[p. 16]

DCV

Denis Gillier, autrefois lieutenant de son père comme receveur de Poitou, puis trésorier de France, poursuivi et emprisonné, malgré des lettres de grâce antérieures, par les généraux réformateurs du royaume, pour abus et malversations commises dans l’exercice de ces fonctions, obtient du roi une composition pécuniaire. Moyennant deux mille francs d’or qu’il s’engage à payer, quittance générale lui est donnée de tout ce qu’il pouvait redevoir en ses comptes, et absolution lui est accordée de tous délits et crimes dont il aurait pu se rendre coupable. Le roi confirme en outre les lettres de rémission octroyées à son père et aux lieutenants de celui-ci, en janvier 1367.

  • B AN JJ. 110, n° 115, fol. 66 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 16-22
D'après a.

Charles, par la grace de Dieu roy de France et dalphin de Viennois. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que de la partie de nostre amé Denys Gilier1, demourant à [p. 17] Poitiers, filz de Philippe Gilier, nous a esté humblement exposé que, comme le dit Philippe, son pere, ait esté par long temps en pluseurs et divers offices de nous et de noz predecesseurs, c’est assavoir en la recepte de Poitou, Limosin et Belleville, maistre des garnisons de nostre très chier seigneur et pere, ou temps qu’il estoit duc de Normendie, tresorier de Mascon, maistre des pors et passages de nostre royaume, et en pluseurs autres estaz, entre les [p. 18] quelx il fu tresorier de nostre Dalphiné, et depuis tresorier de France, chastellain et garde de nostre chastel de Meleun, et aussi commis et deputez à faire les ouvraiges et edifices qui ont esté faiz de son temps en ycellui, et aussi à faire la bastide assise devant Marroles, et si s’entremist des euvres de nostre boys de Vincennes et aussi de certaines euvres qu’il fist faire en nostre hostel de Saint Pol ; durant le quel temps le dit Philippe, tant par lui comme par autres ses commis et deputez en son nom, fist pluseurs receptes et mises de grans sommes de deniers, et entre les autres de ses lieuxtenans et commis en ait esté le dit exposant ; et par especial ait esté lieu tenant du dit Philippe, son pere, en la recepte de Poitou, Limosin et Belleville, et aussi ou païs du Dalphiné, ou temps que le dit Philippe en estoit tresorier ; et pour avoir compte du dit Philippe sur ces choses, le eussent fait autresfoiz approchier et icellui emprisonner et souspendre des diz offices, à fin de compte et autrement ; le quel Philippe eust voulu ou dit compte passer et allouer à sa descharge, devant les genz de noz comptes à Paris, pluseurs granz sommes de deniers, les quelx lui furent debatuz et contrediz, tant en nostre presence comme ailleurs. Et combien que depuis, à sa requeste et priere, nous l’eussions receu sur ces choses à composicion parmi la somme de iiii. m. frans d’or et aussi parmi certaines autres choses, moyennant la quelle composicion le dit Philippe et touz ses lieux tenans et commis, qui avoient esté pour le temps estoient et demouroient quictes, absolz et delivrés à touzjours de toutes offenses, deffaulx, crismes et delicts, se aucuns en avoient commis ou perpetrez ès diz offices, ou en aucun d’iceulx ; les quelx crismes et deliz nous leur eussions quictié, remis et pardonné, avec toute peinne et amende corporele, criminele et civile, en quoy il pourroient estre encoruz pour occasion d’iceulx, et avec ce les eussions quictez et absolz à tousjours de toutes receptes, mises et despenz par eulx faiz et [p. 19] faictes pour le dit Philippe et en son nom ès offices dessus diz, ou en aucun d’iceulx, senz ce que nous ou noz officiers en puissent faire dores en avant aucune poursuite, action ou demande à l’encontre des diz Philippe, ses lieux tenans ou commis, ou aucuns d’eulx, si comme ce et pluseurs autres choses pevent plus à plain apparoir par noz lettres en laz de soie et cire vert, des quelles la teneur s’ensuit :

Charles, par la grace de Dieu roy de France, etc. Donné à Paris, ou moys de janvier l’an de grace mccclxvi, et le tiers de nostre regne2.

Neantmoins noz amez et feaulz conseillers les generaulz refformateurs de nostre royaume, derrainement seanz à Paris, firent arrester le dit exposant, lui estant à Paris, et icellui detenir prisonnier par aucun temps en nostre Chastellet de Paris, soubz umbre de ce que eulz et nostre procureur disoient et maintenoient contre lui que, ès diz temps que il avoit esté lieutenant et commis du dit Philippe, son pere, ès lieux dessus diz, il avoit receu pluseurs sommes de noz deniers et avoit fait et commis pluseurs crismes, deliz et malefices ès diz offices et autrement, en pluseurs manieres ; et aussi qu’il avoit esté tresorier de France, durant le quel temps il avoit pris et receu pour nous certaines sommes de deniers et yceulx appliquez à son prouffit, dont il n’avoit point rendu compte, et depuis eust esté eslargiz et mis hors de prison, senz ce que sur ces choses ait esté autrement procédé. Et nagueres le dit exposant se soit traiz devers nous et nous ait fait presenter noz dictes autres lettres cy dessus transcriptes, en nous requerant que contre la teneur d’icelles nous ne le voulsissions souffrir en aucune maniere molester ou contraindre ; et aussi nous ait fait requerir ycellui exposant, voulant estre et [p. 20] demourer tousjours en nostre grace et amour, que sur les choses dessus dictes, en tant comme il lui pourroit touchier, et toutes et chascune autres choses que l’en lui pourroit imposer avoir commis et perpetré ès offices dessus diz et en chascun d’iceulx, ou autrement, commant que ce soit, et aussi de tout ce en quoy il pourroit estre tenuz envers nous, à cause et pour raison des faiz et offices dessus diz, leurs circunstances et dependences, et autrement, commant que ce soit, dont on le peust ou pourroit poursuir ou approchier, nous le voulsissions recevoir à composicion amiable, et aussi ratiffier et approuver noz dictes lettres cy dessus transcriptes, en tant comme il lui touche ou pourroit touchier.

A la quelle composicion nous, qui tousjours nous voulons rendre gracieux et benignes envers noz officiers et serviteurs, afin de augmenter et acroistre leur coraige à nous servir de mieulx en mieulx, et pour contemplacion de nostre très chier et très amé frere le duc de Berry, conte de Poitiers, qui sur ce nous en a requis, avons receu benignement le dit exposant ; c’est assavoir parmi la somme de h.m. franz d’or, laquelle il sera tenuz et nous a promis paier à la feste saint Jehan Baptiste prochaine venant. Et parmi ce le dit exposant sera, demourra, est et demeure, seront et demourront ses hoirs ou ayanz cause perpetuelment et à tousjours, quictez, delivrés et absolz envers nous et noz successeurs, tant des receptes, mises et despenz dessus dictes et autres contenues ès dictes lettres, et du compte et reste qu’il nous seroit et pourroit estre tenuz de rendre, comme de touz les deliz, crimes, malefices et autres choses quelxconques, dont nous eussions peu faire poursuite, demande ou action contre lui, au jour de la date de ces presentes, des quelles choses et de chascune d’icelles nous le avons quictié et absolz, et de nostre certaine science, grace especial, plaine puissance et auctorité royal absolons, quictons et delivrons à plain et à tousjours mais [p. 21] perpetuelment, et aussi ses heritiers, successeurs ou ayanz cause, et nous en tenons pour bien contens, paiez et agreez par la teneur de ces presentes, senz ce que pour le temps avenir nous, noz genz ou officiers, noz successeurs ou leurs officiers, puissions ou doyons le dit exposant, ses hoirs ou ayanz cause, poursuir ou approuchier, ou autrement contraindre ou molester, commant que ce soit, pour occasion d’icelles, mais en demourront quictes, delivrés et absolz perpetuelment et à tousjours. Et avec ce avons ratiffié et approuvé, ratiffions et approuvons, par ces presentes, noz dictes lettres cy dessus transcriptes et tout l’effect et contenu en ycelles, en tant qu’il touche et pourroit touchier, à present ou pour le temps avenir, le dit exposant, ses hoirs ou ayanz cause, et le dit exposant de nouvel, en tant que mestier lui seroit, avons quictié, quictons et absolons, de nostre dicte grace, de toutes les choses dessus dictes et chascune d’icelles, et nous en tenons pour bien contens ; et avec ce lui avons quictié, remis et pardonné, quictons, remettons et pardonnons de nostre dicte grace, par ces presentes, toute peinne et amende corporele, criminele ou civile, en quoy il seroit ou pourroit estre encoru pour occasion d’icelles, non obstans quelxconques procès sur ce faiz, tant par devant noz diz reformateurs comme autres juges quelx conques, les quelx nous avons anullé, anullons et mettons du tout au neant par ces presentes, et en avons delivré le dit exposant et delivrons à plain. Et aussi avons levé et osté, levons et ostons tout empeschement et main mise qui seroient ou auroient esté mises en sa personne et biens quelxconques. Et non obstant aussi que les cas, receptes, mises et despenz, et mesmement ceulx dont (sic) pour les quelx noz diz reformateurs firent prenre le dit exposant, dont aucuns ne lui furent onques declarez, ne soient pas specifiez [et] declarez en ces presentes lettres, ordenances, mandemens ou defenses, usaiges ou stile, de quelque court ou jurisdicion que ce soit, à ce contraires ; les quelles nous ne voulons [p. 22] avoir lieu ou vigueur, en aucune maniere, à l’encontre de la grace, remission, quictance et octroy dessus diz ; mais imposons sur toutes les choses dessus dictes, leurs circunstances et dependences et autres quelx conques, silence perpetuel à nostre procureur et à touz autres noz justiciers et officiers, et autres quelx conques. Si donnons en mandement, par la teneur de ces presentes, à noz amez et feaulz conseillers les genz tenans nostre present Parlement et qui le tendront pour le temps avenir, les genz de noz comptes à Paris, noz tresoriers, à touz reformateurs, deputez ou à deputer, et à touz autres commissaires, commis ou à commettre, au prevost de Paris, au bailli des Exempcions de Touraine, de Poitou, d’Anjou et du Maine, et à touz autres justiciers et officiers de nostre royaume et du dit Dalphiné, presens et avenir, et à leurs lieuxtenans et chascun d’eulx, que le dit exposant, ses heritiers, successeurs ou ayanz cause, facent, sueffrent et laissent joir et user paisiblement de nostre dicte grace, remission, quictance et octroy dessus diz, senz le molester ou souffrir estre molesté en aucune maniere à l’encontre, mais son corps et ses biens, se pour ces choses il estoient empeschiez ou arrestez, mettent à plain au delivre et les baillent, rendent et restituent, ou facent baillier, rendre et restituer au dit exposant, selon la teneur de nostre dicte grace. Et que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Saint Germain en Laye, ou moys de fevrier l’an de grace m. ccc. lxxvi, et le xiiie de nostre regne.

Par le roy. L. Blanchet.


1 Denis Gillier, fils de Philippe, auquel nous avons consacré une longue notice dans notre troisième volume (p. 166, note 1), fut nommé trésorier général de France par lettres de Charles V, pour le récompenser de ce qu’il avait contribué à la défense de la ville de Poitiers (sans doute à la remise de cette ville sous l’obéissance du roi de France). Ces lettres figurent sous ce titre dans le Catalogue des Archives du baron de Joursanvault (Paris, Techener, in-8°, 1838, t. II, p. 77) ; mais la date n’en est pas indiquée. Elles sont évidemment postérieures à la reprise de Poitiers, c’est-à-dire au 7 août 1372, et antérieures au 7 novembre 1373 ; car il existe à cette date des lettres de Jean duc de Berry et comte de Poitou, mandant à Denis Gillier, trésorier de France, de donner la recette du barrage, soquet ou entrage, qu’il avait accordé pour un an à la ville de Poitiers, à d’autres fermiers, les premiers adjudicataires n’ayant pas rempli leurs engagements. (Archives municipales de Poitiers, H. 6.) Il servait à cette époque le duc de Berry et jouit toujours de la faveur de ce prince. On trouve de nombreuses mentions de leurs rapports, pour les années 1373 à 1378, dans les registres de comptes de l’hôtel du duc. Le 15 avril 1373, Denis Gillier était à Parthenay avec le receveur de Poitou, et le duc leur envoya de Poitiers un messager, porteur de lettres ; du 27 août au 13 septembre suivant, il séjourna à Fontenay-le-Comte, et le 3 octobre à Montmorillon, et de ces deux villes il correspondit activement avec son maître (KK. 251, fol. 94, 128, 129). Il obtint des lettres d’anoblissement le 10 août 1379 ; elles seront publiées ci-dessous à leur date. M. Beauchet-Filleau lui donne le titre de chevalier du duc de Berry et ajoute qu’il fut maire de Poitiers en 1392, 1393, 1394 et 1399. Il l’était déjà en 1391 ; on conserve un acte de cette année où il en prend la qualité ; c’est une ordonnance de Denis Gillier, maire, d’Étienne Guichart et de Guillaume de Lorberie, bourgeois, commissaires en cette partie, pour le payement des charpentiers, serruriers, maçons et autres ouvriers employés aux réparations des murs et ponts de la clôture de la ville. (Archives de la ville, J. 39.) Le sceau de Denis Gillier porte un chevron surmonté d’une fleur de lys et accompagné de trois losanges, deux en chef et un en pointe, avec deux cerfs pour supports. On conserve dans le même dépôt d’autres ordonnances des mêmes commissaires pour l’année 1394, munis de leurs sceaux. (Id., J. 44-65.) Denis Gillier fit deux testaments, le premier le 19 novembre 1390, et le second, le 24 décembre 1401. Dans ce dernier, il élit sa sépulture dans l’église des Cordeliers de Poitiers. Il s’était marié trois fois. Le nom de sa première femme est inconnu. En secondes noces, il épousa Jeanne, fille de Jean Guérineau de Poitiers, conseiller du duc de Berry dès l’an 1372 (KK. 251, fol. 99 v°), et en troisièmes, Jeanne de Taunay, fille de Jean, qui fut aussi maire de Poitiers. Il eut deux enfants de sa seconde femme : Nicolas, chambellan de Charles VII, tué à la bataille de Verneuil, et Jeanne, femme de Guillaume du Chilleau. Jeanne de Taunay lui en donna quatre : Étienne, seigneur des Roziers ; Jean, notaire et secrétaire du roi ; Jacqueline, femme de Poinçonnet de Vivonne, seigneur d’Oulmes ; et Jeanne, mariée à Jean de Vailly, qui fut président au Parlement de Poitiers, sous Charles VII. (Dict. des familles de l’anc. Poitou, t. II, p. 157.)

2 Voy. le texte des lettres de grâce accordées à Philippe Gillier, moyennant composition pécuniaire et certaines restitutions, en novembre 1354 (n° CCCXCVI) et celles de janvier 1367 n.s., ici insérées (n° CCCCXLV), dans notre tome III, p. 165 et s., p. 341 et s.