MCCCCLXXXVI
Rémission octroyée à Denis Berthelot, prêtre, et à Olivier Joulain, son clerc, qui avaient révélé à la justice la fabrication, à laquelle ils avaient pris part, de faux titres destinés à favoriser les habitants de Saint-Jean-de-Monts dans un procès qu’ils soutenaient contre le seigneur de la Garnache.
- B AN JJ. 196, n° 169, fol. 105 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 235-246
Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Denis Berthelot, prebstre, demourant à Chavaignes près Montagu ou diocèse de Luçon, et Olivier Joulain, clerc, demorant à Couex oudit diocèse, contenant que, ou moys de septembre dernier passé a eu troys ans ou environ, ledit Denis suppliant estoit lors demourant à [p. 236] Couex en la chastellenie d’Aspremont, et estoit ledit Olivier son clerc et serviteur, aussi suppliant, et s’en alla icellui Denis au lieu de Nostre Dame de Rié, au jour d’une foire illec pieça ordonnée et assignée à tenir oudit moys de septembre ou environ, pour certaines ses affaires, où il rencontra, entre autres personnes de cognoissance, Jehan Nicolas et Guillaume Nicolas1, son filz, lors tous deux demourans en la parroisse Saint Jehan de Mons, avecques lesqueulx il avoit cognoissance. Et après ce qu’ilz se furent illecques rencontrés et qu’ilz eurent plusieurs parolles ensemble, lesdiz Nicolas ou l’un d’eux, l’autre present, luy dirent qu’ilz avoient grant confience en luy et le repputoient pour secret homme et qu’ilz avoient neccessairement à luy dire certaines grans choses secretes, dont ilz et autres habitans des Maroies de Mons avoient à besongner, et que, s’il leur vouloit promettre de les tenir secrètes, ilz les diroient et le contenteroient de ce qu’il feroit pour eulx à son plaisir, et que s’ilz pooient venir à leur entencion que jamais ilz n’auroient souffreté de rien. Et à l’occasion de ce que lesdiz Nicolas luy avoient fait certain plaisir et service touchant la cure dudit lieu de Couex et que par eulx n’estoit demouré qu’il feust curé, il leur octroya que de chose qui luy deissent il ne les descouveroit, et leur feroit tout le plaisir à luy possible. Et après toutes ces parolles, lesdiz Nicolas, quoy que soit l’un d’eux en la presence de l’autre, luy dirent en effet que eulx et les autres habitans des bailliages de Mons [p. 237] avoient ung gros procès en la court de Parlement contre le seigneur de la Ganasche2, à l’occasion de la taille de corps de omme, qu’il leur demendoit, laquelle taillée leur estoit très fort prejudiciable, et tellement qu’ilz estoient tous deliberés de plus tost laisser le païs et leurs biens et demourances que la payer et continuer3 ; et pour à ce [p. 238] obvier, leur estoit besoing, ainssi qu’ilz disoient, avoir trouvé par conseil certaines lettres, savoir est l’une d’un [p. 239] nommé Maurice de Belleville, qu’ilz disoient avoir esté en son temps seigneur de la Granasche, et d’une dame dudit [p. 240]lieu, nommée Beatrix ou Ysabeau4, autrement ne s’en recorde ledit Denis suppliant, pour monstrer que ladicte taillée de corps d’omme avoit esté par lesdiz seigneur et dame remise ausdiz habitans de Mons à huit solz tournois pour chacun feu seullement. Et pour ce que lesdiz Nicolas savoient que ledit Denis suppliant avoit cognoissance avecques deux autres, nommés l’un Petit Jehan [p. 241] Grosselayne et l’autre Olivier Meriem, tous deux Bertons, qui besongnoient lors de leur mestier au lieu de Chalans, iceulx Nicolas dirent audit Denis suppliant qu’ilz le prioient et requeroient, sur tous les plaisirs qu’il leur vouldroit jamais faire, qui lui pleust parler ausdiz peantres5 et savoir à eulx s’ilz vouldroient entreprendre de leur faire et escrire lesdites lettres, en manière qu’elles ressemblassent estre lettres enciennes et valables à leur entencion oudit procès, jouxte les minutes qu’ilz bailleroient audit Denis suppliant, et les dater des dates de certaines autres viegles lettres qu’ilz avoient du temps des diz seigneur et dame, et que s’ilz y vouloient besongner, ilz les payeroient à leur plaisir et à l’ordonnance dudit Denis, suppliant. Oyes lesquelles parolles et requestes ainsi faictes par lesdiz Nicolas audit Denis suppliant, luy, considerant les plaisirs qu’ilz s’estoient deliberez luy faire et faire faire touchant ladicte cure de Couex, et aussi les grans biens qu’ilz luy promettoient, ignorans l’effect desdictes lettres, quoyquessoit ce qui povoit ensuir, a octroyé ausdiz Nicolas que pour eulx et leurs amys il feroit tout ce qu’il pouroit et qui luy seroit possible. Et pour ce qu’il avoit ja cognoissance ausdictes parties6 et se tenoit fort et seur d’eux qu’ilz feroient pour luy tout ce dont il les requerroit, dist dès lors ausdiz Nicolas qu’il leur fineroit bien desdiz paintres et les feroit bien venir et rendre à sa maison audit lieu de Couex, toutesfoys et quantes qu’il leur manderoit ; et illec fut concleu entre luy et lesdiz Nicolas qu’il parleroit ausdiz paintres et leur assigneroit jour à eulx rendre à sadicte maison, pour besongner èsdictes lettres ; auquel jour lesdiz Nicolas se rendroient, garniz de leurs dictes lettres anciennes et minutes. Pendent lequel terme, ledit Denis suppliant retourna à sadicte [p. 242] maison et escrivy ausdiz paintres, eulx estans audit lieu de Chalans, par [le moyen de laquelle lettre7] ledit Olivier Meriem, l’un desdiz paintres, se rendit à l’ostel dudit suppliant, ou pareillement s’estoient lors, n’avoit guères, rendus lesdiz Nicolas ou l’un d’eulx, qui s’atendoient illec trouver lesdiz paintres, deliberés de besongner èsdictes lettres ; et eulx estans ensemble en l’ostel dudit Denis, suppliant, il les approucha et feist parler ensemble et eulx accorder de ladicte besongne. Et fut lors prins et assigné autre jour entre eulx, pour se rendre derechief oudit hostel, savoir est lesdiz Nicolas et ledit Meriem et sondit compaignon, et atant se departirent lors. Et audit jour ainsi assigné entre eulx, lesdiz Nicolas ou l’un d’eux se rendirent de heure competente et lesdiz paintres non, et convint audit Denis, suppliant, les renvoier querir, ce qui fut fait par ledit Olivier, son clerc, aussy suppliant, aux despens desdiz Nicolas. Et se rendirent lesdiz paintres oudit hostel celuy jour, environ heure de neuf heures de nuyt, et eulx arivez illec, après ce qu’ilz eurent souppé avecques lesdiz Nicolas et Denis, suppliant, parlèrent derechief de la manière de besongner èsdictes lettres, et monstrèrent lesdiz Nicolas ausdiz paintres, present ledit Denis suppliant, certaines viegles lettres en parchemin et certaines minutes en papier, qui estoient l’effect desdictes lettres qu’ilz vouloient leur estre contrefaictes et mises en euvre par lesdiz paintres, pour eulx en aider et lesdiz autres habitans de Mons en leurdicte cause contre ledit seigneur de Rohan, tendant à demourer quictez et …8 de ladicte taille de corps d’omme pour la somme de huit solz tournois pour chacun feu. Lesquelz paintres firent responce ausdiz Nicolas et Denis, suppliant, qu’ilz feroient bien lesdictes lettres et tout ce qui y seroit neccessaire, maiz [p. 243]qu’ilz vouloient savoir quel salaire et payement ilz en auroient. A quoy leur fut respondu par les dessusdiz qu’ilz les payeroient à l’ordonnance dudit Denis, suppliant, et desdiz paintres. Dont lesdiz paintres furent très bien contens, et soubz ladicte promesse octroièrent de besongner à faire lesdictes lettres. Et dès le lendemain, demandèrent lesdiz paintres à avoir du parchemin pour faire lesdictes lettres, dont ledit Denis, suppliant, fist provision, et aussi de escritoire garnie. Et ce fait, ledit Olivier Meriem, l’un desdiz paintres, commença à besongner èsdictes lettres en la presence dudit Denis, suppliant, qui luy nommoit les moctz contenus èsdictes minutes en papier et luy nommoit les dates escriptes èsdictes viegles lettres, et ledit paintre escrivoit au plus près de la forme de l’escripture desdictes viegles lettres, et estoient lesdites minutes en ancien languaige poictevin ; et illec mirent ainsi en forme deux lettres, savoir est l’une en françoys et l’autre en latin. Lesquelles lettres ainsi faictes furent baillées à l’un desdiz Nicolas, n’est recors auquel, par deux foiz pour les porter à Jehan Audoier et Guillaume Cadou, qui faisoient la poursuite dudit procès, affin de les veoir et de savoir avec eulx si elles estoient bien ou non ; dont, à la première desdites fois, lesdiz Nicolas ou l’un d’eux les rapportèrent bien corrigées, et à l’autre foiz furent trouvées bien faictes. Et pour ce qu’il ne souffisoit pas, se lesdites lettres ne estoient aussi seellées, lesdiz paintres prindrent et coppèrent la queue d’une viegle lettre seellée en cire vert des armes dudit seigneur ou dame, n’est ledit Denis, suppliant, recors dequel, et en seellèrent l’une desdites lettres par eulx faictes et collèrent ladicte queue par manière qu’il n’y apparoissoit nulle incision ne rupture ; et à l’autre lettre firent ung seel tout neuf de vielle cire d’autres vieulx seaulx à traiz de pinceau sur la table ; et à ce faire vacquèrent lesdiz paintres par l’espace de huit ou dix jours ou environ. Lesquelles [lettres] ainsi contrefaictes et contreseellées [p. 244] par lesdiz paintres furent par eulx baillées et rendues ausdiz Nicolas ou à l’un d’eulx, qui les emporta, et bailla audit Denis, suppliant, certaine somme d’argent, tant pour le salaire desdiz paintres que pour la despence, pour eulx et lesdiz Nicolas, à l’ostel dudit Denis, suppliant. Et pour ce que, pendent ledit temps, ledit Denis, suppliant, et lesdiz paintres et Nicolas ne se peurent bonnement passer du service dudit Olivier Jouslain, aussi suppliant, lors clerc dudit Denis, suppliant, qui lisoit et escrivoit, et que en le servant et allant et venant vers eulx povoit veoir et lire le secret desdites lettres, s’advisèrent entre eulx de parler à luy et luy descovrirent la matière et luy firent faire serment de n’en dire mot, ce que ledit Olivier, suppliant, fist voluntiers, en obeissant à son dit maistre. Depuys lesquelles lettres ainsi contrefaictes, lesdiz supplians, voians à l’occasion de ce grandement chargées leurs consciences, pour eulx en descharger, ont revellé le secret de ladicte matière à justice, c’est assavoir à nostre amé et feal Loys de Rezay9, chevalier, à maistre Loys Tindo10, [p. 245]cappitaine et senechal dudit lieu de la Ganache, et à autres gens de justice, affin qu’elle fust adverée et leurs consciences par ce moyen dechargées. A l’occasion duquel cas, lesdiz supplians, doubtant estre pugniz par justice corporellement, tant en nostre court de Parlement, où ledit procès est pendant et ledit Denis, suppliant, tenu prisonnier, et icellui Olivier, aussi suppliant, adjourné personnellement, comme en autres cours et juridicions où ilz pourroient estre apprehendez, se noz grace et misericorde ne leur estoient sur ce imparties, en nous humblement requerans, attendu que iceulx supplians ne furent jamais actains ne convaincuz d’autres villains cas, blasme ou [p. 246]reprouche, et que en ce faisant ilz ne cuidoient aucunement mesprendre, il nous plaise sur ce leur impartir nosdites grace et misercorde. Pour quoy nous, etc., à noz amés et feaulx conseilliers les gens tenans et qui tendront noz Parlemens à Paris et à Poictiers, au seneschal de Poictou et à tous, etc.11. Donné à Notre Dame de Selles, ou moys d’avril l’an de grace mil cccc.lx. et dix après Pasques, et de nostre règne le neufiesme.
Ainsi signé : Par le roy, le gouverneur de Rousillon12 et autres presens, de Serizay13. — Visa. Contentor. De Fontaines.