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MCCCCXIII

Rémission octroyée à Louis Chasteigner, écuyer, qui, dans une discussion d’intérêt dégénérée en rixe, avait frappé mortellement d’un coup de dague son beau-père, Guillaume Maynaut.

  • B AN JJ. 202, n° 15, fol. 10
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 39-43
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble [p. 40] supplicacion de Loys Chasteigner1, escuier, demourant au village de Malevaut près Cherveux en Poictou, contenant que jà pieça feu Jehan Chasteigner et Jehanne Baussaise2, père et mère dudit suppliant, furent conjoincts ensemble par mariage, desquelz et de leur dit mariage yssirent et furent nez plusieurs enffans et entre autres ledit suppliant ; lequel Jehan Chasteigner, père dudit suppliant, aucun temps après ala de vie à trespas, delaissant ladicte Jehanne, sa femme et ledit suppliant ; laquelle Jehanne fut depuis conjoincte par mariage avecques Guillaume Maynnaut, desquelz et de leurdit mariage yssit Georgete Maynnaude, seur uterine dudit [p. 41] suppliant. Durant lequel mariage, lesdiz Guillaume Maynnaut et sa femme, mère dudit suppliant, et aussi icellui suppliant ont demouré par long temps ensemble en ung hostel assis oudit village de Malevaut, qui est l’eritage de ladicte Baussaise ; pendant lequel temps est advenu que icellui suppliant, qui est vaillant homme et a suivy les guerres à l’occasion des divisions qui puis naguères ont eu cours en ce royaume, s’est mis sus par nostre ordonnance, comme les autres nobles du païs, tant pour lui que pour ledit Maynnaut, son payrastre, et s’est tenu ou chasteau du Couldray Sallebart avec autres, pour la garde d’icellui, où il a tousjours esté à ses despens, sans avoir fait ne commis aucune chose digne de reprehencion, et jusques au xiime jour de ce present moys, que icellui suppliant ala audit lieu de Malevaut, ouquel semblablement arriva ledit Maynnaut, son payrastre, qui amena ladicte Georgete, sa fille, lequel l’estoit allée querir au lieu de Gagemont près Mele en Poictou ; ausquelz ledit suppliant fist bonne chère et baisa ladicte Georgete, sa seur, et dist que l’on mist plus largement de la viande au feu pour soupper. Et eulx estans illec, se meurent parolles entre lesdiz Guillaume Maynnaut et suppliant, à l’occasion d’un mur qui jà pieça avoit esté encommancé en ung hostel que avoit sadicte mère au lieu de Saint Giles près Nyort, pour ce que ledit mur n’estoit parachevé, et de ce donnoit charge ledit Maynnault audit suppliant ; lequel suppliant, en soy deschargant, dist gracieusement audit Maynnaut qu’il n’avoit peu faire parachever ledit mur parcequ’il avoit esté, comme dit est, à la garde dudit chasteau du Couldray. Laquelle excusacion ledit Maynnault ne print pas bien en gré, et se courroussèrent l’un contre l’autre très fort et tellement que icellui suppliant dist audit Maynnaut qu’il avoit fait vendre à sa femme, mère dudit suppliant, certaines pièces de son heritaige, et que c’estoit mal fait à lui. A quoy ledit Maynnaut dist [p. 42] qu’il lui en feroit encores vendre, dont icellui suppliant sa courroussa très fort, et en parlant l’un à l’autre, ledit Maynnaut par derrision dist audit suppliant tel mot ou semblable : « Trut », et aussi dist ledit suppliant à icellui Mainnault : « Mais trut pour vous ! » Et ce dit, icellui Maynnaut, meu de mauvais courage, print son espée qu’il avoit illec près et la tira nue, et d’icelle s’efforça en bailler ung coup d’estoc audit suppliant ; et ce voyant, ledit suppliant tira sa dague, qu’il avoit à sa sainture, qu’il avoit acoustumé porter et destourna le cop de ladicte espée, en soy deffendant et, ledit cop destourné, doubtant que encores il retournast pour le frapper de ladicte espée, meu et eschauffé, frappa ledit Maynnaut de ladicte dague ung cop en la poictrine ; à l’occasion duquel icellui Maynnaut, par faulte de bon gouvernement ou autrement, certain temps après, est alé de vie à trespassement. Pour occasion duquel cas, ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et n’y oseroit jamais retourner, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, ainsi qu’il dit. Et pour ce nous a humblement fait supplier et requerir que, attendu que ledit cas est advenu par chaude cole et par fortune, aussi que ledit feu Guillaume Maynnaut fut agresseur et non pas ledit suppliant, et que en tous autres cas icellui suppliant a esté de bonne fame et renommée, et ne fut jamais actaint ne convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, il nous plaise sur ce lui impartir nos dictes grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit suppliant, ou cas dessus dit, avons quicté, remis et pardonné, quictons, remettons et pardonnons, de grace especial, plaine puissance et auctorité royal, par ces presantes, le fait et cas dessus dit, avecques toute peine, amende et offence corporelle, criminelle et civille en quoy il pourroit estre, à la cause dessus dicte, encouru envers nous et justice, avec tous [p. 43] bans, appeaulx et deffaulx, si aucuns estoient pour ce ensuiz, et l’avons restitué et restituons à ses bonne fame et renommée, au païs et à ses biens non confisqués ; et sur ce imposons silence perpetuel à nostre procureur, present et avenir, et à tous autres, satisfacion faicte à partie civillement tant seullement, si faicte n’est. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou ou à son lieutenant et à tous noz autres justiciers, ou à leurs lieuxtenans, presens et advenir, et à chacun d’eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace, quictance, pardon et remission ilz facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joyr et user plainement et paisiblement, sans lui faire ou donner, ne souffrir estre fait ou donné, en corps ne en biens, ores ne pour le temps advenir, aucun destourbier ou empeschement au contraire, ainçoys, se son corps ou aucuns de ses biens, meubles ou immeubles, sont ou estoient pour ce prins, saisiz, arrestez ou aucunement empeschez, les lui mettent ou facent mettre à plaine delivrance. Et afin que ce soit chose ferme et estable à tousjours, nous avons fait mettre nostre seel à ces presentes. Sauf en autres choses nostre droit et l’autruy en toutes. Donné à Orleans, ou moys de novembre l’an de grace mil cccc. soixante cinq, et de nostre règne le cinquiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. N. Dubrueil. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Louis Ier Chasteigner, seigneur de Malvault, du Bourgneuf, etc., né vers 1411, fils de Jean III Chasteigner, seigneur de Prinçay (1355-1425), et de Jeanne de Baussais (cf. la note suivante), mourut à un âge avancé, antérieurement au 19 juin 1490. Il avait épousé, vers 1440, Catherine de Saint-Aubin, fille d’Aimery, seigneur de la Blouère, et de Catherine d’Aine, dont il eut Pierre, seigneur de la Blouère, et Antoine, seigneur de Malvault. André Du Chesne cite ces lettres de rémission du mois de novembre 1465. (Hist. généal. de la maison des Chasteigners, Paris, 1634, in-fol., p. 570.)

2 Famille noble des environs de Saint-Maixent, dont le nom patronymique paraît avoir été Girard, et qu’il faut se garder de confondre avec les Bauçay du Loudunais. La seigneurie dont elle prit le titre est Baussais, qui fit successivement partie de la prévôté de Melle, puis de la sénéchaussée de Saint-Maixent. Jeanne était la fille cadette de Jean Girard, dit de Baussais, chevalier, seigneur de Baussais, Galardon, la Motte-Bigot, etc., et de sa seconde femme, Thomasse de Vaux, dame de Malvault en la paroisse de Cherveux. Elle avait une sœur, nommée aussi Jeanne, née du premier mariage de Jean avec Aiglantine Pichier, dame de Galardon, ce qui donna lieu à quelque confusion, et un frère prénommé aussi Jean, qui décéda jeune, probablement sans alliance, au château de Melle, entre le 17 février et le 24 août 1407. Après sa mort, le fief de Baussais paraît avoir été partagé entre ses deux sœurs ; car à la date du 24 août 1407, on trouve un aveu de Jean de Montfaucon, chevalier, seigneur de Saint-Mesmin, pour partie de l’hébergement de Baussais, mouvant de Melle, qu’il tenait à cause de sa femme, Jeanne de Baussais, l’aînée, héritière depuis peu de son frère Jean, aveu renouvelé le 27 septembre 1418, et à la date du 22 juin 1422, un autre aveu de Jean Chasteigner, à cause de Jeanne de Baussais, la cadette, sa femme, de moitié du même hébergement, relevant alors de Saint-Maixent. (Arch. nat., R1* 2172, p. 724 ; R1* 2173, p. 1705 ; P. 1145, fol. 113 et 116) Jeanne la cadette, devenue veuve, s’était remariée, avant le 6 mars 1430, à Guillaume Maynaud, dit Souchier, écuyer, seigneur de Gagemont près Melle, lequel mourut de la main de son beau-fils, comme on l’apprend par le présent acte. (Cf. Dict. des familles du Poitou, 2e édit., t. I, p. 390.)