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MDXI

Rémission accordée à Jean Rabeau, sellier, demeurant à Bressuire, qui, deux ans auparavant, à Saintes, avait frappé d’un coup mortel un de ses compagnons, nommé Robinet, dans une rixe provoquée par ce dernier.

  • B AN JJ. 197, n° 266, fol. 143 v°
  • a P. Guérin, Archives historiques du Poitou, 38, p. 329-333
D'après a.

Loys, par la grace de Dieu roy de France. Savoir faisons à tous, presens et avenir, nous avoir receue l’umble supplicacion de Jehan Rabeau, sellier, demourant à Bressuire, chargé de femme et enffans, contenant que ledit suppliant estant demourant en la ville de Xaintes, chez ung nommé Pierre Blanchet, aussi sellier, l’an mil cccc.lxx, environ [p. 330] la my quaresme, et à ung jour dont il n’est recors, se trouva en une taverne audit lieu de Xaintes, avec plusieurs compaignons dudit mestier de sellier, desquelz icellui suppliant ne scet les noms, fors et excepté de deux, dont l’un estoit nommé Robinet, l’autre surnommé Fillon ; et après qu’ilz eurent desjeuné ensemble, ilz se partirent de ladicte taverne et allèrent conduire ledit Fillon, qui s’en alloit demourer en ladicte ville de Xaintes (sic), et le convoyèrent jusques environ ung quart de lieue hors d’icelle ville, et illec se departirent. Et ainsi que lesdiz suppliant, Robinet et compaignons s’en retournoient en ladicte ville, sans ce qu’il y eust entre eulx aucune question ou debat, ne que ledit suppliant eust meffait ne mesdit audit Robinet, icellui Robinet gecta du bout du pié une pierre contre le visaige dudit suppliant tellement qu’il le bleça et lui fist sang, dont il despleut audit suppliant qui dist : « Pour quoy m’as tu gecté ceste pierre ? Tu es tousjours oultrageux en tes faiz ». Et ledit Robinet fierement lui demanda : « Et t’en desplaist il ? », et il lui respondit que oy. Et sans plus parler, icellui Robinet donna incontinant audit suppliant du poing sur le visaige et le print aux cheveulx. Et icellui suppliant en soy deffendant se coulpla audit Robinet, le gecta à terre et se mist sur lui, sans le frapper. Et ledit Robinet lui dist : « Lasche moy », ce que ledit suppliant fist, et puis se acheminèrent droit à la ville. Et après ce, quant ilz furent environ une portée d’arc d’illec, ledit Robinet print ung baston que portoit l’un desdiz compaignons et sans dire mot, vint audit suppliant et dudit baston lui donna ung coup sur la teste, et ce fait se coulpla à lui, le gecta à terre, saillit sur lui des deux genoulz et du poing lui donna sur le visaige plusieurs coups tellement que, se n’eussent esté lesdiz autres compaignons, veue sadicte felonnie, icellui suppliant croit qu’il l’eust tué. Et tantost iceulx compaignons les departirent, en disant à icellui suppliant qu’il s’en allast ; [p. 331] et lors, comme tout desplaisant, s’en alla chez sondit maistre en ladite ville. Et tantost après lesdiz Robinet et compaignons vindrent devant l’ouvrouer dudit Pierre Blanchet, où ledit suppliant estoit. Et quant icellui suppliant vit ledit Robinet, dist à ung nommé Jehan de Lamballe : « Je vous prie, faictes l’appoinctement d’entre Robinet et moy et je paieray une darne1 de saumon. » Et à ceste cause, icellui Lamballe alla parler audit Robinet pour traicter ledit appointement, mais il lui respondit qu’il n’en feroit riens et qu’il s’en vengeroit. Et quinze jours après ou environ, ledit Robinet, à ung jour de lundy, pour ce qu’il s’en vouloit aller demourer hors ladicte ville de Xaintes, convoya et semonnit à desjeuner en une taverne de ladicte ville ledit suppliant et plusieurs des compaignons dudit mestier de sellier, et en desjeunant, ledit Robinet leur dist qu’il y avoit un enffant et serviteur, le nom duquel ne scet, demourant en ladicte ville avec ung des maistres du mestier de sellier, qui n’avoit point paié sa selle, et qu’il en vouloit menger sa part, avant qu’il s’en allast. Et ce dit, tous ensemble mandèrent venir devers eulx ledit serviteur, et lui venu devers eulx, ledit Robinet lui dist : « Vien ça, il fault que tu paies ta selle » ; lequel leur respondit qu’il n’avoit point d’argent, mais tellement firent iceulx compaignons que ledit serviteur emprunta de l’argent et consentit paier sadicte selle, et pour faire appareiller, cedit jour, à disner leur bailla ung escu d’or. Lesquelz compaignons firent appareiller ledit disner en ladicte taverne où ilz desjeunoient lors, et mandèrent venir audit disner deux des maistres dudit mestier et aussi ledit suppliant, qui s’i trouva. Et après ce qu’ilz eurent disné, lesdiz maistres et compaignons ou aucuns d’eulx dirent audit suppliant : « Tu ne es pas digne d’estre ycy, pour oïr les [p. 332] secretz du mestier, pour ce que tu n’en es pas compaignon. Va t’en embourrer des contresangleaux ». Adonc ledit suppliant leur dist qu’il en estoit content, et incontinant s’en partit et s’en alla en l’estable dudit hostel, laquelle est soubz la chambre où lesdiz maistres et compaignons passoient2 ledit serviteur compaignon dudit mestier. Et tantost après ledit Robinet, qui estoit homme fort noisif et ne queroit que avoir question audit suppliant, descendit en ladicte estable, où il trouva ledit suppliant, auquel il demanda : « Que fais tu illec ? » Lequel lui respondit : « Je ne foiz riens : je suis ycy venu pour ce que le cueur me fait mal. » Et lors icellui Robinet lui dist : « Tu as menty. Tu escoutes les droitz et secretz de nostre mestier. » Et il lui dist que non faisoit, et, sans plus dire, ledit Robinet print une fourche qui estoit en ladicte estable, vint audit suppliant et lui en donna ung coup en travers des jambes, tellement qu’il chey à terre. Et adonc ledit suppliant se escrya ; auquel cry et debat survint ledit Lamballe, lequel dist audit Robinet : « Pourquoy l’as tu frappé ? il ne te demandoit riens ». Et lors ledit suppliant dist audit Robinet : « Tu as fait que fol de m’avoir frappé ; je le te rendray avant que je dorme ». Et incontinant que ledit suppliant se peut relever et soustenir, soy sentent ainsi oultraigé sans cause, considerant aussi la perceveration et mauvais propos dudit Robinet, et qu’il n’avoit baston de quoy se deffendre, s’en alla en la maison de sondit maistre et en icelle print une petite espée d’armes, la mist soubz son braz, et puis s’en retourna en ladicte taverne, et y entra par l’uys de derrière. Et lui estant en une chambre d’icelle taverne, apperceut ledit Robinet ayant ung gros baston de chesne vert, qui serchoit ledit suppliant par ladicte maison, pour encores le vouloir oultrager ; [p. 333] et sitost que ledit Robinet le vit en ladicte chambre, sans dire mot, leva son baston, cuidant frapper ledit suppliant. Et ce voyant, icellui suppliant, pour resister à sa mauvaise entreprinse et pour la seureté de sa personne, vint au devant dudit Robinet, à l’uys de ladicte chambre, tira sadicte espée et lui en presenta ung estoc, sans lui toucher. Et lors ledit Robinet vint audit suppliant et de sondit baston lui cuida donner de plain braz sur la teste ; à quoy icelluy suppliant resista et receut ledit coup de sadicte espée, et d’icelle donna audit Robinet ung coup de taille sur la teste, tellement qu’il cheut à terre. A l’occasion duquel coup d’espée ledit Robinet, sept ou huit jours après, par faulte de bon gouvernement ou autrement, alla de vie à trespas. Par quoy ledit suppliant, doubtant rigueur de justice, s’est absenté du païs et de sa demourance et n’y oseroit jamais retourner ne converser, se nostre grace et misericorde ne lui estoit sur ce impartie, comme il dit, humblement requerant, etc. Pour ce est il que nous, ces choses considerées, voulans misericorde prefferer à rigueur de justice, audit suppliant avons les faiz et cas dessusdiz quicté, remis et pardonné, etc. Si donnons en mandement, par ces mesmes presentes, aux seneschaulx de Poictou et de Xaintonge et à tous noz autres justiciers, etc., que de noz presens grace, quictance, remission et pardon facent, seuffrent et laissent ledit suppliant joir et user plainement et paisiblement, etc. Donné à Mortaigne, ou mois de janvier l’an de grace mil cccc. soixante douze, et de nostre règne le douzeiesme.

Ainsi signé : Par le roy, à la relacion du conseil. J. Menou. — Visa. Contentor. J. Duban.


1 « Darne », plus souvent écrit « derne », signifiait morceau, tranche. (F. Godefroy, Dict. de l’anc. langue française, v° Derne.)

2 C’est-à-dire le faisaient passer compagnon, en acceptant sa bienvenue.