DCXC
Rémission accordée à Guillaume Brotel le jeune, tavernier d’Ardin, pour le meurtre de sa femme.
- B AN JJ. 127, n° 1, fol. 1
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 269-275
Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, de la partie de Guillaume Brotel le jeune, demourant en la ville d’Ardin en la seneschaucie de Poitou, jadiz mary d’une femme appellée Guillemete, à nous avoir esté donné à entendre que, le dimanche jour de la Trinité derrenierement passé, après disner, les diz mariez qui estoient taverniers, alerent boire et essaier en l’esglise d’Ardin, qui est forte, des vins de Mabile Rataude, damoisele du seigneur de Tors, seneschal de Poitou1, et après ce [p. 270] qu’il les eurent preciez, beu et essayé d’icelx, cheurent en [p. 271] propos et voulenté d’en acheter une partie de Huguet [p. 272] Rataut, escuier du dit seigneur de Tors et frere d’icelle Mabile2, qui les leur avoit monstrez pour vendre, pour [p. 273] et ou nom de sa dicte suer, et en esperance de faire le dit marchié, le dit Guillaume dit à sa dicte femme qu’elle apparillast un oison qu’ilz avoient, ou autre viande telle qu’elle pourroit avoir à souper pour eulz et le dit Huguet, escuier, lequel il amenroit avec eulx, si povoit ; laquelle femme incontinant fu refusant de ce faire et dit plainement à son dit mary qu’elle n’en feroit riens, et par grant despit se parti et s’en ala de leur hostel en une estable, qu’ilz avoient ailleurs en la ville, querre deux jumens, l’une grande et l’autre petite, pour les mener paistre aux champs, et le dit Guillaume la suy et lui dist qu’il ne vouloit mie qu’elle alast aux champs, maiz à l’ostel apparillier à souper, comme dit est, quar c’estoit plux leur honneur et proufit que de mener paistre les dictes jumens ; laquelle femme par grant despit et desobbeissance lui dit qu’elle n’en feroit riens, et pour ce que le dit Guillaume vit et oy sa rebellion, il s’efforça de lui oster des mains les dictes bestes qu’elle tenoit ; laquelle femme incontinant fery son dit mary injurieusement et de felon courage de la corde dont l’une des dictes bestes estoit liée, et pour ce le dit Guillaume la fery de la main, et lui dit et commenda qu’elle s’en retournast à l’ostel, et lui osta lesdictes bestes et les laissa aler aux champs. Et elle moult yrée, pour injurier son dit mary, le prist par la chevesse, pour ce qu’il estoit desboutonné devant ; et ainsi comme il [p. 274] se entretenoient en ce point, il survint sur eulz un appellé Jehan Mercier qui s’entremist de les appaisier. Auquel le dit Guillaume demanda qu’il queroit et que à lui n’appartenoit de riens, se ilz s’entre batoient, par quoy le dit Jehan Mercier s’en ala et le dit à pluseurs. Et pour ce que le dit Guillaume se vit ainsi injurié et batu de sa femme, et que encor pluseurs le savoient, dont il avoit grant dueil, despit et honte au cuer, il fery sa dicte femme d’un petit coustel qu’il tray ou flanc du cousté senestre, et lui fist une petite plaie. Et sur ce vint Guillaume de Meceil, escuier, qui lui osta le dit coustel et les desmella. Neantmoins la dicte femme, qui touzjours fu obstinée en son yre et despit, s’en ala incontinant aux champs et ne voult aler en son hostel, pour chose que son dit mary lui deist, ne le dit escuier aussi. Et par ainsi ne se fist pas si tost appareiller jusques au soir bien tart, qu’elle fu veue et visitée par un barbier qui dist, ycelle veue et visitée, que le cop n’estoit pas mortel et qu’elle en seroit bien tost garie. Et après aucuns jours, une bosse vint à la dicte femme ou costé, d’autre part le dit cop, pour occasion desquelles choses elle morut assez tost après, c’est assavoir le mardi après la feste du Saint Sacrement derrenierement passé3. Et en sa maladie, elle a tousjours dit qu’elle n’avoit peril de mort que de sa bosse, consideré la grande et excessive mortalité de la bosse et autrement ; et aussi elle a esté bien ordonnée et confessée, et receu touz ses sacremens et fait son ordonnance telle qu’il lui a pleu. Pour occasion de la quelle mort, les biens du dit Guillaume ont esté mis en inventoire par le dit seigneur d’Ardin, qui se dit hault justicier en la dicte ville, ou par ses gens et officiers, et le dit Guillaume s’est absentez du lieu et se tient en sa garde, ne n’y ose retourner, pour doubte de trop grant rigueur de justice ou de trop long emprisonnement. Et pour ce, [p. 275] nous a fait très humblement supplier que, attendu les choses dessus dictes, et ce aussi que en touz autres cas il a tousjours esté homme de bonne vie et honneste conversacion, et sanz avoir esté reprins d’aucun villain reprouche, nous lui vueillons estre piteables et misericors, et sur ce estendre nostre benigne grace. Pour quoy nous, eu consideracion aux choses dessus dictes, voulans pitié et misericorde estre preferées à rigueur de justice, au dit Guillaume avons quictié, remis et pardonné, et par la teneur de ces presentes quictons, remettons et pardonnons, de grace especial, ou cas dessus dit, le dit fait et crime, avecques toute paine corporele, criminele et civile en quoy il peut estre pour ce que dit est encheuz ou encouruz envers nous et justice, avecques les bans et appeaulx, s’aucuns s’en sont pour ce ensuys ou ensuyoient, et le restituons du tout et à plain à sa bonne fame et renommée, au pays et à ses biens non confisquez, satisfacion faicte civilement avant toute euvre là où il appartendra de raison. Si donnons en mandement au gouverneur de la Roychelle et à touz noz justiciers et officiers, ou à leurs lieuxtenans presens et avenir, et à chascun d’eulz, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace et remission facent, seuffrent et laissent le dit suppliant joir et user paisiblement et à plain, sanz le troubler, molester ou empeschier, ou souffrir estre troublé, molesté ou empeschié en aucune maniere au contraire, ores ne ou temps [avenir], et lui mettent ou facent mettre au delivre ses biens, se il ne sont confisquez. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable à touzjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, l’an de grace mil ccc. iiiixx et cinq, et de nostre regne le cinquiesme, ou mois de juing.
Par le conseil. P. de Beaune. — Barreau.