[p. 112]

DCXXVIII

Lettres de grâce et rappel de ban accordés à Jean Faugereux, de Saint-Savin. Lors de l’occupation anglaise, étant de la garnison de la Rocheposay, il avait couru et pillé les terres du seigneur de Preuilly et d’autres, pour ravitailler le fort. Poursuivi et mis en prison, en attendant son jugement, il s’était évadé et avait été banni du royaume par contumace.

  • B AN JJ. 114, n° 204, fol. 102 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 112-116
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, [p. 113] nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan Faugereux, de la parroisse de Saint Savin1 en Poitou, contenant que, pour le temps que feu Karalouet tenoit le fort de la Roche de Pouzay2, ou quel temps le prince de Gales, nostre ennemi, occupoit le pays de Poitou ; pour le quel fort advitailler et garder, comme il feust assiz en frontiere d’ennemis, il estoit de necessité le dit suppliant et ses compaignons pour la garnison du dit fort aler et chevauchier, et fourrage querir et avoir des vivres en pluseurs et divers lieux loing du dit fort, mesmement que le dit pays de Poitou environ ycellui fort estoit lors gasté et destruit, et comme tout desnué de vivres et autres biens, par le fait et occasion de noz guerres ; et en chevauchant par le dit pays de Poitou, querant des diz vivres, prindrent xii. beufs les quelz leur furent ostez en la ville d’Escuillé en Touraine, en la quele ville, pour cause des diz beufs à eulz ainsi ostez, il prindrent par maniere de marque xii. personnes, que hommes que femmes, et par force les menerent ou dit fort et les firent composer à eulz à la somme de cent frans d’or, et avecques ce chevaucherent par pluseurs foiz en la terre du seigneur de Prully3 et de pluseurs autres [p. 114] noz subgiez, ou dit pays et environ, en prenant toutes manieres de vivres, sanz autre reprouche ou meffait. En hayne des queles prises et pilleries, le dit seigneur de Prully et pluseurs autres ses malveillans eussent accusé le dit suppliant et fait convenir par devant nostre bailli des Exempcions de Touraine, d’Anjou, du Maine et de Poitou, ou son lieutenant, en denonçant et faisant proposer par nostre procureur ès diz pays le dit suppliant avoir commis et fait les pilleries et choses dessus dites, et avec ce avoir osté un mantel et pris diz solz par maniere de roberie en la bourse d’un marchant, et pluseurs autres choses ; pour les queles il fu detenu prisonnier et mis en noz prisons, et depuis [p. 115] elargi par pluseurs journées, aus queles et chascune d’icelles il se comparu deuement et tant que, à certain jour qui lui estoit assigné sur ce, lui fu demandé par la suggestion de ses diz hayneux, se de ces choses il se vouldroit rapporter à ce que par informacion ou enqueste en pourroit estre trouvé ou dit pays. Le quel suppliant, comme simples homs et de petit entendement, soy sentant pur et innocent de aucunes des choses à lui imposées, par especial dont il deust et peust par raison, si comme il lui sembloit, souffrir peine de corps ou autrement estre condempnez à mort, mesmement que par traictié4, quant le dit pays de Poitou, du quel il est nez, retourna en nostre obeissance, touz cas criminelz et civilz furent à touz generalment par nous remis et pardonnez, se soubzmist liberalment et de sa bonne volenté, sanz alleguer la dicte remission general ne autrement soy en aidier, à la dicte informacion et enqueste, par la quele il fu trouvez coulpables des choses dessus dictes ou d’aucunes d’icelles, en peril d’estre pour ce justiciez et condempnez à mort. La quele chose venue à sa cognoissance, et pour obvier à tel peril comme de la mort, rompi noz dictes prisons, ès queles il estoit pour ce detenu prisonnier et se absenta du pays. Et le quel appellé à noz droiz, doubtant rigueur de justice, n’est aucunement comparuz, et pour ce a esté banny de nostre royaume. En nous suppliant humblement que, comme pour le temps qu’il estoit demourans ou dit fort de la Roche de Pouzay, il estoit jeunes homs, et depuis s’est mariez ou dit pays, ou quel il s’est bien et loyaument portez et gouvernez, sanz aucun blasme ne reprouche, attendu aussi et considéré la dicte general remission en la reddicion du dit pays de Poitou, comme dit est, en la quele il povoit et devoit estre compris, nous lui veuillions sur ce [p. 116] impartir nostre grace et misericorde. Nous, ces choses considerées, inclinans à sa supplicacion, au dit suppliant la dicte prison brisée, les faiz, pilleries, roberies et toutes les choses dessus dictes, avecques toute peine corporele, criminele et civile, en quoy il pourroit pour ce estre encoru envers nous, et le ban qui s’en est ensuy, avons remis, quictié et pardonné, et remectons, quictons et pardonnons de nostre certaine science et grace especial, plaine puissance et auctorité royal, par ces presentes, ou cas dessus dit, et le restituons à sa bonne fame et renommée, pays et biens non confisquiez, en imposant sur ce à nostre procureur silence perpetuel, sauf et reservé le droit de partie à poursuir civilement tant seulement. Si donnons en mandement à nostre dit bailli des dictes Exempcions de Touraine, d’Anjou, du Maine et de Poitou, et à touz noz autres justiciers et officiers, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans et à chascun d’eulz, si comme à lui appartendra, que le dit suppliant facent, seuffrent et laissent joir et user plainement et paisiblement de nostre presente remission et grace, sanz le molester, faire ne souffrir molester ou empeschier en corps ne en biens, ores ou pour le temps avenir, au contraire. Et se aucuns de ses biens estoient pour ce pris, saisiz, levez ou empeschiez, ou son corps emprisonnez, se lui mettent ou facent mettre du tout au delivre, sanz aucun delay. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable à touz jours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes lettres. Sauf en autres choses nostre droit et en toutes l’autrui. Donné à Senliz, ou mois de mars l’an de grace mil ccc. lxxviii, et de nostre regne le xve5.

Par le roy en ses requestes. P. de Montyon. — Blondeau.


1 La ville de Saint-Savin fut remise sous l’obéissance du roi de France, vers la fin de l’année 1369, par un moine qui la livra à Louis de Saint-Julien et à Kerlouet. (Froissart, édit. S. Luce, t. VII, p. 191.)

2 Sur Jean de Kerlouet et la prise de la Rocheposay, en juin ou juillet 1369, voy. notre IIIe volume, p. 390, et le IVe, p. xx, 73 n. et 85 n. Le pont de la Rocheposay avait été reconstruit à neuf, l’an 1352, aux frais de l’abbé et des religieux de la Merci-Dieu, sous la direction de Simon Chapon et de Pierre Janvre (Junior), sergents royaux, commis spécialement à cette opération. Voy. mandement au bailli de Touraine de faire mainlevée des biens des dits religieux, qui avaient été saisis par lesdits commissaires parce que l’abbé leur réclamait les comptes de 700 livres tournois et plus qu’il avait remis aux deux sergents pour la reconstruction du pont, 13 mars 1353. (Arch. nat., X1a 15, fol. 41 v°.)

3 Eschivard VI, baron de Preuilly, fils unique d’Eschivard V et d’Isabeau de Montgeron. Ils étaient seigneurs de la Rocheposay, et prétendaient ne relever que du roi seul pour ce fief, dont l’évêque de Poitiers réclamait l’hommage. Il en résulta un procès qui dura environ dix ans. Commencé en 1345 par Eschivard V, qui mourut à la fin de 1349, il ne fut terminé qu’en 1354, par une ordonnance du roi Jean, donnant gain de cause au seigneur de Preuilly et déclarant que la Rocheposay relèverait dorénavant de la couronne. Eschivard VI ne dut prendre que fort peu de part à la guerre, dont ses possessions cependant étaient le théâtre, car son nom apparaît à peine dans les chroniques et les textes de l’époque. Il fut marié trois fois : la première avec Isabeau de Brizay qui lui donna une fille, Orable, femme de Renaud de Montléon, dont il a été question dans le vol. précédent, p. 354 note ; la seconde avec Blanche de Montendre, dont il n’eut pas d’enfants. De sa troisième femme, Sarrazine de Prie de Buzançais, naquirent deux fils Gilles et Antoine, qui furent successivement barons de Preuilly, et deux filles, Louise, dame de la Rocheposay, et Jeanne, femme de Nicolas Braque. Eschivard VI de Preuilly mourut le 23 avril 1407 et fut inhumé à la Merci-Dieu. La généalogie de cette famille a été donnée par M. Carré de Busserolle, Dict. géographique d’Indre-et-Loire, t. V, p. 199-222. Nous l’avons rectifiée en ce qui concerne l’ordre des mariages d’Eschivard VI, à l’aide de Du Chesne, Hist. généal. des Chasteigners, in-fol., p. 238. Nous avons mentionné dans notre troisième volume les extraits des registres du Parlement relatifs aux démêlés d’Eschivard de Preuilly avec Fort d’Aux, évêque de Poitiers (p. 224 note). Parmi beaucoup d’autres procès auxquels il fut mêlé de 1350 à 1361, nous citerons seulement celui qu’il soutint contre sa sœur aînée, Jeanne, et le mari de celle-ci, Bernard Robert, écuyer, qui réclamaient le tiers de la succession d’Eschivard V, leur père et beau-père. On y voit que Jeanne était fille d’un premier lit et que sa mère s’appelait Marguerite Turpin. La première trace de cette affaire apparaît au 12 mars 1350. Eschivard VI était alors mineur et sous la tutelle de sa mère Isabeau de Montgeron (X1a 12, fol. 369 v° et 381). Un arrêt de procédure du 29 mai suivant porte qu’il sera procédé outre, nonobstant les lettres d’état présentées par le défendeur (Id. fol. 458). Le 3 juin 1351, provision de cent vingt livres de rente annuelle est accordée à Jeanne de Preuilly, en attendant le règlement définitif (X1a 11, fol. 370 v°). Ce procès durait encore le 1er avril 1355 (X1a 16, fol. 28 et 120 v°).

4 Traité ratifié par Charles V, le 15 décembre 1372. (Vol. précédent, p. 176 et s.)

5 Le texte de ces lettres a été publié déjà par M. Delaville-Le Roulx, Comptes municipaux de la ville de Tours, in-8°, t. II, 1881, p. 338. On trouve dans le même recueil un autre document intéressant sur les pillages et dévastations des Bretons qui occupaient les forts de la Rocheposay, du Blanc et de Fontgombault. Un habitant de Betz en Touraine, Jean Leconte, avait été accusé devant le bailli de Tours « d’avoir esté avecques lesd. Bretons et leur avoir enseigné les biens de ses voisins ». Condamné à l’amende, il fit appel au Parlement et vint à Paris pour le soutenir ; mais dénué de ressource et réduit à demander son pain, il lui fut délivré des lettres annulant ledit appel et le renvoyant vers le bailli de Touraine, le 25 avril 1373. (Id. ibid., p. 334.)