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DCXCVII

Rémission accordée à Jean Petitbon, marchand colporteur de Poitiers, qui, fait prisonnier par les Anglais à Verteuil et mis à rançon, leur avait au lieu d’argent livré des marchandises.

  • B AN JJ. 128, n° 138, fol. 80
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 290-293
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, à nous avoir esté exposé de la partie de Jehan Petit Bon, de la ville de Rouffet, que, ou temps que les Anglois et autres noz ennemiz tenoient occupé le chastel ou fort de Vertueil1, le dit exposant, garni de aguillettes, peaulx [p. 291] de megeys, toilles et autres menues denrées, que il de Poitiers portoit sur son col en la ville de Rouffet pour les revendre, fu entre Poitiers et Rouffet pris, puis un an ença, par yceulx Anglois ou autres noz ennemis, et par eulz il avec ce que dit est fu menez prisonnier ou dit chastel de Vertueil, ou quel il a esté detenu prisonnier ès fers par l’espace de trois mois ou environ, et par ceulz qui ainsi le tenoient fu miz à vint frans de raençon, et de la dicte [p. 292] prison il, à la caucion du Basquin de Gaillart, son pleige, fu eslargy, recreu ou delivrez, et pour soy acquitter de sa dicte raencon, ycellui exposant porta aux diz Anglois ou autres noz ennemis ou dit chastel de Vertueil cent livres de chandeilles de suif ou environ, sept douzenez d’aguillettes, xxiiii. peaulx rouges de chevrotins et xvi. aulnes de toille, autrement le dit exposant qui est un petit marchant de telles menues denrées et de petites facultez, n’eust peu acquicter soy de sa dicte raençon, et autre confort ou ayde n’a fait ycellui exposant à noz diz ennemis d’icellui chastel, et autre crime ou offense n’y a commis. Pour occasion des quelles choses, le dit exposant, à l’instigacion d’aucuns ses hayneux ou autrement a esté pris et emprisonnez au dit lieu de Poitiers, ès prisons de nostre très chier oncle le duc de Berry et d’Auvergne, conte de Poitou, là ou il a longuement esté et encores est detenuz à grant misere ; en laquelle prison il a confessié avoir porté à noz diz ennemis d’icellui chastel de Vertueil les choses dessus declairées pour sa dicte raençon, et non autrement, ou quel il eust esté mort, si comme il dit, en nous humblement suppliant, comme il qui est chargié de femme et de troiz petiz enfanz, en touz ses autres faiz ait esté et soit homme de bonne vie, renommée et honneste conversacion, et ou fait d’un pou de marchandise que il a acoustumé mener et exercer pour avoir la sustentacion de lui, de sa dicte femme et de ses diz enfanz, il se soit loyaulment portez, sanz avoir esté convaincuz, condempnez ne actaint d’autre meffait, et ce qu’il a fait en ceste partie il l’a fait pour la raençon et delivrance de sa personne, nous sur ce lui vueillons eslargir nostre grace, mesmement que par le fait de noz ennemiz et pour occasion des guerres il a moult perdu et est moult diminuez de sa chevance. Nous, pour consideracion de ce que dit est et de la longue et dure prison que le dit exposant a pour ce souffert, au dit exposant en ce cas [p. 293] avons remis, quictié et pardonné de grace especial, remettons, quictons et pardonnons le dit fait, avec toute peine, amende et offense corporele, criminele et civile, que pour ce yl peut avoir encouru envers nous, et le restituons au pays, à sa bonne renommée et à ses biens non confisquez. Si donnons en mandement au seneschal d’Angoulesme et à touz noz autres justiciers, ou à leurs lieuxtenans, et à chascun d’eulz, si comme à lui appartendra, que le dit exposant facent joir et user de nostre presente grace, sanz le molester ne empeschier au contraire, en corps ne ès diz biens, mais, se son corps ou aucuns d’iceulz biens estoient pour ce pris ou empeschiez, les lui mettent ou facent mettre à plaine delivrance, en contraignant ou faisant à ce contraindre ceulz qui à contraindre y feront, par toutes voyes et manieres deues. Et pour ce que ce soit ferme chose et estable à touzjours, nous avons fait mettre à ces presentes nostre seel ordonné en l’absence du grant. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Paris, ou mois de mars l’an de grace mil ccc. iiiixx et cinq, et de nostre regne le siziesme.

Par le conseil. Henry. — Barreau.


1 Verteuil était tombé au pouvoir des Anglais en 1383, et resta un peu plus de deux ans entre leurs mains. Par un acte de 1385, malheureusement sans indication de mois, Geoffroy de la Roche (Geoffroy III de la Rochefoucauld, seigneur de Verteuil et de Barbezieux ; voy. le P. Anselme, Hist. généal., t. IV, page 447), dépossédé de son principal château et ayant appris qu’il était question de le racheter aux ennemis qui l’occupaient depuis deux ans, fit valoir ses droits et obtint du roi la promesse qu’il lui serait rendu, dans le cas où l’on donnerait suite au projet (JJ. 126, n° 200, fol. 130 v°). Du reste Verteuil ne fut pas replacé sous l’autorité de Charles VI au moyen d’une composition pécuniaire, mais repris de vive force par le duc de Bourbon, pendant la campagne qu’il dirigea en Saintonge et en Angoumois, au milieu de l’année 1385, c’est-à-dire peu de mois après la promesse faite à Geoffroy de la Rochefoucauld. C’était une place très forte, qu’on ne put réduire qu’après un siège de plus de trois semaines, où l’art des mines parait avoir joué le principal rôle. Cet épisode est relaté avec quelque développement par Froissart (édit. Kervyn de Lettenhove, t. X, p. 317 et 375), et par Cabaret d’Orville avec une grande abondance et des détails parfois romanesques, tel que le combat singulier du duc de Bourbon contre Renaud de Montferrand, dans la mine même (Chronique du bon duc Loys de Bourbon, édit. Chazaud, p. 144-152), reproduit par Thibaudeau dans son Histoire du Poitou. Pour le reste, les deux chroniqueurs sont d’accord ; ils s’entendent spécialement pour dire que le duc de Bourbon n’aurait consenti à aucun prix à lever le siège de Verteuil, et qu’il avait formellement promis au duc de Berry, en le quittant, de s’emparer de cette forteresse, dont la garnison venait courir souvent à Couhé et jusque sous les murs de Poitiers, dévastant tout le pays. Des lettres du duc de Bourbon, expédiées pendant cette chevauchée (publ. ci-dessous n° DCCXXXIII), sont datées de Ruffec, le 30 juillet 1385. On serait tenté de croire que c’est à ce moment qu’eut lieu le siège de Verteuil. Cependant il n’en est rien. Froissart et Cabaret d’Orville le présentent tous deux comme la dernière opération de la campagne, et nous avons à produire un témoignage encore plus décisif. Une commission du duc de Bourbon, relative au droit de barrage de Niort, porte cette date : « Donné en nostre ost et siege devant Verteuil, le 28 septembre 1385 ». Il n’y a donc aucun doute à avoir ; la capitulation de Verteuil eut lieu dans les premiers jours d’octobre. Froissart ajoute (loc. cit.) qu’une fois la ville prise, l’armée alla se rafraîchir à Charroux, assertion qui se trouve de même vérifiée par la date des lettres de rémission expédiées par le duc de Bourbon à Charroux, en novembre 1385, dont nous avons donné un fragment ci-dessus (p. 254, note 2).