[p. 30]

DCIX

Rémission accordée à Perrot Thomas qui, avec un de ses compagnons, avait frappé à mort, au Fenouiller, Jean Vayron, après que celui-ci leur eut cherché querelle et les eut gravement injuriés.

  • B AN JJ. 110, n° 310, fol. 183
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 30-33
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie des amis charnelx de Perrot Thomas, povre laboureur du païs de Poitou, et subgiet de nostre amé et feal cousin et chambellan le viconte de Rochechoart1, [p. 31] nous avoir esté humblement exposé que, comme le dit Thomas et un autre estanz ensemble en la ville de Fenoiller, à heure de soleil couchant, paisiblement et senz ce que il meffeissent à aucun, Jehan Vayron survint ou lieu ou il estoient et par avant les avoit poursuiz, et le quel meuz de sa voulenté leur dist pluseurs injures et villenies, et les menassoit et mesmement en disant qu’il estoient garsons, truans, ribaux, mauvais, et que il les avoit mis à povreté et encores les y mettroit il plus, se jamais il estoit temps de mettre subvencions et aydes ou païs, en leur disant oultre que il n’estoient que garsons et que ce qu’il mengoient n’estoit mie digne de mengier à un chien ; les quelx debonnerement et courtoisement eussent respondu au dit Jehan Vayron que il ne leur voulsist point dire de villenie, [p. 32] mais se il vouloit boire et mengier avecques eulx, que il en auroient grant joye ; mais ce non obstant, le dit Vayron en continuant en ses dures paroles, leur dist encores plus d’injures que devant, en blasmant et diffamant eulx et leur lignage, et aussi en les menassant de les villenner et injurier de leurs corps, et en disant les dictes menasses, se departi d’avecques les dessus diz ; et pou après, en continuant en sa mauvaise voulenté, ainsi comme il s’en aloient, le dit Jehan Vayron vint à l’encontre d’eulx et leur dist plus d’injures que devant, senz ce que les dessus diz lui eussent dit ou meffait aucune injure. Les quelx, veanz les grans oultraiges du dit Jehan, meuz et eschauffez tant du vin qu’il avoient beu comme des paroles injurieuses devant dictes, batirent le dit Jehan Vayron de leurs bastons que il portoient, senz ferreure, tellement que le dit Jehan en est mors. Pour doubte du quel fait le dit Thomas suppliant, doubtant rigueur de justice s’est absentez du païs ne n’y oseroit retourner, se sur ce ne lui est pourveu de nostre grace, de la quelle nous a fait humblement supplier. Pour quoy nous, ces choses considerées et que le dit suppliant, qui est povres homs, chargiez de femme et de petiz enfans, est de bonne renommée et honneste conversacion, senz aucun autre villain meffait, consideré aussi que le dit Vairon devant sa mort pardonna le dit meffait au dit Thomas, suppliant, en priant ses amis que contre le dit Thomas ne voulsissent faire aucune poursuite, et en recognoissant et disant que, se ce n’eust esté le dit Thomas, il feust mors senz confession, et que nostre dit cousin et chambellan, en quelle terre et jurisdicion le dit meffait fu perpetré, nous a humblement sur ce supplié, nous au dit Perrot Thomas, exposant, le cas et meffait de la mort dessus dicte, avecques toute peinne et amende corporele, criminele et civile, en quoy, pour la dicte mort ou occasion d’icelle, ycellui exposant puet et doit estre envers nous encoruz, avons ou cas dessus dit, de nostre auctorité, puissance [p. 33] royal et certaine science, remis, quictié et pardonné, quictons, remettons et pardonnons par ces presentes à ycellui Thomas suppliant, [et le] restit[uons] à son païs, fame, renommée et à ses biens, en imposant sur ce à nostre procureur et à touz autres perpetuel silence, satisfacion toutes foiz [faite] à partie, s’aucune en y a, sur ce civilement. Si donnons en mandement par ces presentes au bailli des Exempcions de Poitou et à touz noz autres justiciers et officiers, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans, si comme à eulx et chascun d’eulx appartendra et pourra appartenir, que le dit Perrot Thomas suppliant facent et sueffrent joir et user paisiblement de nostre presente remission, senz le molester ne souffrir estre molesté au contraire aucunement, en lui mettant et faisant mettre son corps et biens, se pour ce estoient prins ou arrestez, à plaine delivrance. Et afin que ce soit ferme chose et estable à touz jours, nous avons fait mettre à ces presentes nostre seel [ordonné] en l’absence du grant. Sauf en autres choses nostre droit et en toutes l’autrui. Donné à Paris, ou moys de may l’an de grace m. ccc. lxxvii, et de nostre regne le xiiiie.

Par le roy. T. Hocie.


1 Louis vicomte de Rochechouart, fils de Jean Ier, tué à la bataille de Poitiers, et de Jeanne de Sully. Il rendit hommage le 13 septembre 1363 au prince de Galles, dont il fut pendant six ans le conseiller. Lors de l’appel porté devant le roi de France par les barons de Gascogne (mai-juin 1368) et de la rupture du traité de Brétigny qui en fut la conséquence, les sentiments français du vicomte de Rochechouart se réveillèrent. Soupçonné de défection, il fut mandé à Angoulême par le prince, et malgré la justification qu’il essaya, « le convenist tenir prison fremée, et demora un grant temps en ce dangier ». A la prière de ses amis de Poitou, le prince de Galles finit par le remettre en liberté et lui rendit « toute sa terre. Quant li dis viscontes fu delivrés de prison, il s’en vint couvertement, au plus tost qu’il peut, à Paris devers le roy et se tourna françois, et revint arriere en sa terre, sans ce que on sceuist riens encores de son afaire, et mist Thiebaut dou Pont, breton, un très bon homme d’armes, en sa forterece, et envoia tantost deffiier le prince et fist grant guerre au prince. » (Froissart, édit. S. Luce, t. VII, p. 137, 163.) De leur côté, les Anglais furieux portèrent le ravage dans ses possessions. La soumission du vicomte de Rochechouart à Charles V eut lieu vers le mois de juin 1369 ; à cette date, le roi, pour reconnaître le service de celui qu’il appelle son amé et féal cousin, lui fit don de 2000 livres de rente à asseoir sur le château et la châtellenie de Rochefort-sur-Charente et, en cas d’insuffisance de ce domaine, sur l’île d’Oléron (JJ. 100, n° 137, fol. 43 v°). Il fut nommé en même temps gouverneur du Limousin et chambellan du roi. On lit dans un mandement de Charles V, daté du 1er décembre 1369 : « Pour la garde et deffense des chasteaulx et forteresses que possede nostre amé et feal cousin le vicomte de Rochechouart, estans ou païs de Guyenne, et pour resister et grever nos ennemis, l’avons retenus et retenons au nombre de vixx hommes d’armes, et nostre amé et feal Regnault de Dony avec autres lx. hommes d’armes, sous le gouvernement dud. viconte », auquel il est alloué 60 francs d’or par mois de gages. Cette retenue fut renouvelée le 13 mars 1370, et le 11 mai suivant on trouve un ordre de payement des gages de ces deux capitaines et de leurs hommes d’armes. (L. Delisle, Mandements de Charles V, p. 304, 322, 348.) En vain le prince de Galles, pour ramener à lui le vicomte de Rochechouart, lui fit-il adresser secrètement une copie de l’amnistie qu’Édouard III avait accordée, par lettres du 15 novembre 1370, à tous ses sujets de la principauté d’Aquitaine qui, après avoir pris parti pour Charles V, voudraient faire leur soumission (Froissart, édit. Luce, t. VII, p. 212), le vicomte resta désormais fidèle à la cause française. Au mois de juillet 1372, la veuve d’Aimery de Tastes, dont les biens avaient été confisqués pour cause de rébellion, obtint des lettres de rémission et la restitution de sa terre, à condition de rendre le château et la ville de Tonnay-Charente à Louis de Rochechouart (JJ. 103, fol. 82). Celui-ci épousa en premières noces Marie de Trignac, dite de Javersy, et en secondes, Isabeau de Parthenay, fille de Guy Larchevêque, seigneur de Soubise ; il vivait encore en 1398. (Voy. le P. Anselme, Hist. général., t. IV, p. 653.)