DCXXVI
Lettres de rémission octroyées à Moreau de Magné et à ses complices qui avaient tué Jean de Verruyes dans un combat auquel ils avaient été provoqués. Leur inimitié avait pour origine une contestation survenue entre eux au sujet du droit de justice à Saint-Rémy-en-Plaine.
- B AN JJ. 113, n° 331, fol. 162 bis
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 95-103
Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que de la partie des amis charnelx de Moreau de Maigné1, [p. 96] chevalier, nous a esté exposé que feu Jehan de Verruyes2, chevalier, ou temps qu’il vivoit fist publier que à certain jours lors avenir il tenroit son assise en certain lieu à Saint Remy de la Plaine près de Nyort, ou quel lieu le dit Moreau seul et pour le tout a toute justice haulte, moyenne et basse, et de gens d’armes et autres se fist fort le dit feu Jehan pour tenir la dicte assise. Ou quel jour le dit Moreau, acompaignié de pluseurs de ses amis, les aucuns armez et les autres non, vint au dit lieu où estoit le dit feu Jehan, acompaignié de gens d’armes et autres ; et là par le conseil de leurs amis se soubmirent yceulx Moreau et Jehan du descort qu’il avoient ensemble en l’ordenance du sire de Tors3. Et après ces choses, sanz ce que le dit sire de Tors eust aucune chose ordené de leur debat, le dit feu Jehan, en demonstrant la mauvaise volonté qu’il avoit [p. 97] contre le dit Moreau, acompaignié d’aucunes personnes et de pluseurs chiens, ès venganges (sic) derrainement passées ou un pou devant, vint par pluseurs foiz en une piece de vigne du dit Moreau, où il avoit grant quantité de roisins, et tant alerent, vindrent et chacerent parmi la dicte vigne le dit feu Jehan et sa compaignie, que il gasterent grant partie de la vendange qui y estoit. Le quel Moreau, acompaignié de Guillaume Himbaut4, son escuier, touz desarmez fors que d’espée, vint en la dicte vigne et y trouva le dit feu Jehan. Et après pluseurs paroles injurieuses eués entre eulx, le dit Moreau trait s’espée, et quant il apperçut que le dit feu Jehan n’avoit point d’espée pour soy defendre, il remist sa dicte espée ou fourrel et ne le fery point. Et depuis ce, le dit feu Jehan qui par avant aloit, lui tiers ou quart, touz desarmez par le pays, chevaucha à gens d’armes et à lances et à bacinès, et le jour de la feste saint Denys derrainement passé, vindrent icellui feu Jehan, Tristran de Verruyes, chevalier, son frere, Jehan de Verruyes, de Trevins, et autres ses compaignons armés, en la ville de Saint Legaire près de Nyort, où seeoit une foire le dit jour. Et après disner, environ vespres, se partirent de la dicte ville de Saint Legaire le dit feu Jehan et ceulx de sa compaignie, et vindrent au bout d’une chaucée sur un marez par où en aloit de la dicte ville de Saint Legaire à Maigné, où demouroit le dit Moreau. [Le quel Moreau], vestu d’un jaque et çainte s’espée sanz autre armeure, acompaignié du dit Himbaut, son escuier, armé d’une [p. 98] coste de fer et aiant en sa main une darde d’un varlet appellé Jehan Calet5, qui avoit espée, taloche et une lance d’un page appellé Jehannin, qui portoit une lance (sic), les quelx avoient acoustumé de chevauchier avec lui, quant il aloit hors, et d’un compaignon appellé Normandeau6, tout desarmé, estoit parti du dit Maigné pour aler au dit Saint Legaire, pour certaine besoigne que Olivier de Saint Symon7 avoit à faire à Andrieu Giffart8, le quel le dit Moreau cuidoit trouver à la dicte foire. Et en alant vers la dicte ville de Saint Legaire trouva ou chemin le bourc de Luserches9, [p. 99] tout desarmé, le quel il fist aler avec lui. Et en chevauchant, le dit Calot (sic) apperçut les diz de Verruyes et leurs compaignons armez, et dit au dit Moreau : « Sire, je vois là gens d’armes. » Et lors le dit Moreau s’arresta, et les diz de Verruyes et ses compaignons se mirent en un pré au dessoubz de la dicte chaucée. Le quel feu Jehan et Jehan de Verruyes, de Trevins, qui estoit embacinez, et Pierre Claveau prindrent leurs lances et vindrent tout droit au long du pré contre le dit Moreau, jusques à un fossé par lequel l’en povoit aler du dit pré à la dicte chaucée, près du dit lieu où estoit arrestez le dit Moreau, et le dit Tristran, sa lance en sa main, se mist à cheval sur la dicte chaucée et s’adreça tout droit contre ledit Moreau, le quel et les dessus nommez de sa compaignie se trairent vers le dit fossé ; et dist le dit Moreau au dit feu Jehan : « Veulx tu riens ? — Ouïl, respondi le dit feu Jehan, je diz que tu es faulz et mauvaiz chevalier. Ores ay je espée comme tu. Ores est il temps de compter. Passe deça. » Et le dit Moreau respondi : « Mais tu deça ! » Le quel feu Jehan cuida faire passer son cheval ou dit fossé, mais le dit cheval ne voult, et le dit Moreau fist entrer ou dit fossé son cheval, qui y entra jusques à la poitrine. Et lors du dit feu Jehan, ou de Jehan de Trevins, ou du dit Claveau fu le dit Moreau feruz et navrez, et le dit Moreau feri de sa lance le cheval du dit feu Jehan, et lors cheirent les lances, et si fort des esperons feri le dit Moreau son cheval que il issi du dit fossé et vint ou dit pré. Et sacherent leurs espées l’un contre l’autre, et les diz feu Jehan et Moreau envayrent, blecerent et navrerent les uns l’autre ; et aussi le dit Himbert (sic) envay le dit feu Jehan, qui fu si navrez que mort s’en est ensuye en sa personne. Et le dit [p. 100] Tristran assailli le dit Calet et le feri de sa lance, et le dit Calet fery le dit Tristran de s’espée et le navra, sanz mort et sanz mehaing. Au quel debat seurvindrent Jehan Aymer10, Jehan Ymbaut et Jehan Bon à pié, et avoient chascun d’eulx une espée sanz autre armeure, et ne ferirent oncques les diz de Verruyes ne leurs compaignons, mais seulement tira le dit Aymer son espée, après ce que le dit feu Jehan l’ot feru et navré, et n’en fery aucune personne le dit Aymer. Pour les quelx faiz, le dit Moreau et ses diz complices se sont absentez de leurs lieux, doubtans rigueur de justice. Et pour ce, nous ont supplié ses diz amis que, attendu que le dit feu Jehan a esté occasion des diz debaz, comme dit est, et que le dit Moreau en la compaignie de noz amez et feaulx nostre connestable et Loys de Sancerre11, mareschal de France, et ailleurs, nous a bien et loyalment servi en noz guerres, et servira encores, se Dieux plaist, et aussi ses predecesseurs ont servi longuement et loyalment nous et les nostres, et que honte et reproche lui eust esté de soy enfouir devant le dit feu Jehan, et que en tous ses autres faiz il a tousjours esté homme de bonne vie, renommée et conversacion honneste, et que oncques ne fu repris, attains ne convaincus d’autre villain cas, nous vuillons à lui et à ses diz complices estre piteables et misericors. [p. 101] Pourquoy nous, attendues les choses dessus dictes, au dit Moreau et à ses diz complices, et à chascun d’eulx, ou cas dessus dit, avons quicté, remis et pardonné, remettons, quictons et pardonnons de grace especial, par ces presentes, les faiz dessus diz et toute peine, offense et amende corporele, criminele et civile, qu’il pevent avoir encouru envers nous et justice, et les restituons au païs, à leur bonne renommée et à leurs biens quel conques, sattisfait premierement et avant tout euvre à partie civilement. Mandons au seneschal de Xantonge12 et à tous noz autres justiciers [p. 102] et officiers, ou à leurs lieux tenans presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit Moreau et ses diz complices, et chascun d’eulx, facent, seuffrent et laissent joir et user à plain de nostre presente grace et remission, et au contraire ne les molestent ou empeschent en corps ne en biens, en aucune maniere ; et se aucuns des biens d’eulx, ou d’aucuns d’eulx, sont pour ce priz, saisiz, levez ou arrestez, il leur mettent ou facent mettre à plaine delivrance. Et que ce soit ferme chose et estable [p. 103] à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, ou moys de novembre l’an de grace mil ccc. soixante dix huit, et le xve de nostre regne.
Par le roy à la relacion du conseil. Mauloue.