MDXII
Rémission octroyée à Jeanne Mercier, jeune femme âgée de dix-neuf ans, de Saint-Pierre-du-Chemin, prisonnière à Fontenay-le-Comte, pour infanticide.
- B AN JJ. 197, n° 264, fol. 142 v°
- a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 334-337
Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehanne Mercière, jeune femme de l’aage de dix neuf ans ou environ, fille de feu Clemens Mercier et de Mathurine Brussaude, sa femme, ses père et mère, pouvre femme de la parroisse de Saint Pierre du Chemin, contenant que, certain temps a, André Mercier, son frère, qui jà l’avoit accueillie ou louée à aucuns autres, où elle avoit demouré son temps, la loua et acueilly de rechef avecques ung nommé Jehan Durandeau, lors demourant à la Gajonnière en la parroisse du lieu de Mairevant, avecques lequel elle demoura servante et chambrière par l’espace de cinq quarterons d’an ou environ ; pendant lequel temps ledit Durandeau, son maistre, l’a requise plusieurs foiz d’avoir sa compaignie charnelle. Laquelle au moyen de grans promesses qui lui fist tant de la marier, l’avancer et lui donner de ses biens, et durant ce que la femme dudit Durandeau, son maistre, estoit absente et hors de sa maison, se condescendy à la volenté dudit Durandeau, son maistre, lequel la deflora et la congneut charnellement en ung sien hostel qu’il avoit ou villaige des Oublières, où ilz estoient, environ la feste Nostre Dame de mars derrenièrement passée ; et depuis a eu la compaignie charnelle de ladicte suppliante diverses foiz et tellement qu’il l’angroissa d’un enffant masle. Et le jour et feste des Roisons1 derrenièrement passée, ledit Durandeau, [p. 335] son maistre, la fiança avecques ung nommé Pierre Gendron, filz de Estienne Gendron, du villaige de Serigné, avecques lequel, quinze jours après la feste saint Jehan Baptiste derrenierement passée, ladicte suppliante fut conjoincte par mariage. Et tantost après les nopces faictes, elle se senty grosse dudit enffant, et aussi s’en apperceut ledit Pierre Gendron, son mari ; depuis laquelle chose, il lui commança à tenir très mauvais termes, et depuis ung mois ença, à [ceste] cause, l’a batue très enormement de grosses verges d’oisif2 dont il la blessa en plusieurs parties de son corps en la menassant ; et depuis l’a plusieurs foiz menassée de lui coupper la gorge d’un cousteau. Et aussi quinze jours ou trois sepmaines a ou environ, la mère de sondit mary fist porter à ladicte suppliant, depuis la maison où il estoit demourant jusques au four banier dudit lieu de Serigné, qui est distant de ladicte maison d’une portée et demie d’arbaleste ou environ, et par dessus une haye et sur sa teste ung boisseau et demi de paste, à grant peine et ahan, pour icelle faire cuyre audit four. Au moyen de quoy et des exceps que sondit mary lui avoit faiz, ladicte suppliant, comme elle croit, se greva du fruyt qu’elle avoit en son ventre, tellement que deux ou trois jours après elle cheut en grant maladie de fluz de ventre, dont elle fut detenue par deux jours et plus, en manière que, ung jour de mardi avant la feste de Noel derrenière passée, devers le soir, elle fut contrainte d’aller à chambre en ung jardin hors ladicte maison, pour ce qu’il n’y avoit nulz retraiz, et derrière certaine quantité de bois de chauffaige, et en alant à chambres audit retrait, ladicte suppliant rendy son enffant tout mort, dont elle fut bien esbahye ; laquelle ce voyant, pour cuider couvrir son cas, afin que sondit mary n’en sceust riens et pour la crainte qu’elle avoit de lui, print sondit enffant mort et le [p. 336] mist et gecta par dessus ung mur et le couvry de pierres, puis s’en alla et retourna en ladicte maison où elle se chauffa ung peu au feu. Et pendant ce, les père et mère de sondit mary et sondit mary se misdrent à table pour soupper, et voyant ladicte suppliant qu’ilz souppoient, elle s’en retourna de rechef ou vergier et au lieu où elle avoit mis sondit enffant, lequel elle print et le porta et gecta en une fontaine qui est publicque, assise en ung carrefour public dudit lieu de Serigné, afin qu’il feust plustost trouvé pour le ensepulturer ou autrement, et puis s’en retourna en l’ostel desdiz père et mère de sondit mary, faingnant qu’elle venoit de sondit retraict, comme elle avoit fait paravant, sans aucunement leur dire ne declarer ledit cas ainsi advenu. Et le jour ensuivant, ledit enffant fut trouvé mort en ladicte fontaine. Pour lequel cas, par suspeccion ou autrement, ladicte Jehanne suppliant fut arrestée par noz officiers au lieu de Fontenay le Conte, où elle a volentairement confessé ledit cas en la manière dessus dicte, et y est encores detenue prisonnière en voye de pouvrement et miserablement finer ses jours, se noz grace et misericorde ne lui sont sur ce imparties, humblement requerant que, attendu et consideré ce que dit est, mesmement qu’elle estant grosse dudit enffant, elle fut grevée aux causes dessus dictes et par ce le gecta mort, sans ce que autrement elle l’ait fait mourir, comme dit est, il nous plaise sur ce nosdictes grace et misericorde lui impartir. Pour quoy nous, ces choses considerées, etc., à ladicte suppliant oudit cas avons quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, au seneschal de Poictou ou à son lieutenant audit lieu de Fontenay le Conte, que de noz presens grace, quictance, remission et pardon il face, seuffre et laisse ladicte suppliant joir et user, etc. Donné à Cholet, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. soixante douze, et de nostre règne le douzeiesme.
[p. 337] Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. Gontier. — Visa. Contentor. J. Duban.