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DCXLIV

Lettres de rémission accordées à Pierre Léau, écuyer, coupable de meurtre sur la personne d’André de Parthenay, son gendre1.

  • B AN JJ. 119, n° 159, fol. 103
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 166-170
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à [p. 167] nous avoir esté humblement exposé de la partie des amis charnelx de Pierre Leaue, escuier, que comme le dit Pierre ait nagueres mariée une sienne fille appellée Jehanne à André Partenay, soubz esperance qui s’entramassent et fructifiassent ensemble comme bonnes genz, selon que ordre de mariage requiert, neantmoins durant ycellui mariage, le dit André menoit et a mené à sa dicte femme vie dissolue, mauvaise et deshonneste, car il manutenoit et gouvernoit une concubine2, la quelle aloit et reparroit touz les jours en l’ostel du dit André, et en a eu un bastart, et pour la dicte concubine le dit André, ou autrement, de sa voulenté desordonnée, a batu, injurié et villené, et bouté hors de sa compaignie et de son hostel par force et violence, par pluseurs foiz, à heure de mynuit et à diverses autres heures, la dicte Jehanne, sa femme, qui est jeune de l’aage de xv. ans ou environ et est femme de bonne fame, vie et renommée, et conversacion honneste, et faloit que elle alast coucher toutes les nuys ou teit aus bestes ou ailleurs en lieu non honneste ; de la quelle chose les amis de la dicte Jehanne et du dit André l’avoient pluseurs foiz blasmé et monstré qu’il laissast la dite concubine et ne frequentast plus avecques elle, et qu’il se portast honnestement avec la dite Jehanne, sa femme, et qu’il faisoit mal de ainsi la traitier et demener, dont il n’a voulu riens faire. Mais en procedant de mal en [p. 168] pis, le dimanche après l’Ascension derreniere passée3, à heure de mynuit ou environ, bouta par force et violence sa dicte femme dehors de son hostel et la mena bien loing entre bois et buissons, et lui dist que elle s’en alast là où elle vouldroit et que elle ne seroit plus avecques lui. Et lors elle fu moult desconfortée et dist moult humblement à son dit mari que elle ne savoit où aler et que elle seroit en peril d’estre gastée et perdue, et que elle s’en retourneroit avecques lui, comment que ce feust ; et en s’en voulant retourner après le dit André, son mari, il la bati et navra moult enormement et inhumainement, en disant que se elle retournoit à l’ostel, qu’il la tueroit, et pour crainte de mort, elle n’y osa aler et s’en ala d’illecques toute nuit à l’ostel du dit Pierre Leau, son pere, où il avoit une grosse lieue. Et quant son dit pere la vit ainsi navrée et demenée, il en fu moult courrociez et indignez, et s’en parti pour aler devers son dit gendre ; et en alant, trouva Aymar Malemain, qui lui demanda où il aloit. Le quel Pierre respondi qu’il aloit devers son dit gendre pour savoir que c’estoit pour quoy [avoit] ainsi batu sa dicte fille. Et lors le dit Malemain, ami et affin des diz pere et gendre, veant le dit Pierre estre courrociez, dist qu’il yroit avecques lui pour blasmer le dit gendre, et afin qu’il ne se riotassent. Et ainsi qu’ilz furent près de la ville de Coulonges, ilz encontrerent Gilet, filz du dit Pierre, de l’aage de xiiii. ans ou environ, qui par le commandement de son pere ala avec lui, et quant ilz furent à l’ostel du dit gendre, le dit Pierre non aiant propos ne entencion de ferir ne villener son gendre en aucune maniere, mais lui monstrer son erreur, lui dist qu’il faisoit mal de ainsi batre et villener sa fille sanz cause, et de l’avoir ainsi mise hors de son hostel à heure de mynuit, comme dit est, et que ce n’estoit pas fait de preudomme, mais avoit fait que [p. 169] mauvais et desloyaulx, consideré que sa dicte femme estoit et est preude femme et sanz villain reproche. Et tantost le dit André, sanz plus dire, sacha un grant coustel qu’il portoit et s’efforça d’en ferir le dit Pierre Leau, et l’en eust feru et par aventure mis à mort, si comme par ses mauvais propos apparessoit, se le dit Pierre n’eust resisté et soy mis à deffense contre son dit gendre. Le quel Pierre, en resistant et soy defendant et repellant force par force, mist au devant du dit coustel une hache qu’il portoit, dont il attaint son dit gendre par la teste ; et pour ce que le dit André s’efforçoit tousjours de ferir le dit Pierre du dit coustel, il le frapa pluseurs cops par les braz et jambes et en autres parties de son corps, en resistant comme dessuz, et tant que le dit Pierre le fist reculer jusques à un vivier où ilz le trouverent, quant ilz arriverent, lavant ses mains, et chey dedans, dont il est alez de vie à trespassement. De quoy après il a moult despleu au dit pere et filz et aus autres leurs amis, pour honneur de la dicte femme. En nous humblement suppliant que, comme le dit suppliant soit homs de bon estat, de bonne vie, fame et honneste conversation, ce que n’estoit le dit gendre, qui estoit rioteux et noiseux et menoit mauvaise vie, et ce qui en fu fait avint par sa coulpe et fait dampnables, comme dit est, nous lui vueillions sur ce impartir nostre grace. Nous adecertes, ces choses considerées, aianz compassion du dit Pierre Leau, vueillanz rigueur de justice temperer de misericorde, le fait de la dicte mort et toute peinne et amende corporelle, criminelle et civile qu’il a et puet avoir commis et encouru, ou cas dessuz dit, et sauf le droit de partie, se aucune en est, à poursuir civilement tant seulement, lui avons remis, pardonné et quictié, remettons, quictons et pardonnons, de nostre auctorité royal et grace especial, et au païs, fame et renommée, et à ses biens qui par ban ne seroient confisquez, le restituons et remettons, et à nostre procureur et à touz autres [p. 170] officiers imposons silence perpetuel par ces presentes. Par la teneur des quelles nous donnons en mandement au gouverneur de la Rochelle et à touz noz autres justiciers et officiers, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, ou à leurs lieuxtenans, que de nostre presente grace et remission le facent user et joir paisiblement, sanz le molester ne empescher, ou souffrir estre molesté ne empesché en corps ne en biens au contraire, mais leurs corps et biens qui pour ce seroient pris, molestez ou empeschez, mettent ou facent mettre à plainne delivrance, et tout ce qui seroit fait au contraire remettent ou facent remettre au premier estat et deu, tantost et sanz delay. Et pour ce que ceste chose soit ferme et estable à tous jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, l’an de grace m. ccc. iiiixx et un, et de nostre regne le premier, ou mois de juillet.

Seellée soubz nostre seel ordonné en l’absence du grant, ès ans et mois dessuz diz.

Es requestes de l’ostel. G. Niczon. — Blondel.


1 Ce meurtre est relaté dans les lettres précédentes données en faveur d’Aymar Malemain, mais avec beaucoup moins de précision et de détails. Le beau-frère d’André de Parthenay y est nommé Perrot Loya (Loyau) et est dit habitant de Sainte-Gemme. Pierre Léau ou Loyau ne put sans doute obtenir l’entérinement de la présente rémission ; car, environ un an après son crime, on le retrouve en prison et soumis à la torture. Le 22 mai 1382, il lui fut délivré d’autres lettres de grâce dont nous donnerons, à leur date, la seconde partie seulement, le commencement étant la reproduction exacte, presque mot pour mot, du récit qui se trouve ici

2 « De l’aage de l. ans ou environ », ajoutent les secondes lettres de rémission (22 mai 1382).

3 Le 26 mai.