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DCCXXVI

Rémission accordée à Pierre de La Forêt, écuyer, pour un viol commis à Paris, de complicité avec Jean de Vieuxbourg dit Herpin et Moreau de Monlon, valets tranchants du duc de Berry.

  • B AN JJ. 133, n° 191, fol. 109 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 371-374
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté humblement supplié de la partie de Pierre de La Forest escuier, que nagaires lui, Jehan Herpin et Moreau de Montlon, escuiers1, pour ce qu’il leur avoit esté dit que en l’ostel [p. 372] Jehan de Combertrain, demourant en nostre ville de Paris, en la rue de la Harpe, avoit une josne fille nommée Gillete la Carrée, la quele faisoit de son corps aucune foiz pour les compaignons, alerent en l’ostel du dit Jehan de Combertrain2, et là par chaleur de josnesse et temptacion de l’ennemi, prindrent et leverent la dicte Gillette de fait, la quele se prinst à crier et à soy deffendre, mes ce non obstant la menerent par la rue de la Harpe et de la Parcheminerie ; et quant aucunes gens y venoient ou acouroient, le dit suppliant tenant un baston en sa main, les faisoit tirer et aler arriere, en disant que ce n’estoit que une putain, et la menerent en la rue Saint Jaques, en l’ostel de la Cloche Rouge, et là en l’estable des chevaulx, le dit Jehan Harpin premierement congneut charnelement la dicte Gilette, oultre le bon gré d’elle, et après ce la congneut aussi yllec mesmes le dit suppliant. Et ycelle, quant ce vint, sur heure de la nuit, ilz menerent en l’ostel de la [p. 373] Cloche Noire, ou quel hostel le dit Moreau coucha avecques elle et la cognut aussi charnelement, maugré elle. Et le landemain, un po devant le jour, le dit suppliant et Jehan Harpin, très dolens, courrouciez et eulx repentans de ce qu’ilz avoient fait, vindrent du dit hostel de la Cloche Noire et la firent remener amiablement par leurs varlès au lieu où ilz l’avoient prise. Pour occasion du quel fait, le dit suppliant a esté appellé à noz drois et depuis banni de nostre royaume, et pour ce est en aventure qu’il conviegne absenter et estre fuitiz à tousjours d’icellui, se sur ce ne lui est nostre grace impartie, combien que lui et pluseurs autres gentilz hommes, chevaliers et escuiers, ses parens et amis charnelz bien prouchains, nous ayent bien et loyaulment servi en noz guerres et soient tousjours prests de faire, toutes foiz qu’il nous plaira, et que icellui suppliant en tous autres cas ait esté et soit de bonne vie et renommée, sanz avoir esté repris d’aucun autre villain fait que de cestui seulement, si comme il dit ; [suppliant que] il nous plaise avoir merci de lui, sur ce lui estendre nostre benigne grace et moderer en ce cas rigueur de justice par pitié et misericorde. Pour ce est il que nous, ayans pitié et compassion de lui, consideré les diz services que il et ceulx duquel lignage il est nous ont faiz, et esperons qu’ilz facent ou temps avenir, à ycellui Pierre de La Forest, de nostre auctorité royal, plaine puissance et grace especial, avons quictié, remis et pardonné, quictons, remettons et pardonnons, par ces presentes, le fait et ban dessus dit, s’il est ainsi comme dit est, avecques toute peine, amende et offense corporele, criminele et civile, en quoy il est ou peut estre pour ce encouruz envers nous et justice, et le restituons à sa bonne fame et renommée, à nostre dit royaume, au païs et à ses biens non confisquez, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur, satisfaction toutesvoiez faicte à partie adverse, premierement et avant toute euvre. Si donnons en mandement au prevost de Paris et à touz [p. 374] noz autres justiciers, presens et a venir, ou à leurs lieuxtenans et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit Pierre, ou cas dessus dit, laissent, facent et sueffrent joir et user plainement, paisiblement et à tousjours de nostre presente grace, quictance, remission et pardon, senz le travaillier, molester ou empeschier, ne faire ou souffrir estre, ores ou ès temps avenir, travaillié, molesté ou empeschié en corps ou en biens, ne autrement, comment que soit, au contraire ; maiz ses biens, s’aucuns estoient pour ce prins, saisiz ou arrestez, lui mettent ou facent mettre à plaine delivrance. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Reims, l’an de grace mil ccc. iiiixx et huit, et de nostre regne le ixe, ou mois de novembre.

Par le roy, present monseigneur le duc de Bourgongne. J. Bertaut.


1 Les deux complices de Pierre de La Forêt obtinrent aussi, chacun individuellement, des lettres de rémission pour ce crime ; elles sont datées de Reims, octobre 1388. et transcrites sur le même registre (JJ. 133, n° 193, fol. 110, et n° 237, fol. 137). Leurs noms et qualités y sont donnés d’une façon plus explicite ; ce sont Jean de Vieuxbourg, dit Herpin, et Jehannin ou Moreau de Monlon, écuyers, valets tranchants du duc de Berry. Rien n’indique précisément, dans les lettres en faveur de Pierre de La Forêt, qu’il appartint à la famille poitevine ; cependant, la rencontre que nous avons faite précédemment (tome III, p. 24, note) d’un personnage portant ce nom et ce prénom, et les fonctions qu’il remplissait auprès du duc de Berry, comte de Poitou, donnent à penser qu’il s’agit bien d’un membre de cette famille. Pierre de La Forêt avait déjà obtenu des lettres de rémission en juin 1375 (voy. le vol. précédent, p. 373 et s.), pour un meurtre commis de complicité avec Guillaume de Chaunay, chevalier.

Jehannin ou Moreau de Monlon était vraisemblablement poitevin aussi. Du moins nous avons trouvé, dans un acte de 1355, un chevalier nommé Guillaume de Monlon, appelant au Parlement d’une sentence du sénéchal de Poitou contre Guillaume Maignen, à propos de la succession de Jean Prevost. (Arrêt du 18 juillet 1355, X1a 16, fol. 152 v°.) Peut-être même ces deux personnages étaient-ils de la famille des Montléon, seigneurs de Touffou, d’Abain, etc. ; leur nom, écrit tantôt Monlon, tantôt Montlon, présente bien de l’analogie avec Montléon ; de plus, différents membres de cette dernière famille ont porté, au xive siècle, les prénoms de Jean et de Guillaume.

Quant à Jean de Vieuxbourg, dit Herpin, c’était le fils de Pierre de Vieuxbourg, qui eut en don du duc de Berry la terre de Chitré et la céda à Guy Turpin de Crissé. (Voy. ci-dessus, acte du 11 décembre 1378, où se trouve une note touchant Pierre de Vieuxbourg, p. 105.)

2 D’après les lettres en faveur de Jean de Vieuxbourg, c’est le 19 juin 1388 que le viol fut perpétré.