourné personnellement devant cette cour par le procureur du roi et l’abbé et les religieux d’Aiguesvives en Touraine, qui l’accusaient de les avoir maltraités en paroles et par voies de fait, injuriis et armis illatis ; il obtint de se faire représenter par un procureur (X1a 26, fol. 37 v°). Guichard était fils de Jean du Retail et de Jeanne Pouvreau ; il avait eu un frère nommé Jean, mort avant cette époque, et une sœur, Guillemette, alors mariée à Hugues de Puyloer, aliàs Puylouher. La succession de son père et de son frère Jean était litigieuse, au commencement de l’année précédente, entre Guichard et sa mère, d’une part, et sa sœur, d’autre. Les premiers étaient appelants d’une commission donnée par le sénéchal de Poitou pour le duc de Berry, au profit d’Hugues de Puyloer et de sa femme. Le Parlement, par arrêt du 29 mai 1376, annula l’appel, du consentement des parties, et ordonna que la sixième part des biens et héritages de Jean du Retail, le père, et la cinquième partie des biens de Jean du Retail, le fils, réclamés par Guillemette, seraient mises sous la main du roi, et que les revenus en seraient appliqués au profit d’Hugues et de sa femme, en attendant l’issue du procès. Les parties furent ajournées en même temps aux jours de Poitou de la prochaine session (X1a 25, fol. 218). L’affaire se régla par un accord amiable.

Un autre procès remontant au 4 juillet 1355 nous fait connaître les noms des ascendants de Guichard. Son père Jean avait un frère nommé Guillaume ; ils prenaient tous deux la qualité de chevalier et revendiquaient contre Guillaume d’Appelvoisin et ses deux fils une partie de l’héritage de leur mère, Aiglantine de Pressigny. Celle-ci était la première femme d’un autre Jean du Retail, grand-père de Guichard, qui avait épousé en secondes noces Jeanne Rataud, alors veuve (X1a 16, fol. 60).

2 Il existe d’autres lettres de rémission en faveur des mêmes personnages et pour le même fait, sous la date de février 1378 n.s. La rédaction en est un peu différente, et l’exposé des particularités du drame n’est pas absolument identique. Cette différence ne portant que sur des détails, il suffit de la signaler, sans relever les passages où on la retrouve plus spécialement. Nous ne donnerons donc pas le texte de ces secondes lettres (JJ. 112, n° 71, fol. 44).