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DCXX

Lettres de rémission en faveur de Pierre Brechou qui, en état de légitime défense, avait frappé à mort Jean Paquereau. Ce dernier voulait tuer Guillaume Brechou, frère dudit Pierre, collecteur du fouage à Sainte-Gemme, qui l’avait fait exécuter pour le paiement de sa taxe.

  • B AN JJ. 112, n° 315, fol. 157 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 69-72
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté signifié de la partie de Pierre Brechou, pouvre laboureur, que en l’an m. ccc. lxxvi, le jour de la feste saint Bleve1, pour ce que Guillaume Brechou2, frere du dit signifiant, qui avoit esté collecteur du fouage en la ville et parroisse de Sainte Gemme, ou diocese de Luçon, avoit mis, tauxé et imposé pour le dit fouage Jehan Paquerea3 à la somme de xxv. solz, dont le dit Jehan paia xx. solz, et depuis aucuns officiers de nostre amé et feal connestable, qui alerent querir la finance des diz fouages, [p. 70] executerent le dit Jehan Paquerea et les autres que le dit collecteur leur bailla en reste, et prindrent et leverent du dit Paquerea une paelle pour la dicte reste de v. solz, ycellui Jehan Paquerea, meu de fureur envers le dit Guillaume, ycellui jour environ heure de vespres, issy de sa maison et vit la femme du dit Guillaume, à la quelle le dit Jehan dist que elle venist parler à lui, et elle lui respondi que il alast à elle, se il vouloit et il avoit de li à faire. Adonques lui dist il que il yroit, puis que elle ne vouloit venir à lui, et lui dist telles paroles : « Vous avez dit que voz choux vous sont emblez et que il ont au jour d’ui esté cuiz chiez moy. » Et la dicte femme lui dist que il n’en estoit riens. Et le dit Paquerea lui dist que elle mentoit mauvaisement, comme mauvaise torte pourrie, en lui disant que il lui en prendroit aussi comme au larron son mari, qui sa dicte paelle lui avoit emblée ; et la dicte femme lui respondi que son mari n’estoit mie larron et que il n’en avoit mie la renommée en la ville où il demouroit. Et à ces paroles, le dit Jehan vit venir le dit Guillaume, auquel il dist, quand il le vit : « Estes vous là, larron, qui m’emblastes ma paelle ! Par le sanc Dieu, tu le m’amenderas. » Et en ce moment le dit Jehan, accompaignié de ses trois enfanz, print le dit Guillaume à la gorge, et fu gecté contre terre, et fu illecques batu et feru de pluseurs cops par le dit Jehan et ses enfanz. Et là survindrent pluseurs bonnes genz qui les departirent ; mais le dit Jehan, en perseverant en sa mauvaise voulenté, courut à son hostel querir une grosse fourche de bois et retourna avecques ses diz trois enfanz pour le dit Guillaume batre et dommagier du corps ; mais les bonnes genz qui là estoient, quant ilz virent venir le dit Jehan ainsi impetueusement, distrent au dit Guillaume qu’il s’en fouist ou il estoit mort. Pour quoy le dit Guillaume s’en fouy, pour doubte de mort, et entra en l’ostel de l’un de ses voisins, et si tost que il fu ens, ferma l’uis. Et le dit Jehan et ses diz enfanz coururent [p. 71] après jusques à l’uis, pour le mutiler ou occire. Et quant le dit Jehan vit que il ne povoit plus faire mal au dit Guillaume, couru à la femme d’icellui Guillaume, que il vit emmi la rue, et la feri de là dicte fourche tellement que il lui rompi un braz. Et ce fait, ycellui Jehan et ses enfans virent le dit signifiant, qui là estoit seurvenu, le quel ilz escrierent et lui distrent, en courant vers lui, telles paroles ou semblables : « Larron, tu y mourras, puis que nous ne povons avoir ton frere. » Pour doubte des quelles paroles, le dit signifiant tourna en fuite, et le dit Jehan et ses diz trois enfans après, et tant que ilz l’aconsuirent, et le dit Jehan lui donna en fuiant si grant cop sur la teste que il le fist cheoir à terre. Et quant il se fu relevé à grant peinne, commença encores à fouir, et eulx après, par devant sa maison. Et le dit signifiant trouva sa charrue, où il print un baston que l’en appelle cureur, et quant il vit que le dit Jehan et ses diz enfans le tenoient de si près que il ne povoit plus fouir, et vouloit le dit Jehan ferir derechief le dit signifiant de la dicte fourche, pour evader à la mort et en deboutant force par force, fery le dit Jehan du dit cureur un seul cop sur la teste, duquel mort s’en ensui en la personne du dit Jehan. Pour le quel fait le dit signifiant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs. Si nous a humblement fait requerir que, comme en touz ses autres faiz il ait tousjours esté de bonne vie et honneste conversacion, nous lui vueillions sur ce eslargir nostre grace et misericorde. Nous adecertes, attendu la qualité du fait, à ycellui signifiant, ou dit cas, avons remis, quictié et pardonné, et par ces presentes lui quictons, remettons et pardonnons le dit fait, avecques toute peinne et amende corporelle, criminelle et civile, que pour ce il est encouruz envers nous, en le restituant à plain à sa bonne fame, renommée, au païs et à ses biens, reservé le droit de partie à poursuir civilement. Si donnons en mandement au bailli des Exempcions d’Anjou, du Mainne, de Tourainne [p. 72] et de Poitou, et à touz noz autres justiciers, officiers, ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace et remission facent, seuffrent et lessent le dit signifiant joir et user paisiblement, sanz le molester ou souffrir estre molesté en corps ne en biens, en aucune maniere, mais se son corps ou aucuns de ses biens sont pour ce prins, saisiz ou detenuz, mettez les lui ou faites mettre tantost et sanz delay à plainne delivrance. Et pour ce que ce soit chose ferme et estable à toujours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Paris, ou mois de may l’an de grace m. ccc. lxxviii, et le xve de nostre regne.

Es requestes de l’ostel. S. de Caritate. — J. Fourcy.


1 Paraît être S. Blaise, dont la fête se célèbre le 3 février.

2 Guillaume et Pierre Brechou appartenaient sans doute à la même famille que Gilles Brechou ou Berchou, sr du Puiset, mentionné dans le volume précédent, p. 241 note, et auquel une petite notice est consacrée dans celui-ci. (Ci-dessous, acte de mars 1390, n° DCCXXXVIII.)

3 Citons un acte de cette époque, où se trouve le nom poitevin de Pasquereau. Par lettres du 13 septembre 1380, le Parlement renvoya aux assises de Luçon, par-devant le bailli des Exemptions, une cause d’applégement qui avait été portée d’abord devant les officiers du duc de Berry en Poitou, puis au Parlement, à la requête de Thibaut Chabot, demandeur, contre Geoffroy Pasquereau, Nicolas et Guillaume James, Perrot Manssuyau, Nicolas Violeau et Jean Gouais. (Arch. nat., X1a 29, fol. 108.)