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MCCCCXXXIII

Rémission donnée en faveur de Jean Ricoleau, accusé d’avoir provoqué l’avortement de sa chambrière, Colette Porcheron, qui était enceinte de ses œuvres ; elle avait été emprisonnée de ce chef à la Fougereuse.

  • B AN JJ. 200, n° 132, fol. 72
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 86-89
D'après a.

Loys, etc. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Ricoleau, povre homme de labour, chargé de femme et de cinq petis enffans, contenant que, puis trois ans ença ou environ, ledit suppliant print à chamberière pour servir en son hostel une jeune fille nommée Collete Porcheronne, fille de Guillaume Porcheron, laquelle chamberière estant ou service dudit suppliant, requist cellui suppliant par plusieurs foiz d’amours et d’avoir sa compaignie. A quoy pour l’onneur de son mariage il ne se voult consentir, quelque prière ou requeste que lui en fist ladite chamberière et jusques à aucun temps après que, par l’enortement de ladicte chamberière et temptacion de l’ennemy, il se condescendi à la voulenté de ladicte chamberière, eut sa compaignie et la maintint par l’espace d’un an et demy ou environ, tellement qu’elle devint grosse d’enffant. Lesquelz suppliant et sadicte chamberière estans ainsi ensemble, lui fut [p. 87] par icelle chamberière par plusieurs foiz dit telles paroles : « Mon amy, se j’estois grosse, que feray je ? Je seray deshonnorée. » Et il lui respondit telles autres parolles : « M’amye, se ainsi estoit, vous pourriez acouchier à quelque villaige secretement, tellement qu’il n’en seroit jà nouvelles ; et ferions bien nourrir l’enffant. » Et peu de temps après, doubtant ladicte chamberière estre grosse, dist audit suppliant que autresfois elle avoit oy dire que en la ville de Thouars demouroit une femme qui se congnoissoit en femmes grosses et autres medicines, et qu’il lui convenoit porter de son orine, pour savoir qu’elle diroit d’elle. Ce que ledit suppliant, pour tousjours complaire à ladicte chamberière, fist voulentiers et porta de l’orine d’icelle chamberière à ladicte femme ; laquelle lui dist que icelle chamberière estoit fort chargie de gravelle blanche et avoit la mere du ventre close, et que encores ne savoit que ce seroit, et que, s’il lui vouloit porter une burète d’eaues pour user, qui lui cousteroit cinq solz, elle en pourroit guerir. A quoy ledit suppliant respondi qu’il n’en bailleroit pas ung denier, et voyant icelle medicine qu’elle ne pouvoit avoir de son argent, lui bailla de la pouldre dont il paya seullement trois deniers, et lui charga d’en faire boire à ladicte chamberière avec du vin blanc ou en sa soupe, et qu’elle lui seroit moult prouffitable. Et de fait lui porta ladicte pouldre et en usa par aucun temps ladicte chamberière. Et ung certain jour, environ la feste saint Michiel derrenière passée, voyant ledit suppliant que ladicte chamberière ne vouloit dire ne confesser qu’elle feust grosse, lui dist qu’il estoit besoing porter de son orine de rechief à ladicte medicine, ce qu’il fist. Laquelle medicine lui dist qu’elle estoit grosse, et adonc revint vers ladicte chamberière et lui declaira comment ladicte medicine avoit dit qu’elle estoit grosse et qu’elle se donnast garde d’elle et advisast bien qu’elle en feroit, et qu’elle lui en rendroit compte. Et lors lui dist [p. 88] icelle chamberière qu’il avoit menty. Et ung jour de mardi avant ladicte feste saint Michiel, lui demanda de rechief s’elle estoit grosse, laquelle lui dist que non, et illec eurent plusieurs autres parolles ensemble. Et voyant ledit suppliant qu’elle ne vouloit confesser qu’elle feust grosse, lui avala ung peu le ventre de ses mains, en disant qu’il la feroit bien acouchier ou avaler ; dont elle ne tint compte. Et le mercredi ensuivant, ledit suppliant mena ladicte chamberière en ung gueret pour espendre du fumier où il avoit intencion de semer du blé ; et illec apperceut comme ladicte chamberière se plaignoit et estoit malade, et adonc la renvoya à l’ostel ; et fist ledit suppliant venir sa femme ou champ, pour espandre ledit fumier. Laquelle chamberière, en s’en retournant, trouva l’une des voysines dudit suppliant qui eurent parolles ensemble et après se departirent, et demoura icelle chamberière toute seulle. Laquelle, fort chargée de maladie, estant près d’un verger, tout incontinent rendit le fruit qu’elle avoit ou corps, tout mort, et n’eut loysir de pouvoir entrer en la maison de ladicte voysine, laquelle voyant et saichant icelle chamberière estre malade, s’en ala prestement advertir ses autres voysines ; lesquelles alèrent par devers icelle chamberière, pour savoir que c’estoit, et la trouvèrent près du feu où elle estoit retraicte pour se chauffer, et une autre femme avec elle, qui cousoit en linge, et demandèrent à la dicte chamberière s’elle avoit point eu d’enffant, qui respondit que non. Et se departirent sans autre chose lui demander. Et peu de temps après fut par souspeçon ladicte Collete chamberière prinse et menée prisonnière à la Fougerouse, et depuis, pour estre plus seurement gardée, fut menée ès prisons de Maulion, et illec par les seneschal ou juge et officiers dudit lieu de la Fougerouse fut commencé et fait son procès. Laquelle confessa avoir eu enffant, et pour eschaper des dictes prisons, donna charge audit suppliant des choses dessus dictes et de lui avoir serré et [p. 89] avalé le ventre et de soy estre vanté la faire acouchier, et que au moyen de ce, elle povoit avoir eu et rendu son fruit mort. Au moyen de laquelle charge, elle a esté delivrée et envoyée desdictes prisons, et ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du pays, etc., et n’oseroit, etc. Pour quoy, nous, etc., satisfacion, etc., en mettant au neant, etc. Si donnons en mandement, par ces dictes presentes, au seneschal de Poictou, et à tous, etc. Donné à Mellay, ou moys de juillet l’an de grace mil iiiic lxvii, et de nostre règne le sixiesme.

Ainsi signé : Par le roy, le sire de Bueil1 et autres presens. Toustain. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 Jean V, sire de Bueil, de Montrésor, Saint-Calais, etc., comte de Sancerre, fils aîné de Jean IV et de Marguerite dauphine d’Auvergne, dame de Marmande en Loudunais, chambellan du roi, amiral de France de 1456 à 1461, prit part depuis l’année 1427 à toutes les guerres du règne de Charles VII et continua ses services à Louis XI. Il mourut postérieurement à 1474 ; on le trouve cette année qualifié capitaine d’une compagnie de quatre-vingt-quinze lances des ordonnances.