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MCCCCLXX

Rémission octroyée à Jean Merceron, collecteur des aides et tailles en la paroisse des Magnils près Luçon, coupable du meurtre d’Amaury Marpaut, l’un des hommes de guerre qui occupaient alors le prieuré de Barbetorte, qu’il avait surpris en flagrant délit de vol dans sa maison.

  • B AN JJ. 196, n° 32, fol. 21
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 192-197
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Merceron1, aagé de cinquante cinq [p. 193] ans ou environ, demourant ou bourg des Maignilz Reigner près Luçon, contenant que icelui supliant est pur lay, laboureur, chargé de femme et enfans en grant nombre, et a tousjours depuis son jeune aage vesqu bien et doulcement entre ses voisins, sans estre reprouché, blasmé, actaint ne convaincu d’aucun villain cas ou reprouche ; et en l’année derrenière passée, a esté commis et ordonné par les esleuz en Poictou commissaire et collecteur des tailles et aides en ladicte parroisse des Maignilz, que il et autres commissaires ont commancé à lever et lèvent par chacun jour, et pour ce que, entre les festes de Toussains et de Noel dernierement passées se meut debat entre ung nommé frère Jehan Fricon et ung autre religieux de l’ordre de Grantmont, pour raison du prieuré de Barbetorte, se sont venuz loger oudit prieuré, qui est près et joignant dudit lieu des Maignilz, quinze ou vingt compaignons gens de guerre incongneuz et de diverses nacions, et tousjours ont demouré oudit lieu de Barbetorte jusques au dimenche penultime jour de juillet derrenier passé, pendant lequel temps lesdiz gens de guerre, entre lesquelz estoit ung nommé Amorry Marpaut, ont vesqu oudit [p. 194] prieuré de vie dissolue. Et parce que les fruiz et revenues dudit prieuré, qui ne valent par an que trante cinq ou quarente livres de rente ou environ, ne suffisoient pour le vivre et entretiennement desdiz gens de guerre et autres estans oudit prieuré, ilz se sont transportez par plusieurs et diverses foiz oudit village et bourg des Maignilz, et mesmement la dernière sepmaine devant la feste de Noel dernière passée, ung nommé le bastart Pierre Roy2, ledit Amorry Marpaut, ung petit page et avec eulx une femme de peché, leur chambrière, nommée Guillemine, et y amenèrent aussi leurs chevaulx. Ung jour de ladicte sepmaine, environ souleil couchant, se transportèrent à la maison dudit supliant, en laquelle ilz se logèrent avec partie de leurs chevaulx, mengèrent le souper d’icelui supliant et de ses gens, enfans et serviteurs, et contraignirent l’un des enfans dudit supliant et sa femme d’eulx en aler coucher hors ladicte maison chés ung de leurs voisins, et couchèrent ledit bastart et ladicte femme de peché en leur lit. Et le lendemain au matin lesdiz Roy et Amorry, qui s’en estoient alez coucher ailleurs oudit bourg, vindrent parler audit bastart3 lui dirent que lui et ladicte femme de peché estoient bien logez audit lieu et qu’ils viveroient aux despens de l’evesque de Luçon, seigneur dudit bourg ; et de fait alèrent percer les vins dudit evesque, qui estoient en sa maison dudit lieu. Et après ce, lesdiz Amorry Marpaut et le page ou valet dudit bastart alèrent par ledit bourg des Maignilz, pillèrent et robbèrent six ou sept boeceaux de blé qu’ilz portèrent chex ledit supliant pour leurs chevaulx, et par ce qu’ilz virent que ledit Merceron avoit grant mesnage, [p. 195] lesdiz gens de guerre avecques la dicte femme s’en alèrent chex Pierre Rouxelin, prebstre, où ilz demourèrent par aucun temps et vesquirent aux despens des manans et habitans oudit bourg des Maignilz, en grant confusion de biens et sans ordre ne mesure. Et d’ilec à huit jours après ensuivant, les aucuns desdiz gens de guerre, qui estoient demourez logez oudit prieuré de Barbetorte, vindrent de rechief à la maison dudit supliant, où ilz ne trouvèrent que les femmes d’icelle maison qui ne les congnoissoient point, et par force et violance prindrent une couverte de lyt et l’emportèrent audit prieuré de Barbetorte ; et tousjours depuis ont les diz gens de guerre continué leur forme de vivre, pillé et robbé lesdiz manans et habitans, tellement qu’il ne leur est demouré que bien pou de vivres, et par manière qu’ilz n’ont peu et ne povent paier les taux à quoy ilz sont tauxez pour les dictes tailles et paiement de noz gens de guerre. Et environ le xxiiiie jour du mois de juillet derrenier passé, se transportèrent audit lieu des Maignilz ledit Amorry Marpaut et quatre autres varletz de guerre, armez d’espées et de dagues, et allèrent à la maison dudit supliant où ilz ne trouvèrent aucunes gens, coururent après la poulaille et en prindrent trois chex (sic) et l’un d’eulx s’efforça d’arrecher la claveure ou ferrure d’un coffre qui estoit au pié du lyt dudit supliant ; lequel supliant estoit lors en une autre sienne maison près d’ilec de demy get de pierre, et oyt le bruyt que faisoient lesdiz gens de guerre en sadicte maison. Et alors icelui supliant, qui ne faisoit que venir des maroys et estoit fort lassé, se transporta en sadicte maison où estoient iceulx Amorry et autres compaignons de guerre, et trouva icelui Amorry qui tenoit en sa main lesdiz trois chex de poulaille, et l’un de ses compaignons se tenoit à arracher ladicte claveurre de sondit coffre, ouquel estoit tout son bien ; et mesmement y estoit l’argent qu’il avoit cueilly et amassé de nosdictes tailles ou aydes, et la commission et quictances des [p. 196] paiemens qu’il avoit fait desdictes tailles. Ausquelz qui rompoient ladicte claveure il dist qu’ilz se deportassent, et aussi dist audit Amorry qu’il laissast lesdiz trois chex de poulaille à lui apartenans, en lui disant qu’il et sesdiz compaignons en avoient assez eu ou temps passé. Et sans ce que icelui supliant eust aucun baston, se print à ladicte poulaille, en disant audit Amorry, qu’il ne l’emporteroit point. Lequel Amorry tira son espée et frapa ledit supliant sur le braz et s’efforça d’encores plus le fraper ; et lors ledit supliant, doubtant que ledit Amorry le bleçast de ladicte espée, se recula en sadicte maison et print ung gros baston et poursuivy ledit Amorry, qui emportoit lesdiz trois chex de poulaille, jusques hors de ladicte maison, et lui dist de rechief qu’il laissast ladicte poulaille. Et ledit Amorry, qui avoit son espée toute nue, dist qu’il n’en feroit riens, et sur ce se combatirent ensemble tellement que ledit Amorry de sadicte espée trencha en plusieurs lieux le baston dudit supliant, et en soy combatant iceluy supliant donna et frapa de son dit baston sur la teste dudit Amorry ung seul cop et sur autres parties de son corps ung ou deux autres cops, autrement n’en est recors, pour ce qu’il estoit fort eschaufé et esmeu de grant chaleur. Et adonc ledit Amorry laissa ladicte poulaille et s’en ala de son pié dudit lieu où fut leur debat, jusques à la maison du curé dudit lieu des Maignilz, où estoient logez les chevaulx d’aucuns de sesdiz compaignons, et y a distance de l’un lieu à autre d’un traict d’arc et plus, et en s’en alant juroit et detestoit le nom de Dieu qu’il tueroit ledit supliant et qu’il en seroit revenché. Et après monta ledit Amorry sur l’un desdiz chevaulx et s’en ala audit lieu de Barbetorte et illec, deux ou trois heures après, par deffault d’avoir esté pensé ou autrement, est alé de vie à trespassement. A l’occasion duquel cas ledit supliant, doubtant estre aprehendé par justice, s’est rendu fuitif hors du païs et n’y oseroit jamais seurement retourner, converser [p. 197] ne repairer, se noz grace et misericorde ne lui estoient sur ce imparties, humblement requerant icelles. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit supliant avons quicté, remis, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou et à tous noz autres justiciers, etc. Donné à Tours, ou moys d’aoust l’an de grace mil cccc. soixante neuf, et de nostre règne le neufiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du Conseil. P. Aude. — Visa. Contentor. G. Duban. Et registrata.


1 Jean Merceron était de Saint-Pierre-du-Chemin et avait un frère aîné, Colas, qui exploitait une hôtellerie dans cette localité. Depuis longtemps la mésintelligence présidait à leurs rapports. Craignant les mauvais traitements de ce frère, Jean l’avait assigné en justice et ils s’étaient donné un « assurement » mutuel, comme c’était l’usage, non seulement pour leurs propres personnes, mais pour leur famille et leurs biens ; c’était un moyen, sinon de rétablir la paix entre eux, du moins d’éviter les voies de fait. Néanmoins, enfreignant cet assurément, Colas se livra à différents actes de violence au préjudice de son frère : il frappa la femme de celui-ci et la jeta à terre, si bien qu’elle dut garder le lit pendant un mois ; il fit tuer par ses chiens un porc appartenant à Jean, et il le battit lui-même à coups de bâton. La victime se plaignit en justice : Colas Merceron fut ajourné aux assises de Vouvant et le procureur du seigneur de Parthenay demanda contre lui une punition corporelle sévère, une amende de 500 livres et la prison fermée jusqu’au parfait payement, pour les excès par lui commis et surtout pour avoir enfreint l’assurément juré. Le 24 août 1444, les plaidoiries furent prononcées et les parfies renvoyées aux assises prochaines, pour entendre la sentence. L’année suivante, presque à pareil jour, le 23 août 1445, les deux frères se réconcilièrent et procédèrent à un accord que ratifia le juge de Vouvant. Dans ce procès, il est question aussi d’un Pierre Merceron, dont le lien de parenté avec les deux autres n’est pas indiqué (Arch. nat., R1* 204, 1er feuillet.) Mentionnons encore un François Merceron qui était poursuivi criminellement au Parlement de Paris, le 11 mai 1462, par Jean Gourin, curé de Saint-Mesmin-le-Vieil. (Id., X2a 31, à la date.)

2 Vers cette époque, vivait un Pierre Roy, curé de Saint-Carlais, paroisse depuis unie à celle de Brelou (acte de juillet 1464, mentionné par A. Richard. Inventaire des arch. du château de la Barre, t. II, p. 425), mais rien n’autorise à le croire père du personnage ici nommé.

3 Sic. Ce nom paraît devoir être remplacé par celui de Merceron, l’impétrant.