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DCXXVI

Lettres de rémission octroyées à Moreau de Magné et à ses complices qui avaient tué Jean de Verruyes dans un combat auquel ils avaient été provoqués. Leur inimitié avait pour origine une contestation survenue entre eux au sujet du droit de justice à Saint-Rémy-en-Plaine.

  • B AN JJ. 113, n° 331, fol. 162 bis
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 95-103
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que de la partie des amis charnelx de Moreau de Maigné1, [p. 96] chevalier, nous a esté exposé que feu Jehan de Verruyes2, chevalier, ou temps qu’il vivoit fist publier que à certain jours lors avenir il tenroit son assise en certain lieu à Saint Remy de la Plaine près de Nyort, ou quel lieu le dit Moreau seul et pour le tout a toute justice haulte, moyenne et basse, et de gens d’armes et autres se fist fort le dit feu Jehan pour tenir la dicte assise. Ou quel jour le dit Moreau, acompaignié de pluseurs de ses amis, les aucuns armez et les autres non, vint au dit lieu où estoit le dit feu Jehan, acompaignié de gens d’armes et autres ; et là par le conseil de leurs amis se soubmirent yceulx Moreau et Jehan du descort qu’il avoient ensemble en l’ordenance du sire de Tors3. Et après ces choses, sanz ce que le dit sire de Tors eust aucune chose ordené de leur debat, le dit feu Jehan, en demonstrant la mauvaise volonté qu’il avoit [p. 97] contre le dit Moreau, acompaignié d’aucunes personnes et de pluseurs chiens, ès venganges (sic) derrainement passées ou un pou devant, vint par pluseurs foiz en une piece de vigne du dit Moreau, où il avoit grant quantité de roisins, et tant alerent, vindrent et chacerent parmi la dicte vigne le dit feu Jehan et sa compaignie, que il gasterent grant partie de la vendange qui y estoit. Le quel Moreau, acompaignié de Guillaume Himbaut4, son escuier, touz desarmez fors que d’espée, vint en la dicte vigne et y trouva le dit feu Jehan. Et après pluseurs paroles injurieuses eués entre eulx, le dit Moreau trait s’espée, et quant il apperçut que le dit feu Jehan n’avoit point d’espée pour soy defendre, il remist sa dicte espée ou fourrel et ne le fery point. Et depuis ce, le dit feu Jehan qui par avant aloit, lui tiers ou quart, touz desarmez par le pays, chevaucha à gens d’armes et à lances et à bacinès, et le jour de la feste saint Denys derrainement passé, vindrent icellui feu Jehan, Tristran de Verruyes, chevalier, son frere, Jehan de Verruyes, de Trevins, et autres ses compaignons armés, en la ville de Saint Legaire près de Nyort, où seeoit une foire le dit jour. Et après disner, environ vespres, se partirent de la dicte ville de Saint Legaire le dit feu Jehan et ceulx de sa compaignie, et vindrent au bout d’une chaucée sur un marez par où en aloit de la dicte ville de Saint Legaire à Maigné, où demouroit le dit Moreau. [Le quel Moreau], vestu d’un jaque et çainte s’espée sanz autre armeure, acompaignié du dit Himbaut, son escuier, armé d’une [p. 98] coste de fer et aiant en sa main une darde d’un varlet appellé Jehan Calet5, qui avoit espée, taloche et une lance d’un page appellé Jehannin, qui portoit une lance (sic), les quelx avoient acoustumé de chevauchier avec lui, quant il aloit hors, et d’un compaignon appellé Normandeau6, tout desarmé, estoit parti du dit Maigné pour aler au dit Saint Legaire, pour certaine besoigne que Olivier de Saint Symon7 avoit à faire à Andrieu Giffart8, le quel le dit Moreau cuidoit trouver à la dicte foire. Et en alant vers la dicte ville de Saint Legaire trouva ou chemin le bourc de Luserches9, [p. 99] tout desarmé, le quel il fist aler avec lui. Et en chevauchant, le dit Calot (sic) apperçut les diz de Verruyes et leurs compaignons armez, et dit au dit Moreau : « Sire, je vois là gens d’armes. » Et lors le dit Moreau s’arresta, et les diz de Verruyes et ses compaignons se mirent en un pré au dessoubz de la dicte chaucée. Le quel feu Jehan et Jehan de Verruyes, de Trevins, qui estoit embacinez, et Pierre Claveau prindrent leurs lances et vindrent tout droit au long du pré contre le dit Moreau, jusques à un fossé par lequel l’en povoit aler du dit pré à la dicte chaucée, près du dit lieu où estoit arrestez le dit Moreau, et le dit Tristran, sa lance en sa main, se mist à cheval sur la dicte chaucée et s’adreça tout droit contre ledit Moreau, le quel et les dessus nommez de sa compaignie se trairent vers le dit fossé ; et dist le dit Moreau au dit feu Jehan : « Veulx tu riens ? — Ouïl, respondi le dit feu Jehan, je diz que tu es faulz et mauvaiz chevalier. Ores ay je espée comme tu. Ores est il temps de compter. Passe deça. » Et le dit Moreau respondi : « Mais tu deça ! » Le quel feu Jehan cuida faire passer son cheval ou dit fossé, mais le dit cheval ne voult, et le dit Moreau fist entrer ou dit fossé son cheval, qui y entra jusques à la poitrine. Et lors du dit feu Jehan, ou de Jehan de Trevins, ou du dit Claveau fu le dit Moreau feruz et navrez, et le dit Moreau feri de sa lance le cheval du dit feu Jehan, et lors cheirent les lances, et si fort des esperons feri le dit Moreau son cheval que il issi du dit fossé et vint ou dit pré. Et sacherent leurs espées l’un contre l’autre, et les diz feu Jehan et Moreau envayrent, blecerent et navrerent les uns l’autre ; et aussi le dit Himbert (sic) envay le dit feu Jehan, qui fu si navrez que mort s’en est ensuye en sa personne. Et le dit [p. 100] Tristran assailli le dit Calet et le feri de sa lance, et le dit Calet fery le dit Tristran de s’espée et le navra, sanz mort et sanz mehaing. Au quel debat seurvindrent Jehan Aymer10, Jehan Ymbaut et Jehan Bon à pié, et avoient chascun d’eulx une espée sanz autre armeure, et ne ferirent oncques les diz de Verruyes ne leurs compaignons, mais seulement tira le dit Aymer son espée, après ce que le dit feu Jehan l’ot feru et navré, et n’en fery aucune personne le dit Aymer. Pour les quelx faiz, le dit Moreau et ses diz complices se sont absentez de leurs lieux, doubtans rigueur de justice. Et pour ce, nous ont supplié ses diz amis que, attendu que le dit feu Jehan a esté occasion des diz debaz, comme dit est, et que le dit Moreau en la compaignie de noz amez et feaulx nostre connestable et Loys de Sancerre11, mareschal de France, et ailleurs, nous a bien et loyalment servi en noz guerres, et servira encores, se Dieux plaist, et aussi ses predecesseurs ont servi longuement et loyalment nous et les nostres, et que honte et reproche lui eust esté de soy enfouir devant le dit feu Jehan, et que en tous ses autres faiz il a tousjours esté homme de bonne vie, renommée et conversacion honneste, et que oncques ne fu repris, attains ne convaincus d’autre villain cas, nous vuillons à lui et à ses diz complices estre piteables et misericors. [p. 101] Pourquoy nous, attendues les choses dessus dictes, au dit Moreau et à ses diz complices, et à chascun d’eulx, ou cas dessus dit, avons quicté, remis et pardonné, remettons, quictons et pardonnons de grace especial, par ces presentes, les faiz dessus diz et toute peine, offense et amende corporele, criminele et civile, qu’il pevent avoir encouru envers nous et justice, et les restituons au païs, à leur bonne renommée et à leurs biens quel conques, sattisfait premierement et avant tout euvre à partie civilement. Mandons au seneschal de Xantonge12 et à tous noz autres justiciers [p. 102] et officiers, ou à leurs lieux tenans presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit Moreau et ses diz complices, et chascun d’eulx, facent, seuffrent et laissent joir et user à plain de nostre presente grace et remission, et au contraire ne les molestent ou empeschent en corps ne en biens, en aucune maniere ; et se aucuns des biens d’eulx, ou d’aucuns d’eulx, sont pour ce priz, saisiz, levez ou arrestez, il leur mettent ou facent mettre à plaine delivrance. Et que ce soit ferme chose et estable [p. 103] à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, ou moys de novembre l’an de grace mil ccc. soixante dix huit, et le xve de nostre regne.

Par le roy à la relacion du conseil. Mauloue.


1 L’an 1361, étant en garnison au Coudray, Moreau avait déjà commis un homicide sur la personne de Geoffroy Ayraut, pour lequel le maréchal Boucicaut, lieutenant du roi en Poitou, lui avait accordé des lettres de rémission (tome III, p. 303). Moreau de Magné, chevalier, seigneur de Magné, à une demi-lieue de Saint-Liguaire, comme il est dit dans la rémission accordée à son valet, en juin 1383 (ci-dessous, n° DCLXV), avait épousé Isabelle Mignot, fille unique de Pierre Mignot, chargé successivement de plusieurs fonctions importantes en Poitou, que nous avons rencontré déjà et dont il sera question encore ci-dessous. Moreau et sa femme soutenaient, dix ans plus tard, contre l’abbaye d’Angle, au sujet d’une rente en argent et en vin, un procès qui se termina par un accord amiable ratifié par le Parlement, le 18 janvier 1389 n.s. (Arch. nat., X1c 58). Ils n’eurent qu’une fille, Jeanne, mariée à Simon Chasteigner, seigneur de la Meilleraye, auquel et ensuite à ses enfants elle porta la châtellenie de Magné, les terres d’Échiré, de Saint-Maxire, de Longèves près Fontenay-le-Comte, de la Boissière et de la Cour-de-Magné, près Fontaines en Saintonge ; elle épousa en secondes noces, entre 1398 et 1400, Thibaut Portier, seigneur de Sainte-Néomaye. Moreau de Magné mourut un peu avant le 13 février 1393 n.s. Dans un acte de cette date, Simon Chasteigner se qualifie seigneur de Magné et d’Échiré, à cause de sa femme, et déclare que Jean Rogre, demeurant à Rouvre, lui fit ce jour-là « un hommage plein qu’il lui était tenu de faire par la mort de feu messire Moreau de Magné, jadis chevalier, père de sadite femme, à cause de sa terre d’Échiré, à raison de certaines choses assises à Ternanteuil et environs, et en la paroisse d’Échiré. » (A. Du Chesne, Hist. généal. de la maison des Chasteigners, Paris, 1634, in-fol., p. 510, et Preuves, p. 160.)

2 La famille de Verruyes avait de nombreux représentants en Poitou à cette époque. Un acte du Parlement du 13 juillet 1377 en mentionne sept. Aimery de Verruyes et ses trois neveux, Jean de Verruyes, celui-là même dont le meurtre est relaté dans les présentes lettres, Tristan son frère, nommé plus bas, et le mari de leur sœur Jean Jousserant, chevalier, héritiers de Jeanne de Verruyes, leur sœur et tante, ainsi que Palmidas de Verruyes, chevalier, et Pierre de Verruyes plaidaient contre Hervé de Volvire, chevalier, seigneur de Nieul et de Châteauneuf, fils de Maurice de Volvire et de ladite Jeanne de Verruyes, et lui réclamaient des terres et rentes que celle-ci tenait de la générosité de son mari. Maurice de Volvire avait en effet donné à sa femme, tant comme don gracieux que pour son douaire, son hébergement de Chassenon (Vendée) et plusieurs autres petits fiefs. Plus tard, celle-ci les avait échangés avec son fils contre d’autres terres et des rentes, puis dans son testament elle avait définitivement abandonné à Hervé de Volvire tous ses droits de ce chef. Une transaction intervint par laquelle ses héritiers renoncèrent à leurs prétentions au moyen d’une indemnité de quelques centaines de livres (X1c 35). Jean avait épousé Isabelle de Montendre, dont il sera amplement parlé dans une note ci-dessous. — Un autre personnage qui paraît se rattacher à la même famille était seigneur de Foulletourte au Maine. Il se nommait aussi Jean de Verruyes et se qualifiait écuyer. Ayant tué en se défendant un nommé Michel Mercent, dudit lieu de Foulletourte, il obtint rémission du roi par lettres datées de Paris, juin 1395. (JJ. 147, n° 341, fol. 155 v°.)

3 Renaud de Vivonne, sire de Thors, auquel nous consacrons une notice dans un autre endroit de ce volume.

4 Guillaume Imbaut vivait encore en 1404. Il était alors tuteur des petits-enfants de son maître, Simon et Jeanne Chasteigner, enfants de Simon Chasteigner, seigneur de la Meilleraye, et de Jeanne de Magné. C’est en leur nom que, le 15 janvier de cette année, il rendit aveu de la terre de la Meilleraye à Jean duc de Berry, comte de Poitou, à cause de son château de Fontenay-le-Comte. (Grand-Gauthier, copie du xviiie siècle. Arch. nat., R1* 2172, p. 1131. — Voy. aussi Du Chesne, Hist. généal. de la maison des Chasteigners, Paris, in-fol., 1634, p. 511.)

5 Nommé plus bas Calot, Colet, et Talet dans des lettres de rémission qu’il obtint pour lui personnellement, en juin 1383. (Voy. ci-dessous, n° DCLXV.)

6 Ce Normandeau pourrait bien être Jean Normandeau qui avait été sergent de du Guesclin à Fontenay-le-Comte, sous Pierre Mignot, sénéchal du lieu, et beau-père de Moreau de Magné. (Voy. ci-dessus, p. 95 note.) En 1389, il était prisonnier au Châtelet de Paris, appelant au Parlement des officiers du duc de Berry audit lieu de Fontenay-le-Comte, qui l’avaient retenu enfermé au château de cette ville, alors qu’il était tenu de comparaître en personne aux jours de Vermandois dudit Parlement, à la requête du comte de Poitou. Le 22 décembre 1389, il fut élargi sous caution, avec permission de se faire représenter par un procureur, et élut domicile chez Étienne Petitbreton, procureur à Paris, demeurant à l’école Saint-Germain, « aux Sept-Rois, à l’enseigne du  » (sic). Le 20 mars 1390, il obtint un nouvel élargissement jusqu’à la fin de juin suivant, et le 27 de ce mois, un renvoi à la session suivante. (X2a 12, fol. 65 v°, 78 v°, 97.)

7 Olivier de Saint-Simon avait épousé une cousine de Moreau de Magné. C’est lui qui avait prié son cousin de venir avec lui à la foire de Saint-Liguaire, pour l’aider à entrer en arrangement avec André Giffart, au sujet d’une rente de blé que la femme dudit Olivier, son mari étant prisonnier des Anglais, avait vendue à une dame veuve, remariée depuis audit Giffart, pour aider à payer sa rançon, en se réservant toutefois le droit de la racheter moyennant un certain prix. (Extrait de l’arrêt du 22 mai 1381, X2a 9, fol. 236 v°.) Olivier de Saint-Simon mourut peu de temps avant le 16 juillet 1403, époque où sa veuve, Jeanne de Gramouton, rendit aveu au duc de Berry pour son hébergement de la Roche-de-Chauray, dit l’hébergement de Bourgneuf, avec colombier, garenne, etc., etc. (Arch. nat., R1* 2172, p. 738).

8 Ce personnage appartenait à une famille de Niort dont plusieurs membres figurent dans nos précédents volumes. (Voy. t. II, p. 221 et n., 405 n., et t. III, p. 209-212.)

9 Jean bâtard de Luzarche est dit cousin d’André Giffart dans l’arrêt du 22 mai 1381 (ci-dessus, note 3). Plusieurs de ses parents sont nommés aussi dans un volume précédent : Guillaume de Luzarche, prévôt de Niort, Jean de Luzarche et Pierre de Luzarche, qui fut procureur du roi en Poitou, l’an 1351. (Voy. T. II, p. 407 et note.)

10 Ce personnage doit être Jehan Aymer l’aîné, valet, fils de Pascaut Aymer, de Lesson près Benet ; il avait épousé Isabeau de Lalier et fit, le 8 septembre 1397, un accord avec Marguerite de Lalier, sa belle-sœur, avec qui son père s’était remarié. (Titre orig. de la famille Aymer.)

11 Second fils de Louis II, comte de Sancerre, et de Béatrix de Roucy, Louis de Sancerre, chevalier, seigneur de Charenton, de Beaumetz. de Condé et de Luzy, était maréchal de France depuis le 20 juin 1368 et frère d’armes de du Guesclin, comme le sire de Clisson. Il prit avec eux une part active à la conquête du Poitou sur les Anglais. (Voy. Delaville-Le Roulx, Comptes munic. de la ville de Tours, t. II, p. 299.) Après la mort de Philippe d’Artois, comte d’Eu, il fut pourvu de la charge de connétable de France, le 26 juillet 1397. Il fit son testament le dimanche 4 février 1403 n.s. et mourut le mardi suivant, d’une longue maladie, à l’âge de 60 ans. (Le P. Anselme, Hist. généal., t. II, p. 851 ; t. VI, p. 204 et 759.)

12 Le sénéchal de Saintonge, à qui ces lettres sont adressées, était, paraît-il, des amis de Moreau de Magné et s’empressa de les faire entériner, malgré l’opposition de la veuve du défunt, et d’ordonner aux parties de transiger sur la question de dommages et intérêts. Isabelle de Montendre, femme de Jean de Verruyes, ne l’entendait pas ainsi et repoussa toutes les offres qui lui furent faites. Elle avait à défendre l’honneur et les intérêts de ses cinq enfants mineurs, Jean. Ponçonnet, Alardon, Marguerite et Jeanne, et pendant plus de trois ans elle poursuivit les meurtriers de son mari avec une constance qui ne se démentit pas un instant. D’abord elle allégua que leur juge naturel était le bailli des Exemptions du Poitou, puisque tous, demandeurs et défendeurs, habitaient ce pays, et que le crime y avait été perpétré. Elle repoussait ainsi la juridiction du sénéchal de Saintonge, « devant lequel, disait-elle, du reste, l’on ne eust peu avoir justice, pour le port de maistre Pierre Mignot, sénéchal du sire de Parthenay et père de la femme dudit Moreau, lequel Moreau est acointé des Anglois du païs. » Cette accusation, échappée à la douleur de l’épouse, n’était sans doute pas très bien fondée. Quoi qu’il en soit, Isabelle de Montendre eut le crédit de faire évoquer l’affaire au Parlement, où elle apparaît pour la première fois le 16 juin 1379. Dès lors nous avons la procédure très complète jusques et y compris les plaidoiries et l’arrêt définitif. Nous en donnerons un résumé aussi rapide que possible.

Moreau de Magné et ses complices, Jean Aymer, Jean et Guillaume Imbaut, frères, et Jean de Luzarche, dit le Bourc, amenés prisonniers au Châtelet de Paris, trouvèrent plusieurs déclinatoires de compétence. Jean de Verruyes, disaient-ils, ne relevait pas directement du roi et n’était pas sous sa sauvegarde ; ils ne devaient donc pas être jugés en première instance par le Parlement ; d’ailleurs ils étaient clercs, comme le prouvaient leur habit et leur tonsure, et appartenaient à la justice de leur évêque. Il paraît que, aussitôt après le meurtre, Moreau et ses compagnons s’étaient mis en franchise « en lieu saint », et que ce fut pendant leur séjour dans ce refuge sacré qu’ils eurent l’idée de se faire tonsurer. On fit venir un barbier juré qui les visita et trouva la tonsure irréprochable. Alors on vit les évêques de Paris, de Saintes et de Maillezais se disputer les prisonniers, le premier parce qu’ils étaient en état d’arrestation à Paris, le second parce que le crime avait été commis dans son diocèse, le troisième alléguant que leur résidence ordinaire les rendait ses justiciables. Naturellement le Parlement les mit tous les trois d’accord, en se déclarant compétent. Deux jours après, le 18 juin, la cour mit les prisonniers en liberté jusqu’à réception de l’enquête, à condition de réintégrer le Châtelet aux jours de Poitou du prochain Parlement. Ceux-ci firent élection de domicile chez leur procureur à Paris, et se placèrent sous la caution de Lestrange de Saint-Gelais, de Pierre de Maillé, sire de Laleu, de Jean seigneur de Payré et archiprêtre d’Ardin, et de frère Nicolas Renoul, prieur de Coulon. (X2a 9, fol. 161 ; X2a 10, fol. 86, 87.)

Isabelle de Montendre dirigeait parallèlement des poursuites contre un autre personnage, qui ne figure pas dans nos lettres de rémission. Il se nommait Jean Rose. Quoique n’ayant pas été présent au meurtre, il avait été arrêté à Niort, détenu prisonnier ainsi que sa femme, pendant quinze semaines, et mis à la question. On l’accusait d’avoir préparé l’embûche, d’être venu s’assurer de la présence de Jean de Verruyes à la foire de Saint-Liguaire et de l’avoir signalé à son ennemi. Amené aussi à Paris, la cour s’occupa de lui, les 13 et 18 août, pour joindre les deux affaires ensemble et l’élargir comme les autres. (X2a 9, fol. 165 ; X2a 10, fol. 90.)

Le 29 août 1379, Jean de Folleville, chevalier, et maître Adam Chanteprime, conseillers au Parlement, furent désignés par la cour pour faire l’enquête sur les circonstances du meurtre. Près de deux ans s’écoulèrent entre ce moment et celui du jugement, sans que l’on puisse se rendre compte des causes du retard. Les accusés se présentèrent tous aux jours de Poitou 1380 et furent de nouveau élargis, par sentence du 7 mai, jusqu’au Parlement prochain. Le 13 mars 1381, l’enquête est enfin reçue à juger. Moreau de Magné et les autres sont admis à se présenter par procureurs, parce qu’ils « sont ès guerres du roy en Poitou ». (X2a 9, fol. 166 v° et 225 ; X2a 10, fol. 103 v° et 125.)

Le procureur général et Isabelle de Montendre présentent naturellement les faits exposés dans les lettres de rémission sous un jour tout différent. L’accusation de préméditation et de guet-apens est retournée contre Moreau de Magné et ses complices, et non sans vraisemblance. Par suite, les lettres de rémission sont vivement attaquées, comme obtenues subrepticement et sur faux donné à entendre. Le meurtrier et la victime étaient parents et liés l’un à l’autre par serment d’amitié, juramento astricti. Peu de temps auparavant, ils avaient fait à frais communs le voyage de Prusse, sans doute pour prendre part à une expédition des chevaliers de l’ordre Teutonique. Après leur retour, Jean de Verruyes, un jour qu’il chassait dans une vigne, sans savoir qu’elle appartenait à Moreau, fut fort étonné de voir celui-ci s’avancer sur lui l’épée haute et la menace à la bouche. Ne comprenant rien à cette attaque, il chercha à calmer son adversaire en s’excusant sur son ignorance. Quant au drame final, Jean de Verruyes ne pouvait être l’agresseur, puisqu’il n’était pas en plus nombreuse compagnie. Il était allé à la foire de Saint-Liguaire avec son frère Tristan, pour distraire celui-ci qui souffrait d’une indisposition sérieuse. Bref, Isabelle s’opposait à l’entérinement des lettres de rémission, demandait que les défendeurs fussent condamnés solidairement à fonder deux chapellenies de quatre-vingts livres de revenu annuel dûment amorti, les chapelles munies des meubles et ornements nécessaires au service divin, dans chacune desquelles une messe serait célébrée, chaque jour à perpétuité, pour le repos de l’âme du défunt ; à faire amende honorable envers sa veuve et ses enfants, et à leur payer une amende profitable de cent livres de rente annuelle et perpétuelle, et 2,000 livres tournois à titre de dommages et intérêts, sans préjudice du châtiment corporel qu’ils avaient encouru pour crime de meurtre.

La cour rendit enfin son arrêt le 22 mai 1381. Nous avons emprunté à cet acte une partie de ce qui précède ; il est on ne peut plus explicite sur les faits présentés et les moyens proposés par les parties. Les lettres obtenues par les défendeurs sont déclarées subreptices, mais seulement en ce qui concerne Moreau de Magné et son écuyer, Guillaume Imbaut. En conséquence, ils sont condamnés tous deux solidairement, pour réparation envers la veuve et les enfants de Jean de Verruyes, à leur donner, à titre de dommages et intérêts, 500 livres une fois payées et une rente annuelle de 40 livres, durant la vie d’Isabelle de Montendre, payable par moitié à la Saint-Martin et à Pâques ; et en outre à payer 100 livres destinées à faire célébrer des messes pour le défunt, les dépens de la cause et une amende de 300 livres envers le roi, pour port d’armes. Les autres, c’est-à-dire Jean Aymer, Jean Imbaut, Jean Bourc de Luzarche et Jean Rose, sont renvoyés des fins de la plainte, et la rémission déclarée, en ce qui les concerne, valable et exécutoire. (Arch. nat., X1a 9, fol. 235 r°-237 v°.)