[p. 378]

DCCXXIX

Rémission accordée à Guillaume Poisson, de Saint-Martin de Bernegoue, pour le meurtre d’Étienne Giboin, homme sans aveu, ancien routier, qui était venu s’établir audit village, dont il pillait, rançonnait et battait les habitants. Poussé à bout par ses vexations, ledit Poisson s’était adjoint trois de ses voisins et l’avait assommé à coups de bâton, ainsi que sa femme.

  • B AN JJ. 135, n° 306, fol. 165 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 378-383
D'après a.

[p. 379] Charles, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, à nous avoir esté humblement exposé de la partie de Guillaume Poisson, povre homme et simple laboureur, demourant ou plat païs en la parroisse de Saint Martin, en la chastellenie de Praec, en la conté de Poictou, que comme un appellé Estienne Giboign feust venuz nagaires demourer en la dicte parroisse, et illecques se maria avecques une femme de très mauvaise vie1, blasmée et publiquement diffamée de son corps et de larrecins, les quelz mariez n’avoient aucun mestier ne usoient d’aucune marchandise, ne avoient aucun heritage dont peussent ou deussent vivre, maiz estoient les diz mariez rioteux, qui prenoient riotes et debas avecques leurs voisins, qui sont povres et simples gens, laboureurs, demourans en plat païs ouvert et en frontiere, ou souventes foiz passent gens d’armes, tant d’amis comme d’anemis, qui font et donnent de grans dommages à telles simples gens demourans en plat païs, et pour ce que le dit Estienne estoit publiquement diffamé d’avoir suy longtemps les routes de la forte compaignie, ses diz voisins le doubterent moult fort, et tant que le dit Estienne batoit de jour en jour ses diz povres voisins et les injuroit, et aloit parmy la dicte parroisse de Saint Martin, portant un gleve de jour et de nuit, espiant les dictes povres gens, et quant les trouvoit soubz et hors de la veue des gens, leur prenoit le leur et leur desroboit l’argent de leur bourse, et pluseurs autres roberies et pilleries commettoit, et aussi sa femme les encusoit et indusoit le dit Estienne encores à plus faire maulx ; et tant estoient les diz mariez en la dicte parroisse doubtez et cremiz que les dictes povres gens n’en osoient faire plainte à justice, ne les gens et officiers de la justice du dit lieu ne lui osoient faire ou dire son desplaisir, maiz qui plus [p. 380] est le dit Estienne menaçoit le juge temporel du dit lieu2, et lui dist pluseurs injures et villenies. Le quel Estienne par son grant oultraige print riote et debat pluseurs foiz avec le dit exposant, et pluseurs traictiez et accors en furent faiz tant par Nicolas Giboign, frere du dit Estienne, comme par autres ; et aucunes foiz, pour racheter pais, le dit exposant donnoit ou quictoit au dit Estienne de son argent, en quoy il lui estoit tenuz de ses denrées ou autrement, autrefoiz du blé, autrefoiz lui aidoit de la peine de son corps et de ses bestes, senz en avoir aucune sattisfaction. Et ce non obstant, le dit Estienne vint un jour bien tard, sur la nuytier, à l’ostel du frere du dit exposant et l’appella, icellui exposant cuydant estre en bonne paix avecques le dit Estienne, le coustel tout nu en sa main, encontinent couru suz ou dit exposant qui hastivement s’en fouy en l’ostel d’un sien voisin, où le suyt le dit Estienne, et se il [l’]eust trouvé, il [l’]eust murtry ou navré très durement. Et qui plus est, le dit Estienne, le lundi après la saint George l’an m. ccc. iiiixx et sept, en presence de pluseurs bonnes gens, ou dit lieu de Praec, et aussi en la dicte parroisse de Saint Martin, dist et se vanta en renoiant Dieu et faisant autres grans seremens qu’il mettroit mort le dit exposant, et puis s’en iroit à Bouteville3, que detiennent [p. 381] les ennemis, et se feroit Angloiz. Les queles choses furent faictes assavoir, le dit lundi, au dit exposant, en venant du dit lieu de Praec au dit lieu de Saint Martin, par aucuns de ses amis ; et qui plus est, la femme du dit Estienne, le dit lundi sur le tart, ot paroles contencieuses avec le dit exposant, en le menassant très durement. Et pour ce le dit exposant, veant qu’il estoit en grant regart tous les jours du dit Estienne, très doulant et courrouciez, doubtant tout seul aler parler au dit Estienne, en la compaignie de iii. compaignons4, ala le dit lundi, sur la nuitier, à l’ostel du dit Estienne ; et encontinent que le vit icellui Estienne, couru suz aux diz exposant et compaignons et ilz au dit Estienne, et se entrebatirent entre eulx de cops de bastons et d’un coup de coustel que le dit Estienne ot sur les jambes seulement, et pluseurs cops de baston sur les jambes et sur son corps ; en la quelle baterie la femme du dit Estienne, [p. 382] qui de ce se entremesloit, fu de cas de meschief ferue sur la teste d’un baston par l’un de la compaignie des diz iiii. compaignons, maiz l’en ne scet par lequel, et le merquedi ensuivant, les diz Estienne et sa femme furent à cause de ce et de leur mauvaix gouvernement, ou autrement, trouvez mors en leur hostel. Pour occasion du quel fait, le dit exposant, doubtant rigueur de justice, s’est absentez du païs et a delaissiez ses pere et mere, vielz et anciens, qui de douleur et très grant misere sont depuis alez de vie à trespassement, et sa femme qui est grosse et ii. petiz enfans, dont le greigneur n’a point iii. ans, qui iront à très grant misere mendiant, se par nous sur ce n’est pourveu de nostre misericorde et grace, si comme il dit. Suppliant humblement, consideré ce que dit est et la mauvaise vie et renommée des diz mariez, et que Nicolas Giboign, frere du dit Estienne, sa mere et les plus prouchains parens du dit Estienne et de sa dicte femme ont plainement au dit Guillaume remiz, quictié et pardonné le dit fait, avecques toute action et cause que pour cause et occasion du dit fait leur en pourroit competer, et que tousjours le dit suppliant a esté de bonne vie et honneste conversacion, senz avoir esté reprins d’aucun autre villain cas ou crime, il nous plaise à lui impartir nostre dicte grace. Nous, attendu ce que dit est, voulans en ceste partie grace estre preferée à rigueur de justice vers le dit suppliant, à icellui ou cas dessus dit avons, de nostre grace especial et auctorité royal, quictié, remis et pardonné, quictons, remettons et pardonnons le dit fait, avecques toute peine, amende et offense corporele, criminele et civile, qu’il pour ce peut avoir encouru vers nous, et le restituons à sa bonne fame, renommée, au païs et à ses biens non confisquiez, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur, sattisfaction faicte à partie premierement et avant toute euvre, civilement tant seulement. Si donnons en mandement à tous noz justiciers, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans, et à chascun [p. 383] d’eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace et remission facent, sueffrent et laissent joir et user paisiblement le dit suppliant, senz le molester, contraindre ne empescher, ne souffrir estre molesté, contraint ou empeschié aucunement au contraire ; maiz son corps et ses diz biens, qui pour ce seroient prinz, saisiz, arrestez ou empeschiez, lui mettent ou facent mettre, tantost et senz delay, à plaine delivrance. Et que ce soit, etc. Sauf, etc. Donné à Paris, l’an de grace mil ccc. iiiixx et ix, et le ixe de nostre regne, ou moys de juing.

Es requestes par vous tenues, du commandement du roy, presens les evesques de Langres, de Noyon5 et pluseurs autres du conseil. Savigny. — Auneel.


1 « Appelée Margot », texte de la rémission accordée à un complice dudit Poisson. (Ci-dessous note 1 de la p. 381.)

2 Add. « de Bernaguoe ». (Idem.)

3 Cette place était tombée entre les mains des Français, l’an 1379, à la suite de la défaite infligée à Hélyot de Plassac, son capitaine. (Voy. notre tome IV, p. 203.) Quand retomba-t-elle au pouvoir des ennemis ? Froissart n’en parle pas. L’on a vu ci-dessus la tentative malheureuse faite, en octobre 1385, pendant une expédition dirigée par le duc de Bourbon en Saintonge et en Angoumois, pour enlever Bouteville aux Anglais (p. 254, note 2). L’année suivante, le maréchal Louis de Sancerre, nommé lieutenant du roi en Guyenne, et ayant pour mission de reprendre les diverses forteresses encore au pouvoir de l’ennemi dans ces pays, n’eut rien de plus à cœur que d’assiéger la forte place de Bouteville, sur la lisière méridionale de la Saintonge. Gaucher de Plassac, qui guerroyait au midi de la Garonne, reçut l’ordre de se joindre promptement au maréchal. Ayant réuni soixante lances et cent arquebusiers génois, il vint renforcer le camp de Bouteville, où il avait été devancé par les sénéchaux de Poitou (Renaud de Vivonne) et de la Rochelle. La place, occupée par une garnison anglaise sous le commandement d’un Gascon, appelé Guillaume de Sainte-Foy, avait été investie par un corps de Poitevins et de Saintongeais, conduit par le maréchal de Sancerre en personne. Mais on apprit bientôt que Jean de Harpedenne (le père), sénéchal anglais de Bordeaux, rassemblait des gens d’armes à Libourne pour aller au secours des assiégés. (Froissart, édit. Kervyn de Lettenhove, t. XI, p. 225.) Le siège durait encore ou plutôt avait été repris deux ans après, lors de la descente du comte d’Arondell sur les côtes de l’Aunis, quand les Rochellais menacés prièrent Louis de Sancerre de venir à leur secours. Puis, le 18 août 1388, de nouvelles trêves furent publiées. (Id. t. XIII, p. 274, 276.) Donc Bouteville était encore aux mains des Anglais à cette date. On voit d’ailleurs ici qu’ils occupaient cette ville à la Saint-Georges, c’est-à-dire le 23 avril 1387, et les terme des lettres de rémission ne laissent guère douter que la situation ne fut toujours la même, quand elles furent expédiées, c’est-à-dire au mois de juin 1389. A Guillaume de Sainte-Foy succéda, quelques années plus tard, comme capitaine anglais de Bouteville, Jean de Grailly, fils bâtard du fameux captal de Buch. Froissart, qui le connaissait particulièrement, puisqu’il rapporte une conversation qu’ils eurent ensemble, lui donne ce titre en 1395. (Id., t. XV, p. 134, 148, 156.)

4 Parmi ces compagnons se trouvait « Perrot Jouyn, le jeune, demourant nagaires à Bernaguoe en la chastellenie de Praec en Poitou », neveu de Guillaume Poisson, qui obtint aussi des lettres de rémission individuelles, à la même date de juin 1389 (JJ. 136, n° 56, fol. 30 v°). Nous ne publierons pas ce second texte qui ne présenté que des variantes insignifiantes avec celui-ci.

5 Bernard de la Tour-d’Auvergne, évêque duc de Langres (1374-16 janvier 1395), et Philippe de Moulin, évêque-comte de Noyon (26 décembre 1388-31 juillet 1409).