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MCCCCIX

Rémission accordée à Jean et Savin Viault, coupables d’homicide. Étant intervenus auprès d’un compagnon de guerre passant par le pays, pour lui faire rendre les souliers qu’il avait pris à un pauvre enfant de Saint-Savin, attaqués par celui-ci et obligés de se défendre, ils l’avaient frappé d’un coup mortel.

  • B AN JJ. 199, n° 519, fol. 325
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 32-35
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons, etc. nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan et Savin Viaulx, frères, laboureurs, enfans de Clement Viault, demourant en la chastellenie de Saint Savin, contenant que, le premier jour de ce present karesme, vint à leur hostel de la [p. 33]Formelière1 ung jeune enfant, nommé Denis Duvergier, querir de l’uylle, pour ce qu’ilz la font à leurdit hostel, et en s’en retournant d’icelluy, ung crugeon d’uylle en ung sac à son col, rencontra ung compaignon passant chemin qui venoit devers Saint Savin, duquel l’on ne scet autrement le nom, qui estoit en habit d’omme de guerre, vestu court d’une jaquete, une grant espée à son col, avecques ung petit manteau et une bougette troussée à son espée et une dague à sa sainture et ung becquet en un exsil2 en sa main, lequel becquet il avoit osté celluy jour à ung marchant de poisson du Blanc en Berry. Lequel compaignon retourna ledit Denis, qui s’en alloit audit lieu de Saint Savin dont il est, jusques au droit dudit lieu et hostel de la Fornollière, oultre son gré et volenté en le faisant tomber devant luy, et lui disoit qu’il lui monstreroit le chemin pour aler à Ingrande près ledit Blanc en Berry, et que s’il couchoit dehors, si seroit il avecques luy, et auquel Denis il osta ses soliers, comme il disoit. Et quant ledit Denis Duvergier, qui est jeune enfant de l’aage de xii. ans ou environ et avoit peur dudit compaignon qui le menast plus loing, pour ce qu’il estoit tart, fut endroit le village de la Fornollière ou chemin, il s’en fouit audit villaige jusques au dedans d’une clye près et au rez des maisons. Auquel Denis lequel compaignon dist lors : « Tu m’as trompé », et ledit Denis lui dist : « Rendez moy mes souliers ». Lequel compaignon lui fist response qu’il n’en feroist rien, s’il ne lui monstroit le chemin. Et alors ung nommé Jehan de Faugères, qui illec estoit auprès dudit village, au dedans d’un champ, qui estoit aussi allé querir de l’uylle et parloit audit Clement, père desdiz supplians, qui illec besoignoit, dist audit compaignon qu’il rendist les solliers audit Denis, qui estoit povre enfant orfelin. Lequel compaignon fist responce [p. 34] en manière de rigueur audit de Faugères, en lui disant : « Viens les querre toy mesmes », et peu après ledit Clement, père desdiz supplians, s’en alla à leur maison et dist à iceulx supplians ses enfans, qui estoient en leurdit hostel, telles paroles ou semblables : « Il est illec passé ung compaignon qui a osté les soliers à ce pauvre enfant, qui estoit icy venu querir de l’uylle, lequel est là dehors où il pleure. Vous ferez bien d’aler après à luy demander les souliers dudit enfant, qui est povre orfelin, et lui dire qu’il les lui vueille rendre, et il fera bien. » Lesquelles parolles ledit Clement Viaut dist à sesdiz enfans, sans penser en nul mal. Et incontinant les dis supplians, qui sont bons laboureurs et de très bonne renommée, sans estre brigueurs, noyzeux, murtriers ne bateurs de gens, allèrent après ledit compaignon, ung peu avant soulleil couchant, sans porter ne avoir avecques eulx aucuns ferremens, fors que ung petit baston blanc de la longueur de quatre pyez ou environ, que ledit Jehan suppliant avoit en sa main. Et quant ilz l’eurent aconsceu et furent près dudit compaignon, lequel estoit arresté auprès du chemin où il parloit à ung petit garson, ilz lui distrent telles parolles ou en substance : « Galant, rendés les souliers que vous avez osté à ung pouvre enfant illec ou chemin. » Lequel compaignon alors tout rigoureusement leur dist : « Que randré je ? » et incontinant print une pierre en sa main et son espée en l’autre, et jecta sondit manteau ou bougette à terre, en regnyant Dieu qu’il les turoit, et venant contre eulx. Lesquelz supplians, voyans que ledit compaignon estoit mal esmeu et ainsi venoit contre eulx, se recullèrent en eulx voulant retourner, et en eulx recullant ledit compaignon gecta une pierre qu’il avoit en sa main contre eulx, de laquelle il frappa ledit Jehan suppliant parmy la cuisse ; lequel soy voyant estre frappé tellement qu’il ne povoit bonnement fouir, se bessa pour prandre une pierre pour gecter audit compaignon ; mais [p. 35] ledit compaignon s’aproucha de lui et de l’espée qu’il avoit ou poing, frappa ledit suppliant dessoubz l’aisselle soubz la tetyne, tellement que ladicte espée entra demy pié dedans, ainsi que dient les barbiers qui l’ont visité, tellement que par le moien dudit coup il est allé de vie à trespassement3. A l’occasion duquel cas, lesdiz supplians doubtans rigueur de justice, se sont absentez, etc., et n’y oseroient, etc., se noz grace, etc. Pour quoy, etc., voulans, etc., ausdiz supplians avons le fait et cas dessus declaré quicté, remis et pardonné, etc., avec toute peine en quoy, etc. Si donnons en mandement au seneschal de Poictou, etc. Donné à Saumur, ou mois de mars l’an de grace mil iiiic lxiiii, et de nostre règne le iiiie.

Signé : Par le conseil. Gautier.


1 Sic. Le nom de ce village est écrit plus bas, dans ce même acte, la Fornollière. L’orthographe actuelle est la Fernaulière.

2 Pinces, dites aussi bec-d’âne ou de cane, dans une gaine.

3 Sic. L’omission par le scribe de quelque membre de phrase, essentiel au sens, intervertit complètement les rôles. L’on doit comprendre, suivant toute vraisemblance, que l’un des deux frères Viaut désarma le compagnon et de l’épée qu’il lui avait enlevée lui porta le coup mortel.