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MDXVII

Rémission octroyée à Jean Daniau, charpentier, né à Quinçay, franc-archer des paroisses de Saint-Jouin, de Taizé et de Martaizé, bigame parce qu’il croyait morte sa première femme, détenu prisonnier à Poitiers pour ce fait et pour le meurtre de Jean Juquet, franc-archer, son compagnon, qui lui avait cherché querelle et l’avait frappé le premier.

  • B AN JJ. 197, n° 238, fol. 132
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 349-354
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion des parens et amis charnelz de Jehan Danyau, pouvre homme, charpentier, natif de la parroisse de Quinçay près Poictiers, à present detenu prisonnier ès prisons dudit lieu, contenant que xxv. ans a ou environ que ledit suppliant fut premierement marié, audit lieu de Quinçay, avec une nommé Jevyne, fille de Clemens [p. 350] Herays. Et tantost après ledit suppliant et ladicte Jevyne, sa femme, s’en allèrent avec ledit Clemens ou païs de Normandie, et là ledit suppliant demoura en la compaignie de ladicte Jevyne, sa femme, l’espace de dix sept ans ou environ. Et peut avoir neuf ans ou environ que ledit suppliant s’en vint audit lieu de Quinçay veoir ses père et mère, où il demoura par certain temps et où il despendy ce qu’il avoit d’argent. Et pour ce que ledit suppliant n’avoit argent pour s’en retourner oudit païs de Normandie, à sa dicte femme, se mist avecques ung nommé Billard, charpentier, demourant à Poictiers, pour gaingner sa vie et argent pour s’en retourner. Avecques lequel Billard ledit suppliant demoura par certain temps, et ce pendant le mena à Saint Joyn de Marnes, pour faire certaine maison en l’abbaye dudit lieu, où ledit suppliant demoura après ledit Billard, son maistre, par certain temps, durant lequel survint ung homme qui mandyoit sa vie, qui se disoit venir dudit païs de Normandie et avoir eu bien congnoissance de la femme dudit suppliant, lequel asseura audit suppliant et afferma [ladite femme] estre allée de vie à trespas, et lui en donna de grans enseignes, dont ledit suppliant creut que ainsi feust. Et voyant icellui suppliant qu’il estoit veuf, par le conseil de ses amis, convola à secondes nopces avecques Guillemete Coquelle, demourant audit lieu de Saint Joyn, avec laquelle il demoura par ung an et demi ou environ. Et puis se mist avec Mathieu de Valepergue1, homme d’armes de nostre ordonnance, qui le mena en la guerre en nostre service ou voyage que l’on faisoit en Bourbonnoys et à Ancenys2. [p. 351] Et en passant par ledit païs de Normandie, ledit suppliant se tira au lieu de Rouen, où il avoit laissé sa première femme, cuidant trouver et veoir ung sien filz qu’il y avoit laissé. Et quant il fut audit lieu, on lui dit que ladicte Heraye, sa première femme, estoit encores en vie et demouroit à Saint Victor, où ledit suppliant se transporta, et illec il la trouva, où elle servoit ung changeur de Rouen, nommé Guillemin Rectou, où ledit suppliant se tint avec elle depuis la Toussains jusques à Noël prouchain ensuivant, qu’il revint audit lieu de Saint Joyn de Marnes, à sa seconde femme, avec laquelle il s’est tenu jusques à present, que sadicte première femme luy a envoyé lettres dudit païs de Normandie. Lesquelles lettres sont venues à la congnoissance de ladicte Guillemine Coquelle, sa seconde femme, laquelle l’a denoncé à justice. Aussi quatre ans a ou environ que ledit suppliant fut mis franc archier pour lez parroisses de Saint Joyn, de Taisé et de Martaisé ; et pour ce que Jehan Juquet, aussi franc archier dudit lieu de Saint Joyn, fut desplaisant dont l’on faisoit ledit suppliant franc archier en ladicte parroisse, voult pourchasser et s’en efforça l’en faire oster et y mettre ung certain autre, dont les fabriqueurs et parroissiens de ladicte parroisse ne vouldrent riens faire, et finablement y demoura ledit suppliant, et fut abillé et mis en point comme les autres francs archiers, dont3 ledit Juquet fut indigné contre ledit suppliant et dist et se venta à plusieurs personnes que ledit suppliant ne revindroit du voyage de Catheloingne4 où il leur convenoit aller. Et pour aller ou [p. 352] voyage audit lieu de Catheloingne, ledit suppliant, Estienne Baudoyn et ledit feu Juquet, tous francs archiers, se misdrent au chemin pour aller oudit voyage, acheptèrent ung cheval, pour porter leurs habillemens, et furent ensemble jusques à ung lieu nommé Donzenac et aussi la Tousche, et d’ilec, pour ce qu’ilz n’estoient bien logez, s’en allèrent, par le commandement de leur cappitaine, au lieu de Gorces près Lassac, où ledit suppliant, pendant ce que sesdiz deux compaignons oyoient messe, fist faire provision de vivres audit lieu de Gorces, en disant aux bonnes gens où ilz estoient logez : « Dilligentez vous d’apprester le disner. Veez ci mes gens qui viennent après moy. » Et tantost après, arrivèrent lesdiz Juquet et Baudoyn, et après ce qu’ilz eurent reppeu, envoyèrent ledit suppliant sur le cheval de leur hoste par devers leur cappitaine lui demander où il vouldroit qu’ilz allassent le lendemain ; ce que ledit suppliant fist. Et quand il fut retourné de devers ledit cappitaine audit logis où estoient sesdiz compaignons, ledit Juquet dist audit suppliant rigoreusement telles parolles : « Veulx tu estre nostre maistre ? » Et ledit suppliant respondy que non. Lequel Juquet de rechef dist audit suppliant en le desmantant, que si vouloit et qu’il avoit dit aux gens de l’ostel où ilz estoient logez, quant il y arriva, que l’on abillast à disner à ses gens qui venoient, comme si se feussent ses varletz. A quoy ledit suppliant respondit qu’il ne l’avoit pas dit en demonstrant avoir aucune preheminance sur sesdiz compaignons, mais seullement par bonne manière et en bonne intencion. Auquel ledit Juquet dist : « Tu lairras la chambrée ou je la lairay. » Et ledit suppliant lui [p. 353]respondy doulcement : « Ne la laissez point, car demain au matin je seray prest de m’en aller. » Et lesdiz suppliant, Juquet et Baudoyn, demourèrent ensemble jusques au soir et souppèrent ensemble joyeusement, sans faire aucune mencion des dictes premières parolles et noize desdiz suppliant et Juquet, fors icellui Juquet, qui tousjours estoit triste. Et quant ilz eurent souppé, ledit suppliant se leva et s’en alla devers le feu où il trouva ung billot de bois de la grandeur d’un pié en quarré ou environ, sur lequel les femmes se seoient, et icellui suppliant print entre ses mains ledit billot et demanda audit Juquet joyeusement s’il vouloit que eulx deux le gectassent par esbat et savoir qui le gecteroit plus loing. Lequel Juquet lui respondy qui n’y gecteroit point. Et quant ledit suppliant vit que ledit Juquet ne vouloit gecter ledit billot, ainsi que icellui Juquet5 tenoit ledit billot entre ses mains, cuidant le porter au coing de la cheminée, il lui eschappa, et en cheant frappa ung peu au braz dudit Juquet, lequel demanda audit suppliant qui l’avoit frappé. Lequel suppliant respondit que ce avoit il fait en laissant cheoir ledit billot, mais qu’il ne le cuidoit pas [faire] et lui en requist pardon. Mais rigoreusement ledit Juquet se leva de la table et jura le sang Nostre Seigneur, en disant audit suppliant : « Tu ne mourras d’autres mains que des miennes », et en ce disant frappa ledit suppliant de sa dague par deux coups sur la teste, tellement que du second coup il lui fist tumber ses chappeau et bonnet. Et lors ledit suppliant se leva dessus ung banq où il estoit sis et dist audit Juquet que ne le frappast plus, mais ce non obstant, ledit Juquet avec sadicte dague la mist au travers du corps dudit suppliant ; lequel se voyant ainsi estre blecié, tira sa dague et en bailla ung coup seullement audit Juquet parmi la cuysse. Et ce fait, ledit Juquet dist [p. 354] audit suppliant : « Tu m’as tué, mais tu ne le cuidoies pas faire. » Duquel coup, par mauvais gouvernement ou autrement, six jours après ou environ, ledit Juquet alla de vie à trespas ; et lui estant en l’article de la mort, envoya querir ledit suppliant et lui dist : « Mon compaignon, sans cause je t’ay frappé et t’en requiers pardon » ; et se pardonnèrent l’un à l’autre. A l’occasion duquel cas, ledit suppliant est durement traicté ès dictes prisons et en voye à ceste cause de miserablement finer ses jours, se sur ce ne lui estoient impartiz noz grace et misericorde, si comme ilz dient, en nous humblement requerant [que, attendu] qu’il a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans oncques mais avoir esté actaint et convaincu d’aucun autre villain cas, blasme ou reprouche, et qu’il a fait ledit omicide en soy deffendant, nous lui vueillons sur ce noz grace et misericorde preallablement impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, etc., audit suppliant avons lesdiz cas et chacun d’eulx, en tant que à nous est, quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, au seneschal de Poictou ou à son lieutenant et à tous noz autres justiciers, etc. Et afin, etc. Sauf, etc. Donné à Thouars, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. soixante douze, et de nostre règne le douzeiesme.

Ainsi signé : Par le conseil. Texier. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Mathieu de Valpergue figure en qualité d’homme d’armes de la compagnie de Louis de Crussol, sénéchal de Poitou, sur un rôle de montre, passé à Poitiers le 5 mai 1470. (Cf. ci-dessus, p. 96 et note.)

2 Ancenis avait été assiégé, par l’armée royale, à la fin de juin 1472, dès le début de la guerre déclarée à François II, duc de Bretagne ; la place fut prise le 7 juillet. (Histoire de Bretagne, par A. de La Borderie, continuée par B. Pocquet, in-4°, t. IV, p. 482.) Quant au Bourbonnais, on ne sait à quelle expédition il est fait allusion ici.

3 Le texte porte « que » au lieu de « dont ».

4 Il ne peut être question ici que de l’expédition préparée de mars à juin 1472 par Louis XI, à la demande du roi René, dont le petit-fils occupait la Catalogue contre Jean II d’Aragon, auquel il ne pouvait résister avec ses propres forces, expédition qui d’ailleurs n’arriva pas à destination et n’aboutit à aucun résultat. Le 12 mars 1472 n.s., le roi écrivait des Montils à René : « … J’ai ordonné d’envoyer iiic lances et iim archers en Roussillon et Cathelogne et en ai baillé la charge au sr du Lau, auquel ai ordonné qu’il ne s’en bouge jusques à ce que la cause ait fin. Et à ceste heure ay depensé tout ce qu’il y falloit, tant argent que autre chose. Et s’en part anuyt le mareschal du Dauphiné, qui les doit mener jusqu’en Roussillon, où il doit trouver le sr du Lau … » Au mois de juin suivant, Louis XI songeait à faire passer en Roussillon toutes les forces qu’il avait en Guyenne, mais finalement il ne donna pas suite à ce projet. (J. Calmette, Louis XI, Jean II et la révolution catalane, in-8°, p. 327.)

5 Sic. Lisez « suppliant » au lieu de « Juquet », qui n’a pu être écrit ici que par inadvertance.