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DCCXXX

Lettres de grâce octroyées à Colinet Alard, de Saint-Pierre-du-Luc, cordonnier, condamné à mort par le sénéchal des religieux de Saint-Georges de Montaigu, pour avoir volé deux selles à la foire dudit lieu, et pour avoir enlevé la femme de Jean Morice, du Luc, qu’il a épousée depuis la mort de ce dernier, à condition d’aller en pèlerinage à Notre-Dame de Rocamadour.

  • B AN JJ. 136, n° 43, fol. 24
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 383-387
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie de Colinet Alard, povre et miserable personne, cordouanier de gros ouvrage, que comme, le jour de la feste saint George derreniere passé, ycellui exposant et un autre homme en sa compaignie, appellé Picart, feussent alez à la foire de Saint George de Montagu, et eulz estans en la dicte foire par temptacion de l’ennemi dirent l’un à l’autre qu’il convenoit changer leurs selles à deux meilleurs, et adviserent deux [p. 384] chevaux ensellez et firent semblant de les froter et lever les piez aussi que se ilz fussent leurs, et après prindrent et emporterent de fait les selles d’iceulx deux chevaulx, maiz en les emportant, ceulx à qui les diz chevaulx et selles estoient survindrent et virent que les dessus nommez s’enfuioient avecques les dictes selles, et lors commencerent à crier à haute voix : « Aux larrons ! aux larrons ! » et furent poursuis telement qu’ils furent pris et mis ès prisons du prevost moine du dit lieu de Saint George, à qui la dicte foire estoit et appartient, et en qui juridicion le dit fait avint. En la quelle prison, le dit exposant confessa avoir pris et esté consentant des dictes selles par la maniere dessus dicte ; du quel fait le dit Picart fu delivré des dictes prisons ou au mains banni de la terre et juridicion du dit prevost moine de Saint George, et le dit exposant demoura prisonnier, et lui imposa l’en en oultre qu’il avoit fortrait et enmené Jehanne Moricete, à present sa femme, et pour le temps femme de feu Jehan Morice, et aussi deux jumens et autres biens du dit feu Morice. Sur quoy le dit exposant confessa la verité du fait, c’est assavoir qu’il estoit bien vray que la dicte Jehanne lui dist pieça, ou temps que elle avoit vint cinq ans ou environ et le dit exposant en avoit bien vint ou environ, que elle ne vouloit plus demourer avec le dit Morice, son mari, qui bien en avoit lx. environ, et qu’il la voulsist convoier jusques en Anjou. A quoy le dit exposant, seduit de jeunesse, se accorda que voulentiers il iroit là où elle vouldroit, et consenti bien le dit exposant, par l’ennortement d’icelle Jehanne que elle prist en l’ostel de son dit mary deux jumens, deux linceaux et un pot de beurre, les queles jumens elle enmena, et emporta le dit burre hors de la ville de Saint Pere du Luc où ilz demouroient, et aussi faisoit le dit exposant ; et là au dehors, en certain lieu, le dit exposant ala à la dicte Jehanne et d’ilecques se partirent et alerent ainsi ensamble jusques à Mathefelon en Anjou, où [p. 385] le dit exposant la laissa et s’en ala à Longué en Valée, ou il demoura et ouvra de son mestier par aucun temps ; et depuis, après pou de temps, vint la dicte Jehanne au dit lieu de Longué, et demanda au dit exposant que elle feroit des dictes jumens, et que elle n’en savoit que faire, et il lui respondi que elle en povoit faire à son plaisir, et en povoit vendre une ; laquelle elle vendi l. solz, si comme elle dit depuis au dit exposant, et de l’autre ne scet le dit exposant que elle devint. Et depuis la dicte Jehanne se parti de la dicte ville de Mathefelon et s’en ala demourer avec le dit exposant au dit lieu de Longué en Valée. Et après ces choses, ledit exposant desirant retourner à ses amis, laissa la dicte Jehanne et retourna au pays en la dicte ville de Saint Pere du Luc, dont il estoit nez, comme dit est, et trouva que le dit Morice, premier mari de la dicte Jehanne, estoit trespassé bien avoit cinq moys ou environ, et lors à la requeste et priere de la mere de la dicte Jehanne, retourna devers la dicte Jehanne, pour la querre et ramener audit lieu du Luc devers sa mere et amis, et ycelle ainsy ramenée, pou de temps après, à la requeste de la dicte mere, ycellui exposant espousa la dicte Jehanne, cuidant le dit exposant qui lui eust engendré un enfant, qui lors n’avoit guerres estoit né. Pour les quelles choses ci dessus confessées, le juge ou seneschal du dit lieu de Saint George pour le dit prevost moine a jugié et condempné à pranre mort le dit exposant, dont il appella en nostre court de Parlement, pour eschever la dicte mort. Et ainsi le dit exposant qui doubte que le dit appel, du quel il n’avoit de quoy l’amende paier, ne se puisse seurement ne bonnement conduire ne soustenir, sera en voye de finer et morrir miserablement, se nostre grace ne lui est sur ce eslargie, si comme il dit, en nous humblement suppliant que, attendues les choses devant dictes, pour les quelles il a demouré trois moys prisonnier en fers et en grant misere, et a esté durement gehinez et questionné, que ycelui [p. 386] exposant est à present chargié de la dicte Jehanne et de trois petis enfans, que en tous autre cas il a esté et est de bonne fame, vie, renommée et honneste conversacion, sanz onques estre attaint ne convaincu d’aucun autre villain blasme, que le dit prevost moine en l’execution et condempnacion du dit exposant n’auroit guerres grant proffit, pour ce que, par la coustume du pays de Poitou, il n’a aucune confiscacion pour crime capital ès biens immeubles du crimineulx qui est condempné et excecuté à mort, et aussi que ceulx à qui estoient les dictes selles les orent celle mesme journée, et ne se font en rien partie sur ce, nous sur ce lui vueillons impartir nostre dicte grace. Nous adecertes, eue consideracion aux choses devant dictes, voulans en ceste partie, par pitié et compassion, rigueur de justice estre temperée par misericorde, à ycellui exposant, de nostre grace especial et auctorité royal, ou cas dessus dit, avons remis, quicté et pardonné, remettons, quictons et pardonnons le fait et cas dessus diz, avec toute peine, offense et amende corporelle, criminelle et civile, que pour cause et occasion d’iceulx il puet avoir pour ce commis et encouru envers nous, en le restituant et mettant à sa bonne fame, pays, renommée et à ses biens non confisquez, satisfaction faicte à partie civilement, se faicte n’est, comme dit est, et sauf tel droit comme au dit prevost moine en puet ou doit appartenir ; parmi ce aussi que, dedens Noel prochainement venant, le dit exposant sera tenu de faire un pelerinage à Nostre Dame de Rochemadour. Et de nostre plus ample grace, consideré que le dit exposant a encores deux moys ou environ, si comme l’en dit, de relever son appel, nous la dicte appellacion, avec la sentence et tous procès dont sortist le dit appel, ou dit cas, mettons au neant sanz amende, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur. Si donnons en mandement à noz amez et feaulx genz tenans nostre present Parlement et qui le tendront pour le temps [p. 387] avenir, et à touz noz autres justiciers et officiers, et à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace et remission ilz facent, seuffrent et laissent joir et user paisiblement le dit exposant, sanz le molester ne souffrir estre molesté en corps ne en biens, en aucune maniere ; mais son corps et ses diz biens pour ce pris, saisiz ou empeschiez mettent ou facent mettre, sanz delay, à plaine delivrance. Et pour ce que ce soit ferme chose à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, ou moys de juillet l’an de grace mil ccc. iiiixx et ix, et de nostre regne le ixe.

Par le roy, à la relacion du conseil. R. Le Fevre.