MCCCCLXVIII
Rémission accordée à Guitière Desgroies, jeune fille de dix-huit ans, poursuivie comme complice de l’assassinat de René Colinet, perpétré [p. 187] à Benet par Michelle Péron, sa belle-mère, celle-ci ayant été condamnée à mort et exécutée pour ce crime.
- B AN JJ. 196, n° 127, fol. 72
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 186-189
Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Guitière Desgroies, jeune fille, aagée de xviii. ans ou environ, contenant que, troys ans a ou environ, ung nommé Regné Colinet estoit demourant avec Remond Robin, pour le servir et besongner du mestier de texier en linge, et pour le bon gouvernement que ledit Robin et sa femme virent dudit Colinet, deux ans a ou environ, traictèrent le mariage de lui et de Jehanne Robine, leur fille, et demoura ledit Colinet et sadicte femme en communaulté avec eulx par aucun temps, pendant lequel ledit Remond, qui est de bonne vie, aperceust que sadicte femme tenoit mauvaiz termes à ses enfans, dont il fut très fort courssé et en cheust au lict malade par bien longtemps, et au moien desdiz termes que leur tenoit Michelle Peronne1, femme dudit Remond, se departirent de ladite communauté et s’en alèrent demourer en une autre maison joingnant ; et durant ladicte societé, ainsi qu’il est [p. 188]notoire au lieu de Benet, icelle Michelle à tousjours tenu rigoureux termes à ladicte suppliante, tellement qu’elle ne savoit que devenir, sinon qu’elle penssoit tousjours à faire la volenté de ladicte Peronne, laquelle elle craignoit mout à courrousser, parce qu’elle avoit fait devenir fol le frère de ladicte suppliante et menger de la cervelle d’un chat. Et ce presupposé, ladicte suppliante, parce que icelle Michelle, environ la feste de Pasques derrenière, avoit trait la cervelle d’un chat et baillé à sa fille pour donner audit Regné à menger, affin qu’il deviensist fol, laquelle chose ladicte Michelle a confessé voluntairement, et par ce que dit est et aussi que ladicte suppliante doubtoit que ladicte Michelle lui fist boire quelque venin et qu’elle lui fist ennuy, et pour tousjours l’entretenir, afin que s’elle avoit fait avoir à son dit frère ladicte maladie, qu’elle lui vousist secourir, a tousjours compleu à ses voulentez. Et le mardi d’après Pasques derrenier, ladicte Michelle et Jehanne sa fille conspirèrent ensemble en leurs courages de tuer ledit Regné Colinet et de fait l’occirent de guet apensé, et pour ce faire et que ladicte suppliante leur fust secourable, s’elles en avoient besoing, ladicte Michelle par grans menaces et parolles rigoreuses contraignist icelle suppliante à aller avec elles audit murtre et à leur aider, et se acorda ladicte suppliante à aller avec elles, non obstant qu’elle y obvia le plus qu’elle peust ; maiz ladicte Michelle lui disoit que, s’elle ne alloit avecques elles, que jamaiz n’auroient ensemble repoux ne paciense, maiz aussi, s’elle y alloit, qu’elle lui tiendroit les meilleurs termes qui lui seroit possible, et lui feroit tant de biens et de courtoisies qu’elle auroit beau se tenir tousjours audit lieu de Bennetz, et tellement ennorta icelle suppliante par blandes et souefves parolles, et aussi par force et menace, qu’elle ala avecques elle en la maison dudit Regné ; en laquelle ilz le trouvèrent en son lict dormant, et d’un pillon de quoy on fait la saulce ladicte Jehanne donna sur la [p. 189] teste dudit Regné tel cop qu’elle en fist yssir la cervelle, et ladicte Michelle ung cop de cousteau. Et auparavant dudit cop, icelle Michelle avoit commandé à ladicte suppliante et Robine sa fille qu’elles prensissent les draps du lict où dormoit ledit Regné et le tiensissent le plus fort qu’elles pourroient, affin qu’il ne se peust deffendre contre elles, ce qu’elles firent et tindrent lesdiz draps de tout leur povoir. Pour lequel cas, ladicte Michelle a esté executée par justice, et a dit et confessé que par force et contrainte ladicte suppliante avoit esté avecques elles audit murdre et à faire ce que dit est. A l’occasion duquel cas, ladicte suppliante, doubtant rigueur de justice, s’est absentée du pays et n’y oseroit jamaiz converser, se noz grace et misericorde, etc. Au seneschal de Poictou et à tous, etc. Donné à Amboyse, ou moys d’aoust l’an de grace mil iiiic lxix, et de nostre règne le ixe.
Ainsi signé : Par le roy, le conte Daulphin2, Regnaut du Chastellet, bailli de Sens3, et autres presens. Flameng. — Visa. Contentor. Duban.