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DCCXV

Rémission accordée à Jeanne Desmier, veuve de Pierre de Chardes, chambrière de Jean Birocheau, chanoine de Menigoute, détenue [p. 346] dans les prisons de l’abbé de Saint-Maixent pour un vol chez son maître.

  • B AN JJ. 132, n° 19, fol. 9 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 345-348
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie des amis charnelz de Jehanne Desmere, vefve de feu Pierre de Chardes, prisonniere ès prisons de l’abbé de Saint Maixent en Poitou, nous avoir esté exposé que, comme jà pieça la dicte Jehanne servist comme chamberiere Jehan Birochea, chanoine de Menigoste, demourant lors au lieu de Menigoste, et il soit ainsi que, lui estant ou dit service et le dit chanoine estant absent de son hostel, elle print la clef d’un forcier ou coffre du dit chanoine qui estoit sur une cimaise de la cheminée d’icellui chanoine, de laquelle clef par temptacion de l’ennemi, elle ouvri le dit forcier ou coffre et print dedens une bourse qui y estoit, où il avoit grant quantité de florins, sept frans et demi ou environ, et avec ce print et emporta hors d’icellui hostel avec les diz sept frans et demi, deux linceux ou draps, une couverture et un cortieu qui estoient de petite valeur ; pour lequel fait la dicte Jehanne a esté poursuye et prise dedens Saint Maixent, et mise et detenue prisonniere ès dictes prisons du dit abbé de Saint Maixent, en quel justice et seignorie elle a esté prise, et par le seneschal ou juge d’icellui abbé, par devant lequel elle a recognu avoir fait le dit furt, elle a esté condempnée à soustenir pour ce peine corporele, de laquelle condempnacion Regnaut de Vivonne, chevalier, seigneur de Thors, a appellé, ou son procureur pour lui, pour et ou nom de la dicte Jehanne, en nostre court de Parlement1. Pour [p. 347] le quel appel la punicion d’icelle Jehanne s’est sursiz, et est demourée ès dictes prisons où elle a esté et est, par l’espace d’un an et demi, à grant povreté et misere. Neantmoins, si comme on dit, le dit abbé et le dit chevalier sont sur esperance d’accort pour ycellui appel, par quoy les amis d’icelle Jehanne, doubtans que la dicte condempnacion ne sortisse son effect, et pour ce, nous ont très humblement supplié que, attendu que la dicte Jehanne a souffert, durant le temps dessuz dit, grant peine, durté et misere de prison, et fait encores de jour en jour, et que [p. 348] en touz ses autres faiz, elle a esté de bonne fame, vie et renommée, sanz estre actainte ne reprochée d’aucun autre vilain blasme, nous sur ce à ycelle Jehanne vueillons extendre nostre grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, à la dicte Jehanne voulans en ceste partie, ou cas dessuz dit, temperer rigueur de justice en pitié et misericorde, satisfaction faicte à partie avant toute euvre, avons quictié, remis et pardonné, et par la teneur de ces presentes, de nostre grace especial, quictons, remettons et pardonnons le dit fait avec toute peine, offense et amende corporele, criminele et civile, en quoy pour le fait et occasion dessuz diz elle puet estre encourue envers nous et justice, et la restituons à plain à sa bonne fame, renommée, au païs et à ses biens non confisquez ; et quant à ce à nostre procureur nous imposons silence perpetuel, par la teneur de ces mesmes presentes. Par lesquelles nous donnons en mandement au seneschal de Xanctonge, gouverneur de la Rochelle, et à touz noz autres justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d’eulz, si comme à lui appartendra, que de nostre dicte grace et remission la dicte Jehanne facent, sueffrent et laissent joir et user paisiblement, sanz lui donner destourbier ou empeschement aucun au contraire ; et son corps pour ce detenu prisonnier, avec ses biens, s’aucuns en a arrestez, priz ou empeschiez et non confisquez, lui mettent ou facent mettre sanz delay à plaine delivrance. Et pour ce que ce soit ferme et estable chose à tousjours, nous avons fait mettre à ces presentes lettres nostre seel. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, ou mois de janvier l’an de grace mil ccc. iiiixx et sept, et de nostre regne le viiime.

Par le roy, à la relacion du conseil. Guichart.


1 Jeanne Desmier avait été prise par les officiers de l’abbaye de Saint-Maixent et amenée en jugement par devant Berthomé Poussart, juge et sénéchal des religieux, où elle avoua sa culpabilité. Ledit sénéchal fut alors sommé de remettre sa prisonnière entre les mains des officiers de Renaud de Vivonne. Voici pourquoi. Le sire de Thors prétendait qu’à cause de son château d’Aubigny, il était vigier de la ville de Saint-Maixent et qu’en raison de ladite vigerie il avait droit de juridiction en ladite ville, « mesmement que toutes et quantes fois aucun est pris ou emprisonné par les gens et officiers des diz religieuz pour cause de larrecin ou de meurtre, ou autre crime, et qu’il a confessé ou est convaincu avoir commis le dit larrecin ou meurtre, ou autre crime, pour lequel il doit prandre mort ou avoir copé aucun de ses membres, icellui crimineulx doit tantost estre bailhé par les officiers des diz religieuz en certain lieu, appellé le Cul du leon, en ladite ville de Saint Maixent, au dit sire de Thors ou à ses gens, avecques les chouses emblées et ses biens qu’il avoit avec soy, quant il fut pris, pour le juger et en faire tout ce qu’il appartiendra… » Renaud de Vivonne disait que sur ce droit et plusieurs autres que lui conférait ladite vigerie un débat avait été soulevé entre un de ses prédécesseurs, seigneur d’Aubigny, et l’abbaye de Saint-Maixent, et qu’à la suite un règlement avait été passé d’un commun accord par les parties, règlement contenant la reconnaissance formelle de ce droit, dont ses ancêtres et lui avaient toujours joui depuis.

Néanmoins Berthomé Poussart refusa de livrer Jeanne Desmier au procureur du sire de Thors, et l’affaire fut portée en appel au Parlement. La cause fut plaidée et les parties appointées en faits contraires. Alors, considérant que Renaud de Vivonne était « vassal de la dite abbaye de pluseurs grans terres et ne voudroit point avoir matiere de plait avec les diz abbé et religieuz, ni les diz religieuz contre lui », on résolut de part et d’autre de traiter à l’amiable. Par cette transaction le droit du sire de Thors fut de nouveau reconnu, tel qu’il est exprimé ci-dessus. Les crimes entraînant la peine de mort ou la perte d’un membre seront jugés par ses officiers, auxquels appartiendra aussi l’exécution. Seulement, quand il y aura doute sur l’issue du procès et sur la peine à encourir, le sénéchal de l’abbaye sera juge du cas. A cet effet, il est décidé pour l’avenir qu’à leur entrée en fonctions, les sénéchaux de l’abbaye de Saint-Maixent prêteront serment de juger les cas douteux loyalement et sans favoriser ni l’abbaye ni le seigneur d’Aubigny. Pour les autres articles non modifiés par le nouveau traité, on promit d’un côté comme de l’autre de garder et d’exécuter l’ancienne ordonnance, convenue entre l’abbaye et Sebran Chabot, seigneur d’Aubigny, prédécesseur de Renaud de Vivonne. Cet accord porte la date du 20 août 1387, et fut homologué au Parlement le 11 janvier 1388 n.s. (Arch. nat., X1c 56.)