[p. 176]

DCXLIX

Rémission accordée à Moricet Briet, pauvre laboureur de Gentray, pour le meurtre d’un nommé Perrot Bordereau qui, au mois d’octobre précédent, à la faveur des gens d’armes, nombreux alors dans le pays d’environ, était venu de nuit voler le vin et le blé du dit Briet.

  • B AN JJ. 119, n° 428, fol. 249
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 176-178
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que comme de la partie de Morisset Briet, povre laboreur de terres, demourant en la chastellenie de Saint Maixant, nous ait esté exposé que, ou mois d’octobre dernier passé ou environ, que pluseurs grans quantitez de genz d’armes furent ou pays de Poitou en une petite ville champestre appellée Saint Eraye et logiez tout alentour, et povoient bien estre trois mille chevaux ou environ, si comme l’on disoit, qui vivoient sur le pays et prenoient toutes manieres de vivres et autres choses qui bonnes leur sembloient, et soubz umbre et coleur d’eulz, pluseurs malfaicteurs faisoient et perpetroient pluseurs excès et malefices par nuit et par jour, il avint, le viie jour du dit mois ou environ, que aucunes des dictes genz d’armes estanz ou dit pays, vindrent en un village appellé Gentray, et aussi soubz umbre d’eulz y vint par nuit, à l’eure de prinsomme, Perrot Borderea, homme mal renommé et passa à la dicte heure devant la maison du dit exposant qui lors estoit en son lit, et fu apperceu par la femme du dit exposant qui estoit et encores est ensainte d’enfant, laquele veilloit en la dicte maison, que le dit Borderea aloit en une petite maison qui est du dit exposant et de sa dicte femme, en laquele il avoient un pou de vin et deblé, qui estoit aussi comme tout leur vaillant, que il avoient là mis pour estre à sauveté et pour en avoir la substantation d’eulz et de leurs povres petits enfanz. Et tantost que la dicte femme l’ot veu, elle dist au dit son mary ces paroles : « Sire, levez vous, que je voy un homme qui [p. 177] entre en nostre hostel, et croy bien qu’il y va pour nous desrober, et ne sçay se il est des genz d’armes qui sont sur le pays, ou qui est, mais je vois veoir qui il est ». Et d’illec la dicte femme se departi pour aler là, et trouva le dit Borderea qui avoit rompu l’uys de la dicte maison et traioit du vin des diz mariez, et en avoit jà aimpli deux grans vaisseaux. Et lors la dicte femme s’escria en disant : « A l’aide ! l’en nous robe », et le dit Borderea la frappa tant avant qu’il la tumba par terre. Si cria la dicte femme : « Au murtre ! » Pour le quel cry le dit exposant se leva du lit tout effraié, et prist un baston en sa main, et vint à sa dicte femme, la quele il trouva par terre ; et ainsi comme il arriva au dit lieu, le dit Borderea qui avoit une espée nue en sa main, apposa la dicte espée à la poitrine du dit exposant, le quel fu de ce tout espovantez et doubta que le dit Borderea le meist à mort. Et pour resister, fery le dit Borderea parmi la teste du dit baston et l’abati par terre, et s’en est mort ensuye en la personne du dit Borderea. Et quant le dit exposant vit le dit Borderea mort, cuidans qu’il fust des genz des routes dessus declairées, il ot paour que, se les dictes genz le savoient ainsi mort, qu’il n’en preissent sur le pays grant vengence, mesmement que quant aucuns de leurs genz estoient batuz au pays, les dictes genz d’armes en batoient pour un vint, et porta ycellui exposant le dit Borderea mort en une riviere appellée la Sevre, la quele passe auprès du dit village. Pour les quelz cas le dit exposant est detenu prisonnier en la prison du prieur de Sovigné1, membre de [p. 178] l’abbaye de Saint Maixant, du quel prieur les diz mariez sont subgiez levans et couchans. Si nous a fait humblement supplier le dit exposant que, comme il ne pourroit procurer ses justifications et defenses, qu’il a justes et bonnes en ceste partie, pour ce que les dictes choses se firent de nuit, comme dit est, nous veuillions avoir de lui pitié et lui elargir nostre grace. Nous adecertes, ces choses considerées, avons de grace especial et de nostre auctorité royal, au dit Morisset les cas criminelz dessus declairez, avec toute peine et amende corporele, criminele et civile, qu’il a pour ce encorue, quictié, pardonné et remis, quictons, pardonnons et remettons par ces presentes, ou cas que par bonne renommée et par le serement des diz mariez, que l’en dit estre de bonne fame, le fait sera trouvé estre avenu par la maniere dessus devisée et que le contraire ne sera prouvé ; et le dit suppliant avons restitué et restituons à sa bonne fame et renommée, au pays et à ses biens, en lui mettant son corps et ses diz biens pour ce empeschiez à plaine delivrance, reservé le droit de partie à poursuir civilement tant seulement. Si donnons en mandement à touz noz justiciers et officiers de nostre royaume et à chascun d’eulz, si comme à luy appartendra, ou à leurs lieuxtenans, que pour cause ou occasion des cas et crimes dessus diz, il ne empeschent ne molestent en aucune maniere le dit suppliant, mais son corps et ses biens mettent et facent mettre au delivre du tout, en le faisant joir et user de nostre presente grace, sanz ce que ce face aucun prejudice à la justice et juridicion des diz religieus ou temps avenir. Et que ce soit chose ferme et estable à touz jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruien toutes. Donné à Paris, ou mois de decembre l’an de grace mil ccc. iiiixx et un, et de nostre regne le second.

Par le conseil. S. de Caritate. — F. de Metis.


1 La paroisse et le prieuré de Souvigné sont fréquemment mentionnés dans le Recueil de chartes et documents pour servir à l’hist. de l’abbaye de Saint-Maixent, publié par M.A. Richard (t. XVI et XVIII des Arch. hist. du Poitou). Le prieuré de Souvigné fut réuni à la mense abbatiale de Saint-Maixent par une bulle du 15 des calendes d’août 1418, mais l’union ne fut rendue définitive qu’après la mort du prieur Hugues Tousselin, arrivée le 2 janvier 1420 n.s., lequel était à la tête du prieuré dès l’année 1380. (Bibl. nat., ms. latin 13818, fol. 293.)