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DCCVI

Confirmation du don fait par Jean, duc de Berry, des terres et biens confisqués de Geoffroy de Kérimel, chevalier, en Poitou, à cause de son alliance avec les Anglais, en faveur de Morinot de Tourzel, seigneur d’Allègre, et de la cession que ce dernier en a faite à Simon de Cramaud, évêque de Poitiers.

  • B AN JJ. 132, n° 56, fol. 33 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 21, p. 315-321
D'après a.

Charles, etc. Savoir faisons à touz, presens et avenir, nous avoir veues les lettres de nostre très chier et très amé oncle le duc de Berry et d’Auvergne, comte de Poitou, des quelles la teneur s’ensuit :

Jehan, filz de roi de France, duc de Berry et d’Auvergne, [p. 316] conte de Poitou. Savoir faisons à touz, presens et avenir, que pour et en recompensacion des bons et agreables services que nostre amé escuier et eschançon Morinot de Tourzel1, nous a faiz ou temps passé, fait continuelment sanz cesser, et esperons qu’il doye faire ou temps avenir, nous à icellui [p. 317] Morinot, de nostre certaine science et grace especial, avons donné et octroié, donnons et octroions par ces presentes, à tousjours mais perdurablement, pour lui, ses hoirs et successeurs et aians cause de lui, tout le droit que nous avons en toute la terre, jurisdicion et justice que messire Gieffroy de Carrimel2 souloit tenir en nostre dicte conté de Poitou, c’est assavoir à Saint Remy, à l’Aleu de la Bergue, avec la terre de François Perres de Charray et deux molins appartenans à la dicte terre ; et oultre une maison avec ses appartenances assise en nostre ville de Nyort, devant Saint Andrieu, qui fu du dit messire Gieffroy, avecques toute jurisdicion et justice haulte, moienne et basse, hommages, fiefs et rerefiefs, toutes terres, rentes, demaines, possessions, bois, garennes, choses, droiz, devoirs quelconques appartenans ès terres dessuz dictes, quelconques choses que ce soient, comment que elles soient nommées et appellées et en quelque lieu que elles soient assises, [p. 318] tant en nostre dicte ville et chastellenie de Nyort, comme ailleurs en tout nostre dit païs de Poitou, et tel droit comme nous y puet et doit appartenir par confiscacion, pour ce que le dit messire Gieffroy s’est rendu ennemi et rebelle de monseigneur le roy et de nous et s’est aliez et mis et encores est en la compaignie des Anglois, et a pluseurs d’iceulz recueilliz et receuz en certaines forteresses de Bretaigne, des quelles terres et autres choses dessus dictes, de nous ainsi données au dit Morinot, comme dit est, et de toutes et chascunes les appartenances d’iceulz, dès maintenant nous vestons et saisissons reelment et de fait, par la teneur de ces presentes, le dit Morinot, pour lui, ses hoirs et successeurs, et aians cause de lui, à tenir et possider à touz temps mais de lui, ses diz hoirs et successeurs, et aians cause de lui, comme sa propre chose à lui acquise par droit heritage, sanz aucune chose y retenir ou reclamer à nous et à noz hoirs et successeurs, si non tant seulement les moulins dessoubz nostre chastel du dit lieu de Nyort, près des molins André Sene3, et nostre souveraineté et ressort, avec hommage tel comme deu nous est des choses dessuz dictes ou d’aucunes d’icelles. Voulans que ceste donacion faicte comme dit est vaille et puisse valoir à touz temps mais perdurablement, pour le dit Morinot et ses diz hoirs, aus devoirs que ycelles choses sont anciennement chargées. Si donnons en mandement, par la teneur de ces presentes, à noz amez et feaulz gens de noz comptes, à noz seneschal et receveur, et à touz noz autres justiciers, officiers et subgiez, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans et à chascun d’eulz, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace, don et octroy, fait comme dessuz, laissent, facent et sueffrent à tousjours mais perdurablement joir et user et [p. 319] exploictier le dit Morinot, ses diz hoirs et aians cause de lui paisiblement, et contre la teneur de nostre dit don et octroy ne l’empeschent ne sueffrent aucunement estre empeschié au contraire. Toutevoies n’est il mie nostre entente que, ou cas que nous n’aurions aucun droit en la dicte terre, que nous soions tenuz de en faire aucune recompensacion au dit Morinot. Et que ce soit ferme chose et estable à tousjours mais, nous avons fait mettre nostre grant seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné au Bois de Vincennes, l’an de grace mil ccc. lxxix, ou mois de juillet.

Et comme Morinot de Tourzel, escuier, seigneur d’Alegre, depuiz le don et octroy à lui fait par les lettres dessus transcriptes, ait cedé, transporté et delaissié à nostre amé et feal conseiller Simon de Cramaut4, à present evesque de [p. 320] Poitiers et chancellier de nostre dit oncle, par certain traictié et accort faiz entre eulz, les maisons, terres, cens, revenues, rentes, fiefs et arrerefiefs, dont mencion est faicte ès dictes lettres, si comme par certaines autres lettres du dit traictié et accort sur ce faictes puet apparoir, nous, ayans agreables le don et octroy faiz par nostre dit oncle au dit Morinot, par les lettres dessus transcriptes, avecques toutes les choses contenues en ycelles, et le transport et delaissement par ycellui Morinot depuiz faiz à nostre dit conseiller, ycelles lettres et toutes les autres choses dessuz [p. 321] dictes loons, greons, ratiffions et approvons, et par ces presentes, de nostre grace especial et auctorité royal, confermons. Et en oultre, en ampliant nostre dicte grace, à nostre dit conseiller, pour consideracion des bons et agreables services qu’il nous a faiz, fait chascun jour, et esperons que face ou temps avenir, les terres, cens, rentes, revenues, fiefs, arrerefiefz et autres choses, dont mencion est faicte ès lettres de nostre dit oncle, avons donné et donnons de nouvel, se mestiers est, à les tenir et avoir par lui, ses hoirs et successeurs qui de lui auront cause, à tousjours mais perpetuelment, comme son propre heritage, reservez les droiz de souveraineté et ressort, avec l’ommage, s’aucun nous en est deu, selon la forme et teneur des dictes lettres de don dessuz transcriptes. Si donnons en mandement à noz amez et feaulz gens de noz comptes à Paris, au seneschal de Touraine et à touz noz autres justiciers et officiers, presens et avenir, ou à leurs lieuxtenans et à chascun d’eulz, si comme à lui appartendra, que de nostre present don, confirmacion et octroy facent, sueffrent et laissent nostre dit conseiller joir et user paisiblement, et contre la teneur de ces presentes ne l’empeschent ou sueffrent estre empeschié aucunement. Et que ce soit ferme chose et estable à toujours, nous avons fait mettre nostre seel à ces lettres. Sauf en autres choses nostre droit et l’autrui en toutes. Donné à Lisle, ou mois d’octobre l’an de grace mil ccc. iiiixx et six, et de nostre regne le viime.

Par le roy, à la relacion de monseigneur le duc de Bourgongne. Nicasius.


1 Le même registre contient un autre don fait à Paris, le 12 juin 1388, par le duc de Berry à son chambellan Morinot de Tourzel, sieur d’Allègre, de biens situés en Auvergne, son pays. Jean Chauchat, trésorier de France et receveur général des finances du roi et du duc, étant mort sans avoir rendu ses comptes et sans laisser d’héritiers, sa succession fut dévolue à Jean de Berry ; elle consistait en un hôtel derrière la cathédrale de Clermont, une autre maison dans la même ville, des terres à Aulnat, Cournon, Pont-du-Château, Lempdes, Riom, etc., et 400 francs d’or de meubles. La libéralité de son maître mit le sieur d’Allègre en possession de cette riche dépouille. Le don lui en fut confirmé par lettres de Charles VI, datées de Paris, juin 1388. (JJ. 132, n° 324, fol. 172.)

Maurin, dit Morinot, seigneur de Tourzel, fils d’Assalit de Tourzel et de Marquise d’Espinchal, entra jeune au service du duc de Berry, dont il fut d’abord l’échanson. Ce titre lui est donné dans un compte du 6 octobre 1377. (Arch. nat., KK 252, fol. 147.) Il devint chambellan de ce prince avant l’année 1385. Sur les registres de l’hôtel des années 1398 à 1400 où son nom revient fréquemment, il prend le titre de chambellan et conseiller du duc, aux gages de 4 livres 10 sous tournois par jour. (KK. 253, fol. 15 v°, 66, 93 v°, 121.) Son maître ne cessa de le combler de bienfaits. Par lettres datées de Bourges, avril 1385, il lui donna les terres d’Allègre et de Chomelix, tenues de lui en foi et hommage. La duchesse de Berry confirma cette largesse par un acte de même date. (Copies coll. insérées dans un accord du 7 juillet 1385, Arch. nat., X1c 51.) Dans cet accord Ithier Raybe, écuyer, dit Percevaut, abandonne au duc de Berry les droits qu’il tenait de sa mère Agnès, dame d’Allègre, sur ladite terre, moyennant 100 francs d’or, une charge de chevalier d’honneur du duc et l’entérinement de lettres de rémission qu’il avait obtenues pour un meurtre. Par une autre transaction, du 1er août 1386, Hugues de Froideville, chevalier, seigneur du lieu, céda à son tour à Morinot de Tourzel tous les droits qu’il pouvait prétendre sur lesdites terres d’Allègre et de Chomelix, et sur celles d’Auzelles et de Saint-Just. (Id., X1c 53.) Le P. Anselme énumère une partie des autres dons qui furent faits au nouveau seigneur d’Allègre par le duc de Berry et par le roi. (Voy. Hist. généal., t. VII, p. 707.) Au mois d’octobre 1407, il fut créé conseiller au Grand Conseil, aux gages de 1,000 livres, et le 1er février suivant, il obtint du duc la remise d’une amende en laquelle il avait été condamné pour excès faits à Pierre Ribier. « Il est dit dans un arrêt que, les autres officiers du duc de Berry ayant conçu haine et jalousie contre lui, le firent constituer prisonnier à la Conciergerie, d’où il fut mené à l’hôtel de Nesle, et de là à Dourdan, mais qu’il fut mis en liberté par la duchesse. » Morinot de Tourzel fit son testament le vendredi 1er octobre 1418, et demanda à être enterré dans la chapelle qu’il avait fait construire en l’église Notre-Dame de Clermont.

2 Compagnon d’armes de Du Guesclin, Geoffroy de Kérimel, chevalier breton, avait été gratifié l’an 1372, en récompense des services qu’il avait rendus au roi et au duc de Berry, « à la conqueste des pays de Poitou, Saintonge et Angoumois », des biens confisqués sur le chevalier anglais Gautier Spridlington, qu’il dut partager avec Geoffroy Budes et Geoffroy Payen. (Voy. notre t. IV, p. 141 note, 278 note, 413 note.) Les terres énumérées ici provenaient évidemment de cette donation, et l’on voit qu’elles étaient vouées à la confiscation et destinées à changer fréquemment de maîtres. Le 29 septembre 1381, Charles VI, en exécution d’une des clauses du traité de Guérande, conclu avec le duc de Bretagne, le 15 janvier précédent, restitua à Geoffroy de Kérimel les biens qui lui avaient été confisqués en Poitou, en Saintonge et en Anjou, à condition de laisser paisibles et de ne pas inquiéter ceux qui avaient soutenu le parti du roi de France (ci-dessus, p. 171). Cette interdiction fut-elle enfreinte, ou Geoffroy encourut-il pour une autre cause le mécontentement du roi ou du duc de Berry ? Toujours est-il qu’il ne rentra pas en possession de ses biens de Poitou. La confirmation, en octobre 1386, de la transaction conclue à leur sujet entre Simon de Cramaud et Morinot de Tourzel, en est la preuve. D’ailleurs Kérimel resta en Bretagne, au service de Jean de Montfort. Au mois de mars 1382, il fit partie d’une ambassade envoyée par le duc de Bretagne au roi d’Angleterre pour tenter de se faire pardonner le traité de paix conclu avec la France. (Dom Morice, Hist. de Bretagne, in-fol., t. VI, p. 384.) Après cette date, on ne trouve plus qu’une mention de Geoffroy de Kérimel dans un compte de 1385 (id., t. IV, Preuves, II, p. 512), et l’on ignore l’époque de sa mort.

3 Jehan Sene était maire de Niort, lors de la délivrance de cette ville à Jehan Chandos, en 1361.

4 Nous ne pourrions, sans passer de beaucoup les bornes d’une simple note, donner ici un résumé même succinct de la vie de cette haute personnalité ecclésiastique de la fin du xive siècle. D’ailleurs, le rôle considérable qu’il joua dans les crises politiques et religieuses de cette époque, les éminentes dignités ecclésiastiques dont il fut revêtu sont suffisamment connus. Nous nous contenterons de rappeler les principales dates de sa biographie. Les auteurs s’accordent à placer le lieu de naissance de Simon de Cramaud à Cramaut près Rochechouart (auj. Cramaux, Haute-Vienne) et la datent vers 1340. Il passa les premières années de sa vie à l’abbaye de Saint-Lucien de Beauvais, fut nommé maître des requêtes de Charles VII, puis chancelier de Jean duc de Berry, comte de Poitou, qui le fit pourvoir, le 16 juin 1382, de l’évêché d’Agen, dont il se démit peu de temps après. Bertrand de Maumont, évêque de Poitiers, étant décédé le 12 avril 1385, fut remplacé par Simon, grâce à l’influence du duc. Il occupa ce siège pendant moins de quatre ans. Clément VII l’appela auprès de lui et lui confia l’évêché d’Avignon en 1389, puis le nomma patriarche d’Alexandrie et administrateur du diocèse de Carcassonne. Après la mort de ce pape, le schisme n’ayant fait que s’affirmer, Simon de Cramaud fut au premier rang des personnages qui s’employèrent à le faire cesser ; il présida le concile national de Paris réuni par ordre de Charles VI, et plusieurs autres, remplit différentes missions auprès des papes de Rome et d’Avignon, auprès d’Henri II, roi de Castille, et de Richard II, roi d’Angleterre. En récompense des services qu’il lui avait rendus au concile de Pise (avril 1409), le pape Alexandre V fit élever Simon de Cramaud au siège archiépiscopal de Reims (15 décembre 1409). Puis Jean XXIII, à la demande de Charles VI, le créa cardinal (1412). L’année d’après, allant à Rome recevoir le chapeau, il fut nommé évêque de Préneste et administrateur de l’Église de Poitiers, qu’il avait toujours affectionnée comme sa patrie, et dont l’évêque, Pierre Trousseau, le remplaça à l’archevêché de Reims. Après avoir pris part au fameux concile de Constance, où son autorité prévalut souvent, Simon se retira dans son diocèse, où il passa paisiblement les dernières années de sa vie. Il mourut vers le 15 décembre 1422, disent les uns, en 1429, affirment les autres. Jean Besly, qui tient pour cette dernière date, dit que Simon de Cramaud fut inhumé dans l’église cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, et il rapporte son épitaphe, où on ne lit aucune indication d’année. (Des Évêques de Poitiers, Paris, 1647, in-4°, p. 191.) — Voy. aussi pour la biographie de Simon de Cramaud, Du Puy, Histoire du schisme d’Avignon, etc., Paris, 1654, in-4° ; Dreux du Radier, Bibliothèque hist. et critique du Poitou, in-12, 1754, t. I, p. 382 ; M. l’abbé Auber, Mém. de la Société des Antiquaires de l’Ouest, ann. 1840, p. 249.

Le patriarche d’Alexandrie avait d’autres possessions en Poitou, outre celles qu’il acquit de Morinot de Tourzel, comme on le voit ici, entre autres la Chapelle-Belloin, dont il fit don à son frère Pierre. Nous donnerons, à la date de décembre 1394, le texte de l’acquisition qu’il fit de la duchesse d’Anjou, des terres et seigneuries de la Roche-Rigault et de Ranton en Loudunais. Le 12 avril 1397 encore, il acheta de Gérard de Maumont, seigneur de Tonnay-Boutonne, la terre de Nouzilly dans le même pays, acte ratifié, le 19 juin suivant, par Jean de Beaumont. (Coll. dom Fonteneau, t. II, p. 189, extrait des arch. de la cathédrale de Poitiers.) Les archives de la Vienne contiennent divers titres de Simon de Cramaud, en qualité de seigneur de Nouzilly, et la donation faite par lui en 1402, au chapitre de l’église cathédrale de Poitiers, de la terre de Pouant près Berrie, dans la châtellenie de Loudun, de dîmes à Nouzilly, etc., pour la dotation de la psallette qu’il venait de fonder en ladite église. (Série G. 257 et 258.) D’autres actes relatifs à cette fondation et à Simon, évêque de Poitiers, sont conservés dans la collection de dom Fonteneau. (Voy. la table des manuscrits de cette collection, dressée par M. Rédet, p. 311, 312, 315, 317, 318 et 321.) Dans une note touchant un neveu du cardinal, imprimée quelques pages plus loin, on verra que Simon de Cramaud et une partie de sa famille étaient complètement établis en pays poitevin.