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DCXCV

Rémission accordée à Jean Debien, de Champdenier, pour le meurtre de Nicolas Claveurier, curé de Saint-Projet, commis à la suite d’une rixe sur la voie publique.

  • B AN JJ. 128, n° 124, fol. 72
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 283-286
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté exposé humblement de la partie des amis charnelz de Jehan De Bien, demourant à Champdener en Poitou, jeune homme de l’aage de xxii. ans ou environ, que, comme environ la saint Jehan Baptiste derreniere passée ot un an, ainsi que le dit Jehan De Bien et Jehan Escot faisoient charier et mener du fain à un village appelé la Doretere en Poitou, ilz encontrerent en un grant chemin public, en alant au dit village, un prestre appellé Nicolas Claveurier1, lors curé de Saint Projet, lequel estoit à cheval et menoit après lui a pié une jeune femme de l’aage de xxv. ans ou environ, auquel prestre le dit Escot demanda où il menoit la dicte femme, lequel lui respondi moult haultainnement : « Que vous en appartient il ? Vous n’en saverez rien. » Et lors le dit Jehan Escot lui respondi que à eulz appartenoit mieulx que au dit prestre, et que ce n’estoit pas office ne honneur de prestre de mener jeunes femmes par le pays. Lequel prestre lui respondi lors plus hautainnement [p. 284] que paravant n’avoit fait, que s’il en parloit plus il le courouceroit du corps, et en voulant mettre ses paroles à effect, il descendi de son cheval et impectueusement se approcha du dit Jehan Escot, et de fait le frappa d’un baston qu’il tenoit parmi son espaule, et après non content de ce, le print par la robe très rudement pour le vouloir injurier plus. Et lors le dit Jehan De Bien, meu de chaleur de jeunesce par la sugestion de l’ennemi, dist au dit prestre qu’il laissast son dit compaignon et que, se plus il le frappoit, aussi…2 ; lequel prestre incontinent laissa le dit Jehan Escot et se approcha du dit Jehan De Bien atout le dit baston dont il avoit frappé le dit Escot, comme dit est, en lui disant : « T’en fault il parler ? » Et après moult impectueusement hesma son dit baston sur le dit Jehan De Bien pour l’en vouloir frapper. Et lors le dit Jehan De Bien chaudement et en soy defendant et deboutant force pour force, frappa le dit prestre parmi la teste, environ l’oreille un seul cop d’un petit baston, sanz aucune voulenté ou esperance qu’il eust de le tuer, et après l’en poussa dont il chey à terre, et incontinent ala de vie à trespassement. Et pour ceste cause, le dit Jehan De Bien a esté appellez aux drois en la court de nostre très chier et très amé oncle le duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poitou, ès grans assises de son seneschal de Poitou, au siege de Saint Maixent, et depuis en a esté rendue l’obeissance au sire de Partenay, et encores en demande l’obeissance le sire de Champdener3, pour ce que le dit De Bien est son subget et justiçable, si comme l’en dit, sanz ce [p. 285] que contre lui ait encore esté aucunement procedé à ban ne à prise de corps. Toutevoies le dit Jehan De Bien, pour doute de rigueur de justice, n’oseroit demourer ou pays seurement, se par nous ne lui est sur ce pourveu de nostre grace et misericorde, si comme dient les diz exposans. Supplians que, comme le dit Jehan De Bien soit jeunes homs et ait esté tout le temps de sa vie homme de bonne fame, renommée et honneste conversacion, non suspect, convaincuz ne actains d’aucun autre villain cas ou reprouche, et que le dit fait advint par chaleur et chaude cole, et fu fait en soy defendant et deboutant la fureur et mauvaise voulenté du dit prestre comme dit est, nous lui vueillons sur ce impartir nostre dicte grace et misericorde. Nous adecertes, eu consideracion aux choses dessus dictes, voulans preferer misericorde à rigueur de justice, au dit Jehan De Bien ou cas dessus dit, de nostre grace especial et auctorité royal, avons quictié, remis et pardonné, et par ces presentes quictons, remettons et pardonnons le fait et cas dessus dit, avec toute peine, offense et amende corporele, criminele et civile, en quoy il peut pour ce estre encouru, et toutes evocations, appeaulx et bans, s’aucuns en ont esté ou sont pour ce faiz contre lui, et le restituons à sa bonne fame et renommée, au pays et à ses biens non confisquez, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur et à autres noz officiers, satisfacion premierement faicte à partie, se faicte n’est. Si donnons en mandement au gouverneur de la Rochelle et à touz noz autres justiciers et officiers, à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que le dit Jehan De Bien facent, seuffrent et laissent joir et user paisiblement de nostre dicte grace et remission, sanz le molester, etc. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable perpetuelment, nous avons fait mettre à ces presentes lettres nostre seel ordonné en l’abence du grant. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en [p. 286] toutes. Donné à Paris, ou mois de mars l’an de grace mil ccc. iiiixx et cinq, et le siziesme de nostre regne.

Par le conseil. J. de Crespy.


1 La famille Claveurier fut l’une des plus notables de Poitiers. MM. Beauchet-Filleau en ont donné la généalogie (Dict. des familles du Poitou, t. I, p. 679), mais à partir du xve siècle seulement. Nous ne savons si le curé de Saint-Projet doit y être rattaché.

2 Quelques mots passés.

3 Guillaume de Chaunay était alors seigneur de Champdeniers. (Voy. notre t. IV, p. 374 note.) Cette terre passa plus tard à la maison de Rochechouart par le mariage d’Anne, fille et héritière de François de Chaunay et de Catherine de La Rochefoucauld, avec Jean de Rochechouart, seigneur de Jars, le 27 janvier 1448.