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DCCXXXIII

Confirmation des lettres de rémission données par Louis duc de Bourbon, lieutenant du duc de Berry en Poitou et autres pays, en faveur d’Olivier Clerbaut, écuyer, poursuivi pour l’enlèvement de Margot Marchant, veuve de Jean Tabary, fait du consentement de celle-ci, et qu’il avait légitimement épousée.

  • B AN JJ. 138, n° 87, fol. 105
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 390-395
D'après a.

[p. 391] Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir veu les lettres de nostre très chier et très amé oncle, le duc de Bourbon, lors lieutenant de nous et de nostre très chier et très amé oncle, le duc de Berry, contenans la forme qui s’ensuit :

Loys duc de Bourbonnois, conte de Clermont et de Forez, per et chambrier de France, et lieutenant du roy en noz diz pays de Bourbonnois et de Forès, en Limosin, la Marche, Xaintonge et Angoulmoys et Pierregourt, et de monseigneur de Berry en ses pays de Berry, d’Auvergne et de Poitou1. [p. 392] Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir [p. 393] oy l’umble supplicacion de Olivier Clerbaut2, escuier, contenant que, comme il et Margot Marchande, vefve de feu Jehan Thabary, demourant en Talemondoys, eussent secretement parlé ensamble d’estre adjoins l’un à l’autre par mariage, et ce parlé, la dicte Margot se doubtast que, s’elle en parloit à aucuns de ses amis, qu’il ne voulsissent consentir ne avoir aggreable le dit mariage, et aussi se elle le faisoit senz le consentement et voulenté d’iceulx, que elle ne encourust leur indignacion, et pour obvier ad ce, eust parlé avec le dit Olivier qu’il la feist prandre, aussi comme se ce ne feust de sa voulenté, lequel Olivier inclinant à ce, la fist prandre, et avecques elle et de son consentement et voulenté se adjoingny et acomplit le dit mariage, par la [p. 394] maniere que entr’eulx deux avoit esté secretement entrepris, lequel mariage ainsi fait la dicte Margot a tousjours eu et encores a aggreable. Et ce nonobstant le dit Olivier a esté depuis et encore est traictié et mis en procès, pour occasion du fait dessus dit, par les officiers de damoiselle Jehanne de Rays3, en sa court et siege de la Meuriere4, en laquelle court il pourroit estre longuement. Et pource, nous a supplié que sur ce lui vueillons impartir nostre grace. Pour quoy nous, attendu ce que dit est, inclinanz à la supplicacion du dit escuier, en faveur du dit mariage, à ycelli, ou cas dessus dit, avons quictié, remis et pardonné, et par ces presentes, de grace especial, plaine puissance et auctorité dont nous usons, quictons, remettons et pardonnons le fait et cas dessus dit, avec toute paine, amende et offense corporelle, criminelle et civile, en quoy il puet pour ce avoir esté et estre encouruz envers nos diz seigneurs et justice, et le restituons à sa bonne fame et renommée, s’en aucune maniere estoit pour ce diminuée ou amendrie, au pays et à ses biens, voulanz qu’il soit mis hors de touz plaiz et procès, ès quielx il est et pourroit estre pour le fait et cause dessus diz. Si donnons en mandement, par ces mesmes lettres, au seneschal de Poitou et à touz les autres justiciers et officiers de nostre lieutenance, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que, ou cas où il leur apperra par la foy et serement de la dicte Margot seulement le dit mariage avoir esté fait par la maniere dessus dicte, et que elle ait esté et conversé avec le dit escuier comme femme doit faire avec son mary, il facent ycellui joir et user paisiblement de nostre presente grace et remission et le mettent ou facent [p. 395] mettre hors de touz plaiz et procès, ès quelx il est ou pourroit estre pour occasion du dit fait, sanz le molester, traveillier ou empeschier, ou souffrir estre molesté, traveillié ou empeschié aucunement au contraire ; et se son corps ou aucuns de ses biens estoient pour ce priz ou arrestez par recreance ou autrement, mettent les ou facent mettre sanz contredit à plaine delivrance. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces lettres. Sauf en autres choses le droit de mes diz seigneurs et le nostre, et l’autrui en toutes. Donné à Ruffiec, le penultime jour de juillet l’an de grace mil ccc. quatre vins et cinq.

Les quelles lettres dessus transcriptes et tout le contenu en ycelles nous ayans fermes et agreables, les louons, ratiffions et approuvons, de nostre grace especial et auctorité royal, et par la teneur de ces presentes confermons. Si donnons en mandement à tous noz justiciers et officiers, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit Olivier Clerbaut il facent, seuffrent et laissent joir et user paisiblement de nostre presente grace et confirmacion, selon la forme et teneur des lettres dessus transcriptes, sanz le molester ou empeschier, ou souffrir estre molesté ou empeschié en corps ou en biens, ores ne ou temps avenir, aucunement au contraire. Et que ce soit ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, l’an de grace mil ccc.iiiixx et ix, et de nostre regne le ixe, ou moys de septembre5.

Par le roy, à la relacion du conseil. P. Christiani.


1 Par lettres datées du 16 mars 1385 n.s., Charles VI avait nommé son lieutenant ès pays de Bourbonnais, Forez, Limousin, la Marche, Saintonge, Angoumois et Périgord, son oncle maternel, le duc Louis ii de Bourbon, déjà établi par le duc de Berry capitaine général pour la guerre en Poitou, Berry et Auvergne, et lui avait donné pouvoir de lever 1,400 lances, dont 800 aux gages du roi, 300 aux gages du Poitou, 100 à ceux du Limousin et de la Marche, 200 à ceux du Berry, de l’Auvergne, du Bourbonnais et du Forez. Le 28 mars suivant, à Mehun-sur-Yèvre, le duc de Berry ratifia lesdites lettres en ce qui le concernait (Arch. nat., P. 13772, cote 2822.) La commission de lieutenant du duc en Poitou, Auvergne et Berry dut précéder de peu de temps seulement celle de lieutenant du roi. Le biographe du bon duc Loys de Bourbon, Cabaret d’Orville, explique d’une façon très plausible l’origine de cette mission. Le sire de Parthenay, selon ce chroniqueur, et d’autres chevaliers du Poitou étaient venus se plaindre à Charles VI et au duc de Berry des ravages des garnisons anglaises. Alors Jean de France pria, en invoquant leur parenté, le duc de Bourbon de se charger de les expulser du pays, et celui-ci y consentit après avoir fait observer « que les chasteaux estoient moult forts et qu’il fauldroit grande finance ». En trois semaines les Poitevins levèrent un fouage de 60.000 francs ; ils fournirent de plus à l’armée du duc de Bourbon 600 hommes d’armes. (Edit. Chazaud, pour la Société de l’Hist. de France, 1876, in-8°, p. 137 et suiv.)

La mission de Louis de Bourbon, en effet, fut avant tout une mission militaire. Les trêves entre la France et l’Angleterre, prolongées de deux mois lors de l’entrevue qui eut lieu, au commencement de l’année 1385, entre les ducs de Bourgogne et de Berry, d’une part, le duc de Lancastre et le comte de Buckingham, d’autre, expirèrent le 1er mai. C’est à partir de ce moment que le duc de Bourbon put agir. Il réunit à Moulins les chevaliers de ses états et convoqua à Niort, pour le 1er juin, la noblesse de Poitou, de Berry, d’Auvergne, de Limousin, de Rouergue et de Saintonge. Là vinrent le comte de la Marche, les sires de Pons et de Parthenay, le vicomte de Thouars, Aimery de Rochechouart, sénéchal de Limousin, les sires de Pouzauges, de Thors, Jean d’Harcourt, etc., etc., 2,000 combattants, au dire de Froissart, plus 200 hommes d’armes sous les ordres de Guillaume de Lignac, sénéchal de Saintonge, que l’armée s’adjoignit quand elle fut en campagne. Cette chevauchée dura environ six mois et fit honneur à celui qui la dirigeait. Cinq places importantes et plusieurs petits forts furent enlevés aux Anglais. Suivant Froissart, l’armée du duc de Bourbon se dirigea de suite sur Montlieu, « dans les landes de Bordeaux », le point le plus éloigné de l’expédition. Le château, après avoir soutenu un siège, fut pris d’assaut. On s’empara ensuite d’Archiac, de Taillebourg, dont le siège dura plus de neuf semaines, de Bourg-Charente, et enfin de Verteuil. D’après Cabaret d’Orville, l’itinéraire aurait été différent. Il marque les victoires de Louis de Bourbon dans l’ordre suivant : Taillebourg, Bourg-Charente, le Faon, Montlieu et Verteuil, et entre dans des détails circonstanciés sur chacune de ces opérations. (Froissart, édit. Kervyn de Lettenhove, t. X, p. 316-317, 328-333, 375-376. — La Chronique du bon duc Loys de Bourbon, édition Chazaud, p. 136-154.)

Voici l’indication de quelques documents qui confirment les faits relatés par les deux chroniqueurs, et qui en précisent parfois la date. Le 15 août 1385, Charles VI fait don du château de Montlieu (arrondissement de Jonzac, Charente-Inférieure), qui vient d’être repris sur les Anglais, à Arnaudon des Bordes (JJ. 127, n° 109, fol. 69), lequel fut fait prisonnier au mois d’octobre suivant, comme nous l’avons vu, à l’attaque de Bouteville (ci-dessus, p. 254, note 2). Dans des lettres de rémission de février 1389 n.s., en faveur des habitants de Cognac, il est dit que l’an 1385 le duc de Bourbon s’empara, entre autres forteresses, de Bourg-Charente et qu’il en fit démolir et abattre le château, sauf la tour (JJ. 135, n° 89, fol. 50 v°). Vers le mois de juin de la même année, lit-on dans d’autres lettres, l’armée du duc prit le fort du Fan (commune de Sireuil, canton de Châteauneuf, Charente.) Une partie des prisonniers fut envoyée à Angoulême et douze furent baillés en garde à Guillaume Dorier, alors garde de la prévôté d’Angoulême, qui les fit enfermer dans une sorte de puits muré de pierres, le capitaine du château n’ayant pas voulu mettre à sa disposition les prisons du château. Ils restèrent six semaines dans cette fosse, et au bout de ce temps parvinrent à s’évader. On leur avait donné par compassion du foin qui leur servit à confectionner des liens, à l’aide desquels ils se hissèrent dehors, après avoir descellé les pierres. Guillaume Dorier, devenu receveur du roi à Angoulême, se fit délivrer des lettres de rémission pour ce fait, en juin 1388 (JJ. 133, n° 46, fol. 23). On voit combien ces sortes de documents sont parfois utiles pour contrôler les chroniques. En ce qui concerne le siège et la prise de Verteuil, le dernier événement de la campagne du duc de Bourbon, il en a été traité dans un autre endroit de ce volume (ci-dessus, p. 290). Après ce dernier succès, l’armée vint se reposer à Charroux, d’où le duc data, en novembre, des lettres imprimées plus haut (p. 255, note). Ce prince alla ensuite à Limoges, où il demeura huit jours, et de là il s’en retourna près du roi, à Paris.

La mission du duc de Bourbon prit-elle fin en même temps que sa campagne ? On ne saurait le dire avec certitude. Il faudrait plutôt admettre le contraire, si l’on s’en rapporte aux termes d’un arrêt du Parlement daté du 12 août 1386. Guillaume Ancelon, seigneur en partie de Sainte-Gemme, avait appelé à la cour d’une décision du duc de Bourbon, lieutenant du duc de Berry en Poitou, et de son sénéchal, imposant aux hommes de Sainte-Gemme la garde, le guet et les réparations du château de Fontenay-le-Comte. Par la sentence en question, le Parlement se dessaisit de la cause et renvoie l’appelant à la prochaine session des Grands jours du comte de Poitou (X1a 35, fol. 45). Si la lieutenance du duc avait cessé, la mention de sa qualité dans le texte serait précédée du mot tunc ou aliàs. Quoi qu’il en soit, l’acte que nous venons de citer établit que les pouvoirs du duc de Bourbon n’étaient pas seulement militaires, mais qu’ils lui conféraient en même temps la direction administrative. Les lettres de rémission en faveur d’Olivier Clerbaut en sont une autre preuve, ainsi qu’un acte conservé dans la collection de dom Fonteneau, portant « commission du droit de barrage faite pour un an à l’hôtel de ville de Niort par Louis duc de Bourbonnais, lieutenant en Poitou, pour les réparations des ponts et portes de la ville ». Il est daté ainsi : « Donné en nostre ost et siege devant Verteuil, le 28e septembre 1385 » (coll. dom Fonteneau, t. XX, p. 205), ce qui nous donne, à quelques jours près, la date de la capitulation de cette ville.

2 Les registres du Parlement mentionnent, aux environs de cette date, différents membres de cette famille peu connue. Jean Clerbaut, chevalier, et son frère Guy ou Guyon, aussi chevalier, soutenaient un procès criminel contre le procureur du roi, Jacques du Plessis, le sénéchal de Poitou, Pierre Pascaut, sergent et commissaire du sénéchal, et autres officiers du duc de Berry, comte de Poitou. Par arrêt du 2 avril 1376, ils furent élargis jusqu’à nouvel ordre, et ils furent ajournés de nouveau, le 7 février 1378 (X2a 9, fol. 109 ; X2a 10, fol. 15 v°). Au 31 août 1380, reprise d’un procès en matière civile entre Isabelle Clerbaut, veuve de Pierre de Cherchemont, chevalier, et Jean Clerbaut, chevalier, d’une part, Maingot de Melle, en son nom et au nom de feu Guy de Melle, son frère, d’autre part (X1a 29, fol. 102). Dans un aveu rendu au duc de Berry, le 15 novembre 1404, par Guillaume du Fouilloux, écuyer, on voit que Jean Clerbaut, chevalier, tenait de celui-ci divers fiefs et droits dans les paroisses de Surin, Sainte Ouenne et Faye. (Arch. nat., R1* 2172, p. 995.) Cette famille a donné son nom au domaine de la Grange-Clerbaut, commune de Sainte-Ouenne canton de Champdenier, Deux-Sèvres.

3 Jeanne Chabot, sœur et héritière de Gérard VI Chabot, baron de Retz, de Machecoul, etc. (Voy. notre t. IV, p. 111, note.)

4 Aliàs la Chapelle-Maurière. A la date du 5 juillet 1390, on trouve un accord entre Jeanne dame de Retz et Isabelle d’Avaugour, vicomtesse douairière de Thouars, à la suite d’un différend touchant la saisie des terres de la Mothe-Achard et de la Chapelle-Maurière. (Arch. nat., X1c 61.)

5 Entre le 1er et le 15 septembre. La neuvième année du règne de Charles VI finissait le 16, son père étant mort le 16 septembre 1380.