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MCCCCXVIII

Nouvelle rémission expédiée en faveur de Jean de La Rochefaton, écuyer, qui avait obtenu, près de quatre ans auparavant, des lettres lui remettant les peines qu’il avait encourues pour le meurtre de son frère Alexandre et les blessures faites à sa femme, Françoise Chapperon, qu’il avait surpris en flagrant délit d’adultère, les premières lettres ayant été perdues depuis dans un voyage qu’il fit à Rome.

  • B AN JJ. 202, n° 36, fol. 24
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 49-52
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan de la Roche, escuier, contenant que ledit Jehan de la Roche, suppliant, lui estant jeune enffant de l’aage de xiiii. à xv. ans, fut conjoinct par mariage avec Françoise Chapperonne, damoiselle, qui estoit lors jeune fille de l’aage de x. à xi. ans ; après lequel mariage ledit suppliant demoura par aucun temps en l’ostel de nostre très cher et très amé oncle le conte du Maine1, ou plusieurs gens dudit hostel, en le farsant et par jeu, lui parlèrent et dirent par plusieurs foiz, comme gens de court ont acoustumé faire, que c’estoit grant folie de laisser ladicte Françoise, sa femme, qui estoit encores jeune et demouroit avec sa mère, et autres choses. A l’occasion desquelles parolles et sans ce que jamais il eust riens veu ne apperceu chose qui eust esté au deshonneur de sadicte femme, ainçois se arresta ausdictes parolles et fut très fort geleux et suspeçonneux que ladicte Françoise, sa femme, se gouvernast autrement que femme de bien doit faire. Et depuis ledit suppliant et sadicte femme demourèrent par longtemps ensemble ; durant et pendant lequel temps, ladicte Françoise a eu deux enffans qui encores vivent. Et certain temps après, ledit suppliant et sadicte femme s’en alèrent demourer en leur hostel de Montalembert [p. 50] en la chastellenie de Rouffect, ou pays et conté d’Angomoys, où ilz faisoient bastir et ediffier. Et pour ce qu’il estoit besoing audit supliant d’aler souvent dehors pour ses besongnes et affaires, et mesmement ou pays de Mirabaloys et Touarçoys, où il avoit ung peu de chevance, il donna la charge de sondit hostel et mesnage à ladicte Françoise, en soy donnant tousjours bien garde s’il pourroit aucune chose appercevoir de ce qui le mouvoit à estre souspeçonneux et geleux, comme dit est. Et troys ans et demy a ou environ, lui estant lors oudit pays de Mirabalès où il estoit alé pour ordonner de ses besongnes, s’en partit souldainement, comme homme fantastique et merencolicque, sans dire adieu ne autre chose et tout seul, combien qu’il eust tousjours acoustumé d’avoir des gens avec lui, troublé et suspeçonneux de ce que dit est, et cuidant que par son absence et qu’il estoit loings dudit lieu de Montalembert, où il avoit laissé ladicte Françoise toute seulle, queque soit que une demoiselle et autres ses serviteurs et servantes de son hostel, et qu’elle estoit jeune et n’estoit plus en la subgection de sadicte mère, où elle avoit esté par longtemps, et estoit plus en son liberal arbitre que jamais n’avoit esté, elle eust eu plustost occasion de faire mal que jamais n’avoit eu, chevaucha tout ledit jour à tue cheval et sans repaistre, tant que ledit jour lui dura, et la nuyt se retrahy en ung sien hostel nommé de Saveilles, et le lendemain ung peu avant jour, ledit suppliant arriva audit lieu de Montalembert et s’essaya entrer dedans son dit hostel, affin de savoir s’il y avoit aucun couché avec sadicte femme ; mais pour ce qu’il n’y povoit entrer sans avoir fait grant bruyt, il appella et frapa à la porte, faignant qu’il fust ung des hommes dudit lieu de Saveilles et qu’il avoit à besongner à ladicte damoiselle sa femme, dame dudit lieu de Saveilles ; laquelle incontinant commanda à sa demoiselle ou servante, qui estoit couchée devant elle, qu’elle ouvrist ladicte porte. Et [p. 51]incontinant qu’elle fut ouverte, ledit suppliant entra en ladicte chambre, où il trouva sadicte femme couchée en son lit, et Alixandre de la Roche, son frère germain, avec elle, l’un d’ung costé du lit et l’autre d’autre. Et ce voyant ledit supliant, esmeu par grant ire, tempté de l’ennemy, et sans regarder ne adviser quel homme s’estoit, cuidant et pensant que ce fust quelque homme estrange, qui par mal et villenie fust venu coucher avec sadicte femme, sans mot dire tira [son espée qu’il avoit à2] sa sainture et d’icelle frappa et donna plusieurs cops d’estoc et de taille ausdiz Alixandre, son frère, et à ladicte damoiselle sa femme ; au moien desquelz coups ledit Alixandre tantost après, par faulte de bon gouvernement ou autrement, ala de vie à trespassement, et ladicte damoiselle sa femme demoura très fort blecée. Et combien que pour ledit cas ainsi commis par ledit supliant que dit est, eut depuis obtenues noz lettres de remission et pardon3, et eust intencion d’icelles faire mettre à execucion et en requerir l’enterinement, neantmoins, obstant que incontinent ou peu après l’impetracion d’icelles noz lettres de remission, ledit suppliant, desplaisant dudit cas et aussi qu’il lui avoit esté enjoinct par confessions ou autrement, s’en alla à Romme et en plusieurs autres lieux et voiages, où il porta lesdictes lettres de remission, lesquelles et plusieurs autres bagues qu’il avoit avec lui, lui estant sur la mer, par fortune de temps se perdirent. Et neantmoins pour ce qu’elles ne furent enterinées, il doubte que noz officiers ou autres voulsissent, ores et pour le temps avenir, tendre et vouloir proceder à rigueur de justice ; et pour ce nous a humblement suplié et requis que, attendu ce que dit est, que ledit suppliant est très desplaisant dudit [p. 52] cas et de la desplaisance, qu’il en a prins et fait encores, il en est comme insensé, et que jamais il n’avoit eu noisse, discord ne debat avec ledit Alexandre, son frère, et ne l’eust jamès ainsi frappé s’il eust sceu que si ce eust il esté, ainçois l’en eust deffendu, que les parens et amys dudit deffunct, saichant ledit cas estre avenu par fortune et en la manière que dit est, lui ont pardonné, et que en tous ses autres faiz il a tousjours esté de bonne vie, renommée et honneste conversacion, sans jamais avoir esté actaint ne convaincu d’aucun villain cas, blasme ou reproche, nous lui veuillons sur ce impartir nosdictes grace et misericorde. Pour quoy nous, ces choses considerées, voulans misericorde preferer à rigueur de justice, audit supliant avons quicté, remis et pardonné et, par la teneur de ces presentes, quictons, remettons et pardonnons de nostre grace especial, plaine puissance et auctorité royal, etc., satisfacion, etc. Si donnons en mandement, par ces presentes, aux seneschaulx de Poictou, de Xaintonge et à tous noz autres justiciers ou à leurs lieuxtenans, presens et avenir, et à chacun d’eulx, si comme à lui appartendra, que de nostre presente grace, quictance, remission et pardon facent, seuffrent et laissent ledit supliant joir, etc., sans lui faire, etc. Et affin que, etc. Sauf en autres, etc. Donné à Baugency, ou moys d’avril l’an de grace mil cccc. lxvi, et de nostre règne le cinquiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Pouffé. — Visa. Contentor. Rolant.


1 Charles d’Anjou, comte du Maine, vicomte de Châtellerault (ci-dessus, p. 12 note.).

2 Le registre porte : « tira sa sainture ».

3 Le texte de ces premières lettres de rémission, datées d’octobre 1462, est imprimé dans notre précédent volume (t. XXXV des Arch. hist., p. 392 à 394). Nous y avons joint quelques renseignements sur Jean de La Rochefaton et sa femme, Françoise Chaperon.