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DCLXXXVIII

Rémission accordée à Aimery Ricot, taillandier de Traversonne, près Vouillé, pour un meurtre commis, seize ans auparavant, sur la personne de Jean Morineau, boucher, avec lequel il avait tenu une ferme dans la châtellenie de Montreuil-Bonnin. Le défunt en avait eu tout le profit et refusait d’en rendre compte.

  • B AN JJ. 126, n° 243, fol. 154 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 264-267
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté humblement exposé de la partie de Aymery Ricot, taillendier, chargié de femme et d’enfans, disans que, seze ans a ou environ, le dit exposant et feu Jehan Morinea, alias Armant Boulerea, boucher, buvoyent ensemble, à un jour de dimanche avant disner, en une taverne en la ville de Vouillé, et illecques en parlant et comptant d’une ferme qu’ilz avoient tenuz ensemble en la chastellenie de Monstereul Bonnin, et dont le dit defunct avoit receu tout le prouffit, et n’en vouloit rendre [p. 265] compte ne raison au dit exposant, paroles se meurent entre eulz, et disoit et maintenoit le dit defunct que pour chose que le dit exposant peust faire, ou au moins paroles en substance, il ne lui rendroit jà compte de la dicte ferme ; et lors le dit Aymery respondi amiablement que si feroit et que c’estoit raison, de quoy le dit defunct le desmenti et lui dist moult d’autres oultraigeuses injures et villennies ; et après se departirent de la dicte taverne, chacun là où bon lui sembla. Et avint que, ainsi comme le dit exposant s’en aloit à sa maison à Traversonne, en la dicte parroisse de Vouillé, cuidant que le dit defunct fust jà lors à son hostel, qui est au dit lieu de Traversonne, trouva d’aventure, cellui jour mesmes environ vespres, en son chemin le dit defunct, lequel perseverent touzjours en son iniquité et pervers propos assailli de paroles haultaines le dit exposant qui s’en aloit simplement son chemin à son dit hostel, sanz avoir entencion de faire mal à aucun. Et lui commença tantost à dire : « Aymeri, tu m’as dit que je te rendrai compte de la ferme, maiz pour tout ton povoir non ferai », et par pluseurs foiz le desmenti, en lui disant qu’il le courrouceroit du corps. Et le dit Aymeri respondi qu’il auroit bien raison de lui. Et lors ycellui defunct qui estoit homs rioteux, noiseux et coustumier de faire riote, commença à dire pluseurs villennies et injures au dit exposant, et à mettre la main à un coustel de boucher que il portoit pour le vouloir saicher contre le dit exposant, en disant qu’il le villenneroit de son corps, avant qu’il lui eschappast ; à quoy le dit exposant recuilloit le plus qu’il povoit et s’en aloit touzjours son chemin, en lui disant qu’il le laissast en payx et qu’il auroit raison de lui par justice, et qu’il faisoit mal de le assaillir. Et pour ce que le dit defunct le suyoit touzjours, tenant sa main à son coustel, comme dit est, pour en ferir le dit exposant, comme par ses paroles et mouvemens apparissoit qu’il se approuchoit de lui souvent, ycellui exposant meu et courocié [p. 266] de ces choses, pour doubte de mort ou d’estre villennement traictié par le dit deffunct, qui moult estoit esmeuz, yrez et eschauffez à l’encontre, et en soy defendant, revainchant et repellant force contre force, cuida ferir le dit defunct d’un baston qu’il portoit sur la main ou bras dont il s’efforçoit de sacher le dit coustel, pour en ferir le dit exposant, comme dit est, sanz ce que le dit exposant eust aucune entencion de le tuer, maiz par cas de fortune le dit cop eschey sur la temple de la teste du dit defunct, duquel cop il ala de vie à trespassement. Pour occasion duquel fait et pour doubte de rigueur de justice, le dit exposant s’est par pluseurs foiz latité et diffuy du pays, et encores se doubte grandement, en nous humblement suppliant que, comme en touz autres cas le dit exposant ait esté et soit de bonne vie, fame, renommée et conversacion honneste, sanz estre reputé d’aucun villain cas, nous lui vueillons sur ce impartir nostre grace et misericorde. Pourquoy nous, ces choses considerées, au dit exposant au cas dessus dit, avons remis, quictié et pardonné, remettons, quictons et pardonnons par ces presentes, de nostre grace especial et auctorité royal, le fait dessus dit, avecques toute paine et offense corporele, criminele et civile, que pour occasion du dit cas il peut avoir commis, offensé et encouru envers nous, satisfacion faite à partie civilement premierement et avant toute euvre, se faicte n’est. Et le restituons à sa bonne fame, renommée, au pays et à ses biens qui par ban ne seroient confisquez, en imposant sur ce silence perpetuel à nostre procureur et à touz noz autres officiers. Si donnons en mandement au gouverneur du bailliage de Touraine, par ces presentes, et à touz noz autres justiciers et officiers, à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chascun d’eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace et remission facent, seuffrent et laissent le dit exposant joir et user paisiblement, sanz le molester ou souffrir estre molesté, pour occasion du dit fait, au contraire, [p. 267] maiz se son corps ou ses biens estoient pour ce pris, saisiz, arrestez ou empeschiez, ilz lui mettent ou facent mettre tantost et sanz delay à plaine delivrance. Et que ce soit ferme chose et estable à touzjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Paris, ou mois de may l’an de grace mil ccc. iiiixx et cinq, et de nostre regne le cinquiesme.

Par le roy, à la relation du conseil. Guichart.